04 juin 2018

Voyage au cœur du chamanisme



Je m’apprête à vous faire le récit d’une retraite chamanique de quatre jours à laquelle j’ai participé voilà quelques semaines. Ce récit vous fera peut-être pénétrer un monde dont vous ne soupçonnez pas même l’existence. Alors débarrassez-vous un instant de vos croyances et aprioris et écoutez mon récit, avec le cœur.


Avertissement

Cet article n’a pas vocation à pratiquer quelque prosélytisme que ce soit. Les substances dont j’ai fait usage au cours de ma retraite chamanique sont juridiquement des psychotropes, strictement interdits à la vente comme à la consommation.

Mais les considérer uniquement comme des drogues, bonnes à se défoncer, serait terriblement réducteur. Vous passeriez à côté de l’essentiel, à côté de la nature profonde de ces substances.

J’espère vous le faire comprendre à travers l’expérience personnelle que je vais partager avec vous.

Qui suis-je ?

Je ne suis ni scientifique, ni chaman, juste autodidacte. À 50 ans, j’ai passé ces dernières années à étudier l’ethnobotanisme, qui pourrait se résumer à l’étude de l’usage des plantes par les hommes, à travers le temps. C’est l’un des meilleurs spécialistes en France, François Couplan, qui a assuré ma formation. Je maitrise aujourd’hui l’art de s’alimenter avec les plantes sauvages comestibles qui nous entourent. Je donne des formations, notamment à travers Prenons le maquis, aux personnes qui recherchent une certaine autonomie alimentaire. L’étude des plantes psychotropes entre également dans le champ de ma formation et c’est ainsi que je me suis penché sur le sujet.

Aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours beaucoup plus intéressé à une possible révolution intérieure de ma petite personne qu’à toute autre révolution, politique ou sociale. Dans ma jeunesse, j’ai donc absorbé nombre de concepts ésotériques (Carlos Castaneda, …), philosophiques (Krishnamurti, …) ou psychologiques (École de Palo Alto,…), pratiqué nombre d’activités tournant autour de l’épanouissement de son corps et de son esprit (yoga, pranayama, ….).

Force est de constater que malgré ma détermination et l’énergie que j’y ai consacré, je ne suis jamais parvenu à atteindre le nirvana, pas même un quelconque éveil. À la lumière de cet échec personnel, j’en ai tiré la conclusion qu’Homo sapiens, qu’il soit un sage indien ou un ouvrier de la métallurgie, n’était pas apte à rencontrer « Dieu » de son vivant, sauf à de rares instants. Ne parlons pas de l’au-delà, encore plus hypothétique !

Il faut vous l’avouer, l’Ayahuasca vient de faire exploser cette croyance que j’avais chevillée au corps… Aujourd’hui, j’éprouve le besoin impérieux de partager mon expérience et en choisissant avec le plus grand soin mes mots, forcément bien ternes au regard de l’expérience vécue, de donner des informations précises sur ces substances, sur leur utilisation, sur leur capacité à créer un changement profond, sur leur limite aussi.

Avez-vous déjà entendu parler de l’Ayahuasca ?

L’Ayahuasca fait partie de la famille des enthéogènes, substances psychotropes induisant un état modifié de conscience, utilisées à des fins religieuses, spirituelles ou chamaniques d’après nos amis de Wikipédia. En Amérique du sud, on affuble l’Ayahuasca de petits surnoms comme Yagé, la Pacha Mama ou encore la « medicina ».

Ces dernières années, l’Ayahuasca est devenue très à la mode en Occident. L’utilisation d’Ayahuasca est prohibée en France mais elle est tolérée en Suisse, en Espagne, en Allemagne et dans bien d’autres pays. L’Ayahuasca est connue pour provoquer de puissantes prises de conscience, elle s’est popularisée pour les changements intérieurs profonds qu’elle semble induire chez les personnes souffrant notamment de dépressions ou d’addictions.

L’Ayahuasca est un breuvage, la combinaison d’au moins deux plantes. Plus de 80 plantes ont été répertoriées par les ethnologues comme pouvant entrer dans sa composition, la recette variant suivant les tribus amazoniennes en faisant usage.

Les deux plus connus sont Psychotria viridis et Banisteriopsis caapi. Leurs actions combinées permettent à la fameuse DMT, « molécule de l’esprit » de passer à travers la barrière intestinale sans être détruite et de pouvoir ainsi se libérer dans le sang.

Au cours de ma retraite chamanique, je consommerai l’Ayahuasca trois soirs de suite. La session, appelée « toma » démarre en général vers 22h00 pour se terminer vers 4h00 du matin. Pendant la cérémonie, on peut être amené à consommer 2 ou 3 fois le breuvage. Les effets de l’Ayahuasca varient énormément d’un individu à l’autre, d’une session à l’autre mais il y a quasi systématiquement une constante : l’Ayahuasca provoque chez la plupart des consommateurs de violentes crises de vomissement !

Présentation des trois autres enthéogènes utilisées pendant ma retraite

Au cours de cette retraite mémorable de quatre jours, j’ai pu consommer d’autres psychotropes. Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas ici d’additionner les sensations extrêmes comme les tours de manège dans une foire. Pris ensemble, ces produits démontrent une véritable synergie et permettent, nous le verrons, d’effectuer une prise de conscience plus profonde, plus puissante.

⦁ Le(s) rapé(s)

Avant qu’il ne se fasse récupérer par les industries occidentales, le tabac a toujours été la plante magique de base des chamans. Le tabac est réduit en poudre (c’est le tabac à priser), éventuellement mélangé à d’autres plantes. Les chamans pulvérisent alors cette poudre dans chaque narine à l’aide d’un petit tube appelé tépi.

 

Le rapé a cette particularité d’aider à la concentration, à s’ancrer, à être dans l’instant. Suivant sa puissance, il peut provoquer les premières minutes des sensations de brulure au niveau des sinus, un écoulement nasal, voire une légère suffocation. Il est conseillé de ne pas respirer par le nez au cours des premières minutes, afin d’accroitre son efficacité.

⦁ Le Bufo alvarius

On passe ici du règne végétal au règne animal. C’est dans les glandes de ce crapaud, Incilius alvarius, vivant entre le Sud-ouest des États-Unis d’Amérique et le Nord-ouest du Mexique que l’on retrouve la molécule bufoténine, contenant de la DMT sous une autre formulation chimique.



Le psychotrope est fumé à l’aide d’une petite pipe en verre. La substance est préalablement chauffée et doit être fumé d’une seule et complète inspiration, après avoir au préalable vidé entièrement ses poumons.

C’est probablement le plus puissant des enthéogènes connus. Je confirme !

⦁ Le Kambo

On reste pour terminer dans le règne animal avec cette fois une grenouille géante, Phyllomedusa bicolor, vivant en Amazonie et qui sécrète à travers sa peau de nombreuses molécules chimiques. Les scientifiques ne s’accordent toujours pas sur les véritables principes actifs de son poison.

Le Kambo s’applique directement sur la peau, après l’avoir brulé à l’aide d’un petit bâtonnet incandescent. À jeun depuis au moins 12 heures, il faut auparavant boire a minima 2 litres d’eau que l’action du Kambo fera finalement régurgiter, purifiant corps et l’esprit.

 

L’histoire dit que cette pratique ancestrale du Kambo (comment récolter, comment appliquer la substance) aurait été communiquée à un chaman, au cours d’une transe sous Ayahuasca. Il aurait ainsi pu sauver toute sa tribu.

Le récit

Durant les semaines qui précédent cette expérience incroyable mais véridique, Je regarde quelques vidéos, lis quelques récits aussi, relatant des expériences sous Ayahuasca, sous Kambo et sous Bufo alvarius. Cela ne semble pas être une promenade de santé et je suis particulièrement angoissé à l’idée de participer à cette retraite.

Jeudi - 1er jour

C’est la fin de l’après-midi. Au cœur des Alpes suisses, altitude 1 200m, un grand chalet de montagne servant de gite accueille les participants. Le plafond nuageux très bas et le temps bien pourri, le paysage est peu engageant, un peu glauque même.

Je n’ai pris qu’un repas léger vers midi. J’ai un peu faim. Cela fait des semaines que je m’astreins à un régime alimentaire très strict, que je m’entraine, physiquement et mentalement aussi. Je n’aborde jamais une épreuve sans m’être préparé auparavant, j’arrive ici au top de ma forme.

Les participants à cette retraite chamanique arrivent au compte-goutte. Ils seront au nombre de 11. Je ne vois que des gens « normaux », certains semblants tout de même torturés par des problèmes psychologiques importants. Pas d’énergumènes allumés cherchant à se défoncer la gueule, juste des gens banals.

Je pensais l’avoir dompté, cette peur, raté, elle est là en moi, exubérante, irrépressible. Je retrouve de vieilles sensations qui m’ont abandonnées depuis de nombreuses années, violentes décharges d’adrénaline que l’on peut ressentir devant un stress ingérable et qui se prolonge.

Chacun notre tour, nous sommes pris en charge par 2 des 4 facilitateurs (3 femmes et 1 homme) qui vont nous encadrer tout au long du weekend. Un facilitateur est une personne occidentale ayant été formée aux techniques chamaniques. Ils sont humbles et respectueux de la tradition chamanique, semble-t-il. Émane d’eux une grande chaleur et une certaine sérénité malgré leur jeune âge.

Je suis accueilli dans un petit bureau, tout est fait pour nous mettre en confiance. Quand je m’engage dans une voie, quelle qu’elle soit, je m’y engage à 100 %. Je suis décidé à « jouer le jeu » sans me cacher derrière un personnage, être le plus honnête possible, en tout premier lieu avec moi-même. Échange informel, je suis invité à donner mon (mes) intentions. Intention, un mot plus percutant et moins vulgaire qu’objectif à mes yeux, poser une intention sur ce que l’on veut. Cela me rappelle le vocabulaire qu’employait Carlos Castaneda dans les récits relatant l’enseignement qu’il reçut du sorcier indien Don Juan Matus !

Je parle donc aux facilitateurs de mes motivations à participer à cette retraite, sans retenue. Je liste méthodiquement un ensemble de questionnements autour de ma vie, de mes relations avec mes parents, avec mes enfants, ma santé aussi.

Le démarrage est lent, les participants sont regroupés dans une grande salle ou se tiendra la « toma » d’Ayahuasca plus tard dans la soirée. La chef des facilitateurs nous briefe sur le déroulé des quatre jours.

Nous avançons progressivement vers l’heure fatidique. Il est 22 heures. Tout est fait pour nous rassurer et nous commençons par prendre un râpé léger, exclusivement à base de tabac. Il est à noter que ce tabac est cultivé et préparé avec toute l’intention des chamans d’Amérique du sud avec lesquels les facilitateurs travaillent.

Ça brûle au niveau des sinus, je suffoque un peu mais garde mon calme et vais me rassoir, suivant les recommandations, ne respirant que par la bouche pendant dix minutes. Les sinus se mettent à couler librement. Je ne ressens pas grand-chose mais un certain calme intérieur s’installe en moi. Je me concentre sur ma respiration, assis en tailleur et les yeux fermés. L’heure approche et après que chacun ait reçu sa dose, la « toma » peut débuter. La salle est plongée dans la pénombre, seules quelques bougies sont là pour donner l’ambiance et éclairer le chemin des toilettes. Il est clair que je m’attends au pire niveau vomissement, voir diarrhée aigüe. Ça fait partie du jeu parait-il.

Chacun des participants est invité à se lever un par un, et devant la facilitatrice, après un « salute » cérémonial, se saisit d’un petit verre d’Ayahuasca et le vide. Y’a pas à dire, ça met dans l’ambiance. Je regarde dans les yeux la facilitatrice, lui prends des mains son verre, qu’elle a auparavant rempli et pesé. Je le vide d’un trait sans que le gout ne me pose aucun problème à la déglutition. Mon palet en a vu d’autres ces dernières années avec les plantes sauvages dont je me nourris !

Je retourne sur mon matelas, par terre, un grand sac de plastique et une serviette en papier, comme seul compagnon. Afin de parer à toute éventualité, je décide de rester en tailleur pour prévenir tout vomissement. Très vite, je suis dans un état de profonde relaxation. Le poids de ma tête, mes épaules pèsent lourdement à travers mes bras sur mes cuisses, j’ai les yeux fermés et ma peur s’est totalement dissipée. Je n’ai pas lutté contre elle, je l’ai laissé prendre le dessus sur moi, j’ai accepté d’avoir peur et elle a disparue. Mon corps est totalement relâché, peut-être comme jamais.

J’observe mes paupières closes et me concentre sur les petits flashs lumineux que l’on peut généralement apercevoir. Progressivement, des images se forment, des images changeantes, colorées et chaleureuses, elles s’animent au son de la musique rythmée qui occupe tout l’espace. Ou alors les visions sont la musique, lancinante et envoutante. C’est objectivement un spectacle somptueux. Une petite voix, vient-elle du fond de mon être ou de l’extérieur, je ne pourrais le dire, cette voix part dans tous les sens, de manière rapide et déterminée. Elle manipule mes idées et mes souvenirs avec dextérité et frénésie. Mon ventre semble travailler intensément de l’intérieur mais aucune envie de vomir.

À la mi-temps, vers 1H30 du matin, les participants qui le souhaitent sont invités à venir chercher le « booster », nouvelle rasade pour continuer le trip. Je me lève, la facilitatrice me regarde intensément au fond des yeux et me demande comment je me sens. Bien c’est sûr ! Et c’est reparti pour un tour. Je n’en tire pas plus que pendant la première cession. Je suis heureux de me sentir bien, aucune envie de vomir, aucun désagrément. On ne peut pas en dire autant de la plupart de mes compagnons de fortune. Vomis, pleurs, cris parfois, l’Ayahuasca n’est visiblement pas une partie de plaisir pour tous.

Il est à noter que si l’on peut ressentir des distorsions de temps, notre conscience pendant l’Ayahuasca reste entière la plupart du temps. Ainsi se superposent les visions et autres sensations avec la perception fine de ce qui se passe dans la réalité autour de soi. Sons, présences des camarades, tout est très réel. Bien que je ne l’ai pas testé, je restais les yeux fermés pendant toute l’expérience, j’avais le sentiment de pouvoir revenir à la réalité suivant ma volonté, un peu comme dans des rêves morphiniques que l’on peut interrompre momentanément pour avoir une petite discussion avec l’ami qui vient nous rendre dans la chambre d’hôpital, avant de replonger.



Vendredi – 2ème jour

Fin de la séance vers 4H du matin. Les participants sont invités à regagner leur chambre mais il est également possible de rester dans la salle pour finir la nuit. Je monte. Ma tête tourne un peu comme après une bonne cuite, l’écœurement en moins. Non, cet étourdissement n’est pas désagréable.

Alors que je m’allonge sur le lit de ma petite chambre, un nouveau processus inattendu débute alors. Je l’appellerai intégration, vocabulaire sur lequel je reviendrai plus loin. Yagé est toujours en moi et déclenche, alors que je suis allongé dans le silence de la nuit des pensées autour des intentions que j’avais formulées clairement la veille. Les pensées virevoltent, rapides, tranchantes, clairvoyantes. Je repense aux évènements marquants de ma vie, mes peurs. Tout passe en revue. Je ne suis clairement pas dans un état normal, mon esprit est affuté, limpide. Je repars de temps en temps dans des songes oniriques, entrecoupés de réflexions bien réelles.

J’ai le sentiment que Yagé me guide dans la gestion de mes peurs, pour cette journée de vendredi qui s’annonce la plus intense. Cette fin de nuit, elle me dit que je ne suis pas obligé de participer à la séance de Kambo, encore moins de Bufo. Cela m’apaise, je me laisse le choix, décide finalement de ne pas participer aux autres séances, l’Ayahuasca étend largement suffisante pour moi.

J’insiste sur le fait que je ne sais pas, au cours de cette fin de nuit comme pour les autres expériences intenses que je m’apprête alors à vivre, si Yagé est en fait une entité extérieure à moi (ce serait plutôt mon sentiment) ou plus simplement un révélateur de mes pensées les plus profondes mais une chose est sûre, ce psychotrope donne une acuité mentale incomparable.

La nuit se termine sans que je ne dorme vraiment. À 8H30, je me lève et à ma grande surprise, je descends participer à la cession de Kambo, prévue pour 9H00, sans me poser plus de questions. C’est une évidence. En revanche, pour le Bufo, j’ai définitivement décidé de ne pas y participer, vraiment trop la trouille.

Dans la petite pièce qui va être utilisé pour ce cérémonial atypique, les deux camarades qui vont subir l’expérience, oui « subir » est bien le terme, sont déjà là. La première participante est en train de boire avec difficulté ces 2 litres d’eau, nous sommes à jeun depuis plus de 15 heures. Je serais donc le 3ème et dernier sur la liste. Le facilitateur spécialiste es Rapé et Kambo, est d’un grand calme et débute ses préparatifs.

La participante s’assoit sur un siège confortable, et le facilitateur commence à lui bruler à 3 endroits sur l’épaule, 3 petits points brulés au second degré. Il applique ensuite le poison sur les brulures bien nettoyées. Avec un petit spray, il humidifie le poison. On peut voir le visage de la participante rougir, elle déglutit, tout cela a l’air intense. Elle tremble un peu. Il est demandé de rester les yeux ouverts pour rester présent à l’expérience et ne pas « partir », juste respirer profondément en se tenant bien droit.

Une deuxième phase débute avec visiblement une envie montante de vomir. Le facilitateur lui demande de reboire, humidifiant en parallèle le poison. Finalement après avoir visiblement souffert le martyr, douleur puissante dans le bas ventre, la participante finit par tout ressortir par saccade dans un sceau prévu à cet effet. Elle se remet doucement, épreuve éprouvante vue de l’extérieure. Puis vient le tour du 2ème participant dont l’expérience semble être encore plus difficile, puis c’est à mon tour, j’ai bien eu le temps de gamberger, toujours cette peur profonde de l’inconnu.

Tel un guerrier, vocabulaire emprunté à Carlos Castaneda, totalement présent à l’expérience, je me lève pour m’assoir sur le siège de torture. J’ai rapidement avalé un ¼ d’heure avant les 2 litres d’eau sans aucune difficulté, concentré. Le facilitateur m’applique le poison sur mes points. Il se diffuse partout dans mon corps rapidement, je le sens, dans chacune de mes cellules. Grosse chaleur au niveau du visage, mon corps entre en vibration intense mais je perçois l’ensemble des sensations ressenties comme profondément apaisantes et agréables. Je respire profondément, des respirations complètes entrecoupées de petites apnées poumons vides. Je regarde droit devant moi, suis totalement dans l’expérience.

Ma petite voix intérieure ne s’interrompt pas, elle ne s’interrompra d’ailleurs jamais au cours du séjour, mais une couche plus profonde en moi m’observe, observe le mouvement de ma pensée, sans jugement.

Une deuxième phase débute, le calme avant la tempête. Je suis relaxé, il a dû s’écouler 10 minutes que déjà une envie de vomir monte en moi. Je comprends, une compréhension directe, l’intellect n’a rien à voir dans ce processus, que vomir est très subtil. On ne peut pas s’obliger à vomir mais pas plus se retenir. Tout est dans le lâcher prise, notion galvaudée de nos jours mais qui veut tout de même bien dire ce qu’elle veut dire.

Par un geste miraculeux ou réflexe, je me saisis du saut et un geyser sort de mon corps, au moment où cette compréhension, ce lâcher prise me saisit. Je me vide littéralement d’un liquide jaune. Ça vient de la bile me confirme le facilitateur, assez satisfait de moi !

Une sérénité profonde m’envahit rapidement, j’échange quelques éléments sur mes intentions formulées pour cette retraite avec les deux facilitateurs. Des propos généraux, je parle notamment de mes peurs et de la façon dont j’ai organisé ma vie pour me mettre en sécurité de façon illusoire. Une vraie pipelette ! Les choses commencent à prendre sens en moi. Touché par ma sincérité du moment, l’un des facilitateurs me dit observer un diamant brut au fond de mon cœur. Il me cueille.

Je ressors ému de la pièce et vais respirer dehors. Le temps est magnifique ce matin, le cirque de montagne, invisible la veille, m’apparait majestueux, avec une intensité saisissante. Tout est pur, les couleurs et les formes se détachent les unes des autres. J’ai une énergie intérieure qui coule littéralement en moi. Je suis serein.

Je ne prends pas de petit déjeuner, un fruit peut-être. Je suis bien, je suis ici, posé, centré. L’heure de l’intégration, 11h00, approche. C’est un moment important où les facilitateurs nous réunissent dans la grande pièce de la « toma ». Chacun peut ici parler librement, sans ressentir quelque jugement que ce soit. C’est en quelque sorte une psychothérapie de groupe, activité que je n’ai jamais considéré comme utile, encore moins comme souhaitable.

Je n’ai pas grand-chose à dire et ce sont surtout deux femmes, celles dont j’avais ressenti leur détresse la veille en observant la souffrance qui dégoulinait de leur visage torturé, qui se lâchent. Pas facile, des pleurs des sanglots, elles sont mal, elles ont mal. La facilitatrice ne dit pas grand-chose mais ses quelques mots, ses quelques phrases font mouche à chaque fois et font ressortir toute la souffrance de ces participantes. Je suis impressionnée par le savoir-faire des facilitateurs, malgré leur jeunesse.

La séance d’intégration s’achève par un petit travail qui me donne envie de prendre mes jambes à mon coup. Il faut se choisir un partenaire, se mettre face à face, et chacun son tour, considérer l’autre comme soi-même enfant, se parler ainsi à soi-même. Pudique, c’est vraiment tout ce que j’aime faire ! Mais je suis venu participer à cette expérience comme je sais faire, à fond, dans un engagement total et me voilà à m’adresser à moi-même. J’éprouve le besoin de rassurer le petit enfant toujours en moi, lui dire qu’il doit avoir confiance, que tout se passera bien et que sa vie sera belle. Je sers contre moi cet étranger, moi enfant aussi et j’ouvre mon cœur.

Je suis maintenant assez relaxe car je pense les vrais challenges terminées, j’ai fait le Kambo et ne redoute plus trop les deux séances du lendemain et surlendemain matin et vu comment s’est passée la « toma » d’Ayahuasca la veille, je n’ai vraiment aucune raison de la redouter.

L’intégration terminée, les facilitateurs s’activent déjà pour préparer la pièce pour la cession Buffo. Chaque participant, ils sont au nombre de 3 ont le droit à deux matelas. Une nouvelle fois et malgré ma décision irrévocable, je me vois décider au dernier moment d’y participer. J’ai la trouille au ventre et j’ai une nouvelle fois l’impression que Yagé a œuvré pour contourner mes peurs avec beaucoup d’habileté.

Encore une fois, je me retrouve le dernier à passer. L’expérience sous Bufo alvarius peut durer jusqu’à 1 heure. Tous les quarts d’heure, un participant est invité à fumer une petite pipe en verre. C’est l’horreur, on a eu beau nous prévenir que ce que l’on voit de la personne en train de triper est radicalement différent de ce qu’elle vit, le spectacle auquel j’assiste est choquant. Je suis littéralement mort de trouille, une trouille profonde, animale, la peur de mourir en fait. Les participants s’effondrent les uns après les autres, quelques secondes après avoir recraché la fumée, les bras en croix, certains se redressent ensuite, gigotent dans tous les sens, prononcent des phrases sans grand sens. Ils ouvrent parfois les yeux, d’un regard totalement vide, observant l’assemblée, donnant le sentiment qu’ils ne sont pas là. Non, ils ne sont clairement pas là !

Et puis très vite, c’est mon tour, je suis assis en tailleur. Mon cœur bat fort dans ma poitrine, la facilitatrice approche doucement la pipe en verre après avoir préalablement commencé à chauffer le contenu. J’ai auparavant inspiré profondément puis vidé intégralement mes poumons par la bouche.

J’aspire doucement et longuement, suivant les instructions de la facilitatrice à la lettre. Mes poumons sont pleins, je ne suis déjà plus ici, la facilitatrice me murmure de tenir l’apnée. C’est au moment où je relâche tout doucement, dans un semblant de conscience restante, la fumée par le nez que le Bufo me pulvérise littéralement vers le ciel, je me dissous dans l’infini. Je n’existe plus. Je reste en tailleur, les yeux fermés et ce mouvement puissant d’une respiration si profonde est la seule chose qui me relie à la vie. C’est l’univers qui respire en moi, l’univers tout entier est moi et je suis lui. On me raconte que pendant sept minutes environ, j’étais statufié, pas un mot, pas un geste, totalement immobile à part ce souffle de vie qui parcourait à intervalle régulier mon corps.

N’échappant pas à la règle, ces premières minutes écoulées, je m’étends tranquillement sur le dos, les bras en croix !

J’observe alors comment ma conscience, très subtilement se réincarne en moi, comment les bribes de pensée se réorganisent tout doucement, tout doucement. J’observe cela, je n’ai aucune peur, j’observe ce processus incroyable se dérouler en moi, ou ce qu’il en reste à ce moment-là !

Il m’a bien fallu encore 50 minutes pour refaire surface. 5 minutes encore avant de me redresser, je me demande comme je vais faire pour redevenir normal, pour me lever,… cela paraît totalement hors de portée et pourtant je finis par ouvrir les yeux. Je fonds littéralement en larme, une émotion d’une pureté incomparable remonte de mon ventre et m’envahit. Je pleure de tout mon être, je suis mort, je suis vivant à nouveau. Je décide de tout arrêter, comblé par cette expérience totale.

Mais non, j’ai maintenant l’habitude de mes décisions à l’emporte-pièce ! J’irai au bout de cette retraite.

Je rejoins mes camarades pour partager notre repas sur la terrasse. Je suis vivant, tellement vivant, l’émotion pure m’habite. Je regarde se dessiner le cirque de montagne qui entoure notre chalet, avec une acuité encore plus intense que ce matin après le Kambo.

Buffo alvarius est bien le papa, on ne négocie pas avec lui, on ne le dompte pas non plus. J’ai eu la chance incalculable qu’il me permette de le chevaucher un instant. Merci.

La nourriture est si bonne et je suis assez vite rassasié. Je vais me balader tranquillement dans le village, bien, serein. Il est incroyable de voir comment après avoir été dans un état pareil, quelques minutes après, on peut interagir normalement avec le reste du monde.

La journée se termine et bien vite, nous nous retrouvons pour la deuxième cession d’Ayahuasca. La préparation ne se fait pas avec du rapé cette fois-ci. Nous nous prêtons à un exercice d’ouverture des chakras, à partir d’odeurs spécifiques correspondant à chaque chakra.

Nous sommes allongés les yeux fermés et offerts aux sensations. Une facilitatrice nous fait passer une à une des bandelettes parfumées que nous respirons profondément de nombreuses minutes. Et peu à peu, nous remontons du bas vers le haut, parcourant les différents chakras, les explorons, les ouvrons. Je ne peux pas dire avoir senti l’ouverture de mes chakras mais à la fin de cette séance qui dura probablement plus d’une heure, je suis à nouveau dans un état de relaxation rarement atteint.

Et la 2ème « toma » débute, tour à tour nous nous levons pour aller nous abreuver. Je retourne me coucher, beaucoup plus confiant quant à ma capacité à supporter gastriquement la boisson d’un aspect assez chargé et d’un goût assez indéfinissable, pas très amer comme entendu ou lu auparavant. Les minutes, les heures s’écoulent, le booster est avalé et rien, rien de spécial ne se passe durant toute la cession. Je ressens une frustration montante, intense, je n’arrive pas à lâcher prise, je sens que Yagé me tend des perches pour m’emporter, avec l’intelligence de cœur et la bienveillance que je lui reconnais. Mais assoiffé de sensations fortes, je me jette comme un mort de faim sur chacune d’entre elle sans parvenir à les saisir. Je reste ici et je finis par m’emmerder sérieusement. C’est long. Je comprends, intimement une nouvelle fois, mon besoin vain de sensations fortes, mon goût pour les sports et l’engagement physique extrêmes, cela commence à faire sens.

Et puis finalement, Yagé me donne une leçon magistrale, alors que j’avais renoncé à quoi que ce soit, me prend et m’enveloppe dans un demi cocon d’une douceur extrême, me fait flotter dans l’espace infini, calme, détendu, serein encore. Yagé prend soin de mon cœur, de mon corps et me met dans un état de bien être intense, on peut appeler cela une extase profonde, que de l’amour autour et en moi.

La cession se finit alors qu’elle commençait pour moi, et le réveil est un peu difficile. Mais une seconde vécue dans cet état de bien être total valait tout le reste. Je remonte dans ma chambre, laissant certains de mes compagnons derrière moi, encore bien malades et éprouvés par cette 2ème « toma ».

Une nouvelle intégration, très intense, débute alors dans le silence de la fin de nuit. Si je ne dors pas plus, Yagé me donne une leçon de vie magistrale. Les évènements de ma vie se lient, se relient, LA vérité m’est donnée, implacable et incontestable, elle est là. Net, précis, limpide, les connexions se font en moi, les unes après les autres. Ma compréhension profonde, totale et soudaine n’a rien à voir avec une compréhension intellectuelle, c’est une compréhension qui vient du plus profond de mon être. Mon cœur me permet de voir des choses que je connais parfaitement, mais sous un angle radicalement nouveau. L’Ayahuasca agit de manière frénétique, systématique, implacable et déroule la démonstration avec assurance, bienveillance et amour. C’est incroyable.

L’amour total que Yagé me donne m’engage à vivre chaque instant intensément et à profiter du chemin au lieu d’atteindre une quelconque délivrance dans un futur hypothétique. Ma course aux sensations fortes et futures est vaine, tout est ici, maintenant, comme on dit. Oui, comme on dit, mais de le vivre au plus profond de soi change tout !

Je vis les actions que je vais mettre en place dans ma vie pour lui donner une nouvelle orientation, des évidences. Je vis les scènes, ça déroule, toujours limpide, évident.

Expérience inoubliable.

Samedi – 3ème jour

8H30, j’émerge avec énergie malgré cette sensation de tête qui tourne. Cela passe rapidement. Je repars pour une deuxième cession matinale de Kambo avec juste un peu d’appréhension. De nouveau, mes amis souffrent au cours de cette expérience, éprouvant toujours beaucoup de difficulté à vomir, après de longues minutes de souffrance.

J’ingurgite à nouveau mes 2 litres d’eau réglementaires, à jeun comme il se doit. Le facilitateur me brûle la peau et le poison coule une nouvelle fois dans mes veines, bouffées de chaleur, je respire profondément et me concentre sur mes sensations, les yeux grands ouverts. Fortes et agréables, ces sensations, mon corps entre en résonance. Je suis bien, serein.

Les minutes passent et une vague envie de vomir s’approche. Je ne sais pas si mon lâcher prise est total ou si mon corps n’éprouve plus le besoin d’expulser le poison. L’état second dans lequel me plonge le Kambo dure beaucoup plus longtemps que la veille, une bonne heure, sans que je n’éprouve le besoin de vomir. Je reste les yeux toujours ouverts, très présent, vigilant et concentré.

Et c’est déjà 11h00, la deuxième intégration du séjour. Cette fois, j’ai envie de parler et je commence à raconter les connexions qui se sont faites en moi, concernant mes relations avec mes enfants, mes parents et me reviennent des anecdotes qui me prennent aux tripes et ça déroule, tout est logique, tout est cohérent, je n’ai jamais su aborder ma vie qu’avec mon intellect là où la voie du cœur est l’unique solution. Une vive émotion s’empare de la salle au vue de la sincérité de mon témoignage. J’étais venu pour aller au bout de moi-même et c’est ce que je fais. Je ne triche pas, je ne me cache pas.

Parce que je connais par cœur, intellectuellement, les stratégies de communication, de psychologie et autre, la façon d’aborder les problèmes, je peux observer une nouvelle fois la grande habilité de la facilitatrice à placer précisément les bons mots, les mots qui me font aller plus loin dans mon introspection publique. Je suis impressionné par la précision de ses actes. Yagé se cacherait-il derrière ?!

J’ai l’impression que mon cœur s’ouvre totalement, qu’un poids très ancien se retire de mes épaules, que la respiration, que j’ai apprise avec le Bufo, se libère et que je respire plus profondément, plus intensément que jamais.

La fin du séjour approche à grands pas et le dernier soir est là. Je ne sais si c’était Yagé qui me l’avait suggéré pendant la cession de la veille ou ma propre force de conviction, mais je sentais qu’il me fallait plus d’Ayahuasca pour aller plus loin. Je décide d’en parler à la facilitatrice. Elle me dit que cette décision m’appartient et que bien sûr, si j’en veux plus, il suffit de le demander. À la bonne heure !

Allongés sur nos matelas, nous attendons calmement le début de la « toma ». Le facilitateur vient vers moi et me sert dans ses bras chaleureusement Je ressens son émotion au vue de l’intensité du processus de changement amorcé en moi au cours de cette retraite et il me le manifeste.

Le facilitateur nous prépare un rapé plus fort, toujours à base de tabac mais accompagné d’autres plantes non précisées dans la mixture. Il m’en insuffle une dose dans chaque narine avec toute son intention et l’effet est puissant. Je respire profondément en gardant tout mon calme malgré la brulure intense que je ressens au niveau des sinus.

Puis la facilitatrice nous administre notre dose maintenant quotidienne d’Ayahuasca. Je retourne à ma place, m’allonge immédiatement car je sais que l’Ayahuasca est bonne envers moi et ne me veut que du bien durant cette retraite. Je ne vomirai pas. Je suis apaisé, profondément centré mais rien de très particulier ne se produit. Le temps passe vite et la musique prend toute sa dimension dans l’expérience.

Et la facilitatrice nous éveille déjà pour nous proposer le booster. Je me lève titubant un peu les premiers pas et me dirige vers elle. Je lui demande une double dose et l’avale d’un trait. Je regagne ma couche. Le facilitateur arrive peu de temps après à côté de moi pour s’occuper d’une voisine en souffrance. Je lui demande à nouveau un rapé. Il me demande de patienter mais bientôt, il me fait signe de venir. Avec une intension toute particulière, je le vois dans ses yeux, il se prête à quelques rituels avant de m’administrer le rapé dans chaque narine. Quelle force dans ma tête. Je regagne ma couche, reste assis un moment à respirer, par la bouche les premières minutes. Je suis posé, centré, impeccable. Ma respiration est lente et puissante.

Alors que la musique envoutante monte progressivement en moi, je pars dans l’espace, univers de fractales, dégradés de gris de jours d’orage en montagne. Je me ballade dans cet espace majestueux à couper le souffle, la musique et les fractales ne font plus qu’un. Je veux aller plus haut, plus loin, explorer mais Yagé me retient dans cet espace. L’exploration de l’infini n’est pas pour aujourd’hui, je le comprends instantanément. Je n’insiste pas, à quoi bon !

Je voyage ainsi pendant un certain temps et au loin, je finis par distinguer une forme particulière, je m’en rapproche, immense, allongé, il s’agit de mon propre corps. Ma tête rayonne comme un immense soleil en expansion, d’un jaune très chaud. Et je vois la présence de Yagé s’occuper intensément de mon corps, le parcourant de ces ondes expertes, frénétiquement, mais toujours dans un mouvement juste. Yagé sait, cela ne se discute pas. Il scanne mon corps profondément et tout semble parfaitement fonctionner. Il s’arrête néanmoins au niveau de mon ventre et toujours avec une rapidité et une dextérité incroyable, dans un mouvement juste et vrai, parcours et dénoue chaque fibre de mon ventre, toutes ces tensions, tous ces blocages accumulés au cours des 50 dernières années. Les tensions sont dénoués une à une. Je ressens physiquement des remous au tréfonds de mon ventre, durant ce traitement de choc. Oui, il se passe bien des choses au cœur même de mon enveloppe physique. Yagé est vraiment en train d’accomplir un miracle en redonnant de la fluidité et de l’harmonie dans mon ventre.

Je suis profondément ému par la beauté du spectacle que Yagé m’offre. Je m’allonge et pars rapidement dans un espace infini d’amour et d’extase totale. Yagé prends soin de moi, me rassure, me montre que la vie n’est qu’amour. C’est un moment d’une rare poésie. Ce sont des instants magiques que je vis, quel magnifique cadeau.

La cession se termine et je regagne ma chambre avec une énergie incomparable, une envie de rigoler et de plaisanter. Je m’en abstiens, certains camarades encore allongés et en peine. Mes deux intégrations solitaires des deux derniers petits matins sont encore tellement présentes en moi, je suis curieux de savoir ce que Yagé me réserve.

L’Ayahuasca va alors m’offrir une expérience à la hauteur de celle du Bufo, avec beaucoup plus de douceur et de tendresse mais une même détermination sans faille. L’Ayahuasca est bien féminine, c’est une évidence.

Je ne comprends pas ce qui se passe, des sensations très fortes et bizarres m’assaillent. C’est la seule fois au cours du séjour où j’aurai pu, pendant les expériences, me laisser gagner par la peur. Mais non, Yagé me rassure par je ne sais quel moyen et je m’abandonne une nouvelle fois totalement à l’expérience. Yagé me « décorpore » littéralement. J’abandonne mon enveloppe corporelle cette fois et meurt d’une autre manière. Bien que plus conscient qu’avec le Bufo, l’expérience est tellement loin de mon champ de compréhension que je ne pourrais en dire plus. Je me souviens clairement de la difficulté à finalement réintégrer mon corps, faisant un parallèle avec la reconstruction de ma pensée après le Bufo, très progressivement.

Je reste silencieux, en état de choc après l’intensité extrême de cette expérience. Je ressens une gratitude infinie pour ce que je viens de vivre et l’amour déborde de mon ventre en un flot continue. J’en aurai chialé.

Dimanche – 4ème jour

La fin approche, pour la dernière fois en compagnie de mes trois compagnons de Kambo. Je propose au facilitateur de faire le Kambo sans rien boire, c’est comme cela que je le sentais ce matin où comme cela que Yagé me l’avait suggéré. Je voulais également faire un rapé au cours de cette expérience. Il ne préfère pas me voir expérimenter le Kambo sans eau, ayant appris cette pratique par des chamans qui affirment que l’eau est un point fondamental dans l’expérience. Je n’insiste pas et bois mes 2 litres d’eau réglementaire.

Assis droit et centré sur le fauteuil, les points de Kambo me sont appliqués une dernière fois et le processus débute, toujours cette vibration dans tout le corps. Les 2 fois précédentes, je contrôlais ma respiration pour la rendre profonde et ample. Ce jour, je me fais confiance, j’ai appris à respirer et je laisse faire le mouvement infini et fluide du souffle. Je suis totalement dans mon corps, calme et observe fixement autour de moi. Au bout d’un quart d’heure, toujours aucune envie de vomir, juste un bien être absolu. Le facilitateur me dit que j’ai dû relâcher toutes les toxines et blocages les jours précédents. Il me sort un rapé conçu pour être pris avec le Kambo. Je n’ai toujours aucune idée des plantes mélangées au tabac que je m’apprête à absorber.

Ce rapé est puissant. Il me fait transpirer instantanément à grosses gouttes, les larmes coulant doucement du coin de mes yeux. Je m’abandonne totalement à l’expérience. Nous échangeons informellement avec les facilitateurs, ils trouvent les bons mots, je suis bien et en confiance totale, entouré de leur bienveillance. Et l’intégration continue, compréhension complète des rapports entre mon père et moi-même, rapprochement avec mes propres relations avec mon fils cadet. Je pleure devant l’amour qui déborde littéralement de mes entrailles. Profonde sensation de bien-être et de gratitude devant cet état d’ouverture totale de mon cœur au monde.

Merci Kambo, voici la trace qu’il me laisse. Elle disparaitra bientôt mais restera au plus profond de moi-même.

 

11h00, dernière intégration où pour finir, participants et facilitateurs, nous nous prenons dans les bras les uns des autres, devenu une partie de nous-même. Après ces épreuves traversées et partagées ensemble, un lien fort nous unis ce jour-là. Nous ouvrons notre cœur, nous partageons ce sentiment d’être humain, de faire partie de la même famille, d’être un.

Épilogue

Pendant les jours qui suivent, je continue d’intégrer mon expérience tous les matins. Yagé est encore en moi et se manifeste puissamment. Je respire comme jamais, sentant mon bas ventre totalement relâché, sans aucune tension. Je perçois les évènements extérieurs avec détachement et acuité. Je suis dans l’action. Pas grand-chose ne me touche et comme je l’avais vu au cours de mes intégrations matinales, j’ai pu sans retenue changer de mode de communication avec mes proches et agir ainsi efficacement dans ma vie personnelle.

Bien sûr, tout cela va s’estomper progressivement et les mauvaises habitudes mentales reprendre le dessus. En fait je n’en sais rien. Cette expérience a profondément bouleversé un grand nombre de mes certitudes. Je m’étais préparé mentalement à une expérience violente et difficile, je n’ai eu que beauté, amour et compréhension globale. Cette expérience m’oblige à reconsidérer ma vie qui n’est pas un combat à gagner, des résultats à obtenir mais un chemin d’une beauté de chaque instant.

La compréhension que l’on peut atteindre avec l’aide de ces puissants enthéogènes est tout bonnement incroyable. Ce n’est pas pour rien que l’Ayahuasca est appelé « Medicina » en Amazonie. La réflexion consciente et l’intellect pur s’effacent et nous avons ainsi accès, je le crois parce que je l’ai vécu au cours de cette retraite, à la vérité vraie. Cette vérité n’est pas négociable, cela ne ressemble pas à une opinion que l’on peut s’amuser à questionner. Cette vérité est le résultat d’une compréhension totale et intime de tout. Certains éléments de cette compréhension nous sont parfaitement connus mais notre point de vue change. Il est global, total.

Je ne veux pas dénaturer cette expérience fondatrice en ressassant, en la transformant et en accordant trop d’importances à ces expériences sensorielles vécues. Elles ne sont qu’anecdotes. En fait, elles n’ont aucune importance. Ce qui compte, c’est ce processus de changement qu’elles peuvent induire, agissant en puissant catalyseur. Seul le processus enclenché est important, ce que j’en fais ici et maintenant.

Tout être humain peut rencontrer dans sa vie un catalyseur, qui sera pour les uns, la mort d’un être aimé, une frustration extrême ou tout autre évènement profondément perturbateur. Dans certains cas, ces évènements extérieurs provoqueront une compréhension très profonde et un changement radical s’en suivra.

Quand je me remémore les visages des participants en début d’expérience et que je les compare avec nos beaux visages de la fin, rayonnants, je me dis que l’Ayahuasca est vraiment une « medicina » exceptionnelle. Je porte la conviction que c’est un fantastique moyen de dénouer, débloquer de façon intentionnelle sa vie.

Bien sûr, rien de miraculeux, libre à chacun de continuer le processus ou de retomber dans ses ornières personnelles, d’en faire une expérience mystique absolue ou de se recentrer sur le présent. C’est mon choix mais il est évident que j’ai envie de poursuivre la découverte de l’inconnu, de m’y frotter car au fond de chaque être humain, il y a le désir de comprendre, d’aller plus loin. Le secret de la vie réside bien dans l’instant, on nous le répète sur tous les tons, dans toutes les langues, depuis la nuit des temps, et en plus, je l’ai vu ! Oui, le secret de la vie réside tout simplement dans la beauté de l’instant. Rien ne sert de chercher encore et encore, de se péter le crâne à vouloir trouver ce qui est ici, tout simplement. C’est si simple, trop simple, cela doit être la raison pour laquelle Homo Sapiens n’y parvient qu’en de rares et fugaces instants.

Musique

Ai-je bien insisté sur le rôle prépondérant de la musique dans cette expérience ? Parmi tant d’excellents morceaux, en voici trois emblématiques qui me rattachent encore à la Pachamama. Tout y est !

Ivan Donaldson – Aguila Aguile

Nessi Gomes – Pacha Mama

Danit Treubig – Cuatro Vientos - Aliento

Hugues Dantin

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