14 octobre 2018

Loi Pacte & liquidation du Pays


Levées de fonds en crypto-monnaie, véhicules électriques, privatisations, responsabilité sociale… la loi portée par Bruno Le Maire est accusée d’être un «fourre-tout». Mais elle vient de franchir la première étape de son parcours législatif.

Faciliter la vie des entreprises, mieux associer les salariés et donner de la vigueur à la croissance (?), sont les buts déclarés de la loi que l'Assemblée nationale a adoptée largement en première lecture dans la soirée du 10 octobre.

Porté par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, le Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a obtenu 361 voix pour, 84 contre, et 103 abstentions, avec l'appui de la majorité LREM-MoDem et des deux tiers des UDI-Agir.

La gauche a voté contre, et les Républicains se sont en grande majorité abstenus, les oppositions déplorant un texte «fourre-tout», ou «une occasion manquée».

«Pacte apporte une pierre nouvelle à cet édifice qui va permettre à chaque Français de vivre de son travail et à l'économie de se redresser», a affirmé le ministre après le scrutin, cité par l’AFP.

Principale organisation patronale, le Medef a salué «des mesures positives», tout en demandant «à aller plus loin» et à «redonner une véritable cohérence à la politique économique du gouvernement», en réalité une demande de baisse de la fiscalité des entreprises.

A partir des 73 articles dans sa version initiale – que le site juridique de référence Dalloz qualifiait déjà de «monstre législatif» – la loi a gonflé pour aboutir à un texte de 140 articles, qui réglementent pêle-mêle les seuils sociaux, l'épargne salariale, la durée légale des soldes, les privatisations de trois entreprises publiques, les tests de véhicules électriques sans pilote etc.

De nouvelles privatisations

Bien que le but déclaré de la loi soit la facilitation de la vie des entreprises, une des mesures phare du Pacte est l’autorisation pour l’Etat de vendre ses participations dans trois entreprises publiques : la Française des jeux, ADP et Engie. Cette disposition consacre la poursuite d’une politique de privatisation d’entreprises publiques ininterrompue en France depuis plus de 30 ans.

Lors des débats, droite et gauche ont reproché au gouvernement de vouloir brader «les bijoux de famille». Se référant à la privatisation des autoroutes françaises sous Dominique de Villepin, largement considérée aujourd’hui comme défavorable aux intérêts de l’Etat et des Français, en particulier après la parution de rapports de la Cour des comptes, le député de l’Essonne Nicolas Dupont-Aignan avait appelé le 1er octobre à stopper une «escroquerie financière».

Une fois Pacte définitivement adopté (au plus tôt début 2019), l'Etat pourra procéder à la vente au secteur privé de tout ou partie des actifs qu'il détient dans ADP (ex-Aéroports de Paris), soit 50,63% des parts représentant quelque 9,5 milliards d'euros. Après les ventes, quand Emmanuel Macron était à Bercy, des parts de l’Etat dans les Aéroports de Lyon à un consortium emmené par Vinci et de Nice à un autre dominé par l’italien Atlantia, la France aura ainsi perdu le contrôle de ses trois premières installations aéroportuaires.

La loi entérine l’abandon au privé d’Engie, jadis Gaz de France, en autorisant l’Etat à descendre en dessous du seuil actuel d’un tiers du capital. De plus une ordonnance autorise le gouvernement à programmer la fin du tarif réglementé de vente de gaz naturel d’ici le 1er juillet 2023. Compte tenu du rôle dominant d’Engie sur le marché du gaz, l’opposition redoute déjà qu’un quasi-monopole privé s’impose dans un marché plus dérégulé qu’il ne l’est déjà.

Enfin, la majorité du capital de la Française des jeux pourra être transférée au privé. L’Etat, détenteur de 72% des parts, deviendra actionnaire minoritaire à hauteur de 20% «au minimum». Quant au bénéficiaire de la cession, il conservera pendant 25 ans le monopole des jeux de tirage et de grattage.

Des milliards d'euros de cessions d'actifs publics pour un fonds d'innovations de 250 millions d'euros

Les cessions d'actifs dans ADP, la FDJ et doivent contribuer à alimenter, à raison de 250 millions par an, un fonds de 10 milliards destiné à financer des «innovations de rupture».

Vous avez fait beaucoup de mousse pour vanter une révolution à l’œuvre, c'est en réalité une révolution libérale

«C'est très peu», a estimé Daniel Fasquelle (LR). A gauche, pour le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon c'est «une erreur de privatiser les derniers grands instruments dont dispose le pays [....], source de revenus pour l’Etat». Le socialiste Dominique Potier, a vu lui «une erreur de calcul et de stratégie à long terme». Quant au député communiste Pierre Dharréville, critiquant le changement d’actionnariat de la Poste il a déclaré : «Vous avez fait beaucoup de mousse pour vanter une révolution à l’œuvre, c'est en réalité une révolution libérale.»

En effet, même s’il n’est pas ouvert au privé, le capital de la poste doit connaître une réorganisation. Il sera désormais détenu majoritairement par la Caisse des dépôts en point de départ à la création d’un grand pôle public de banque et d'assurance qui suscite des inquiétudes pour l’activité courrier de La Poste.

Ajustement des seuils sociaux

Pacte supprime ou allège un certain nombre d’obligations sociales en supprimant ou en modifiant les seuils sociaux. Par exemple, celui de 20 salariés, qui déclenche des obligations fiscales et sociales pour les entreprises disparaît. En cas de franchissement d'un seuil (11, 50 ou 250 salariés), les entreprises disposeront d'un délai de cinq ans avant que ne s'appliquent leurs nouvelles obligations.

Pacte prévoit aussi la mise en place d’ici le 1er janvier 2021 d'un «guichet unique» électronique pour regrouper certaines formalités administratives (création, cessation d'activité...) accomplies actuellement auprès de quelque 1 400 CFE (centres de formalités des entreprises). Par ailleurs la loi relève le seuil à partir duquel les entreprises doivent rendre leurs comptes publics. Elle introduit toutefois certaines obligations, comme celle, pour les entrepreneurs, de déclarer l'activité de leur conjoint-collaborateur. De plus, à partir de huit administrateurs non-salariés, les plus grandes entreprises devront compter deux salariés administrateurs et non plus un seul.
En outre, l'administration sera autorisée à publier dans la presse les noms des entreprises sanctionnées pour des défauts de paiement à leurs fournisseurs. Chaque entreprise cotée devra communiquer l'écart entre le niveau de rémunération de ses dirigeants et la moyenne des salaires (hors dirigeants) ainsi que la médiane au sein de la même société, ainsi que les évolutions de ces ratios au cours des cinq dernières années.

Pacte supprime également le forfait social ou taxe payée sur les produits d'épargne salariale concernant l'intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et celui qui concerne la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Epargne-retraite, cryptomonnaies, véhicules autonomes, soldes...Pacte ratisse large

Or, Pacte s’intéresse aussi aux placements financiers et autorise désormais les transferts de fonds entre les principaux produits d'épargne retraite (Perp individuel, Perco collectif, contrats Madelin...) quel que soit le parcours professionnel du particulier. En outre, l'épargnant, une fois à la retraite, pourra choisir de retirer son argent en une fois, alors qu'il lui est aujourd'hui le plus souvent versé sous forme de rente. La loi prévoit aussi la modification de l’article 1833 du Code civil donnant la définition de l'entreprise, permettant de se fixer des objectifs sociaux et environnementaux. Cependant, pour calmer les inquiétudes des organisations patronales qui craignaient une «incertitude juridique», le texte a été rédigé de sorte à ne créer quasiment aucune obligation.

Jugé loi «fourre-tout» par l’opposition de gauche au Parlement, Pacte a des domaines d’applications très variés. La loi réduit par exemple les périodes légales des soldes qui passeront de six à quatre semaines. La loi introduit aussi la possibilité d’une certification des levées de fonds en cryptomonnaie, par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Par ailleurs, elle autorise sous certaines conditions les expérimentations de véhicules autonomes, c’est-à-dire sans conducteur à bord.

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