17 octobre 2017

Airbus risque de tomber aux mains des Américains


Sous le coup d’affaires de corruption, le groupe aéronautique a lancé depuis deux ans une enquête sur ses agents commerciaux en utilisant un cabinet d’avocats new-yorkais. Au risque de mettre en péril l’entreprise.

L’ambiance est tendue, en ce vendredi 24 mars 2017, au nouveau siège opérationnel d’Airbus, à Blagnac, dans la banlieue de Toulouse. Une discrète réunion y est organisée entre les équipes du directeur juridique de l’avioneur européen, le Britannique John Harrison, et le management d’Airbus Helicopters, une des divisions du groupe d’aviation, autrefois filiale d’EADS dénommée Eurocopter. Autour de la table, les esprits s’échauffent. Objet de la rencontre : faire le tri entre les agents commerciaux qui ont participé à la finalisation de différents contrats. Ces « intermédiaires » qui jouent souvent un rôle crucial dans les négociations commerciales entre industriels de la Défense et Etats clients, parfois dans des zones qualifiées avec pudeur « d'environnement à risques » : Moyen-Orient, Afrique, Asie…

Justement, sur le plan commercial, Airbus Helicopters a connu une année 2016 très difficile avec l'annulation d'un gros contrat avec la Pologne. Dans un contexte où le marché mondial des hélicoptères est particulièrement atone, l'entreprise, présente en France, au Bourget et à Marignane (où travaillent 8 000 salariés), envisageait l'automne dernier de procéder à de nombreux licenciements. Pour éviter le pire, son président, Guillaume Faury, a fait monter la pression sur ses équipes pour remporter d'autres marchés. Résultat, à Noël, un agent local a réussi à concrétiser un contrat avec le Koweït de 30 hélicoptères militaires Caracal, pour un montant de 1 milliard de dollars. Mais, malgré cette incontestable réussite, la direction centrale d'Airbus a décidé de ne pas payer cet intermédiaire !

L'OPÉRATION MAINS PROPRES DU PDG S'EFFECTUERAIT "AVEC BRUTALITÉ ET UNE CERTAINE ABSENCE DE MAÎTRISE".

« Il a pourtant fait un énorme travail, c'est lui qui a permis de récupérer le premier acompte auprès des Koweïtiens pour démarrer le contrat », nous confie l'un des cadres d'Airbus Helicopters. Une quarantaine de millions de dollars seraient en jeu. Depuis janvier, l'agent a relancé le groupe à de nombreuses reprises. Silence radio. Et, lors de la réunion à Toulouse, quand le responsable juridique de la division hélicoptères évoque une nouvelle fois le cas de l'agent koweïtien, il reçoit encore une fois une fin de non-recevoir. « Mais vous avez un format de lettre pour lui annoncer officiellement qu' il ne sera pas payé ? » demande alors le responsable juridique… Même réponse négative. Poussé à bout, ce haut cadre, d'ordinaire si flegmatique, se lève de son siège et quitte la réunion en claquant la porte… L'affaire de cet agent koweïtien, comme tant d'autres, se réglera devant un tribunal arbitral…

RÉSEAUX POLITIQUES

En réalité, depuis la fin de 2014, Airbus a tout simplement décidé de ne plus payer ses agents locaux, ou certains consultants et prestataires extérieurs, les « partners », comme on les appelle. La plupart d'entre eux sont en fait issus des réseaux historiques de l'industriel français Jean-Luc Lagardère, disparu en 2003, et de ses équipes. Un héritage commercial considérable dans de nombreuses parties du monde. Cette décision illustre la volonté du PDG d'Airbus, l'allemand homas Enders, de faire un grand ménage. Il a choisi de lancer, en 2015, un grand audit interne. Outre le choc suscité par cette initiative, ce sont des années de pratiques commerciales qui sont aujourd'hui remises en question, alors qu'Airbus est sous le coup de plusieurs enquêtes lancées par des organismes anticorruption, notamment le Serious Fraud Office (SFO), en Grande-Bretagne, ou le Parquet national financier (PNF), en France (lire l'encadré, p. 13).

Cette opération mains propres d'Enders est d'autant plus mal vécue au sein d'Airbus qu'elle se déroule « avec brutalité et une certaine absence de maîtrise »,selon un des prestataires du groupe aéronautique. Des témoins racontent que les auditeurs passent au crible les ordinateurs et les téléphones portables des cadres dirigeants avec collecte systématique de leurs données informatiques. Même topo pour les agents extérieurs, qui sont obligés de transmettre l'ensemble de leurs rapports d'activité (et donc leurs réseaux…) « Les gens sont scandalisés qu'on prenne leurs carnets d 'adresses, leurs disques durs… » rapporte l'un d'eux. Une centaine de contrats seraient aussi concernés par des investigations plus poussées, notamment en Chine, en Turquie, en Corée, au Moyen-Orient. En retour, les plaintes d'agents contre Airbus se multiplient. « Le vrai sujet, c'est la disparition industrielle d'Airbus à terme, avec ce vrai pillage d'information ! » s'emporte un autre.

A travers cet audit exceptionnel, certains secrets du groupe aéronautique pourraient-ils tomber entre de mauvaises mains ? « On a violé toute la politique commerciale du groupe. En bazardant nos réseaux, Airbus devient aveugle dans tout un tas de pays compliqués. C'est comme si le groupe avait perdu d'un coup la compréhension de ces marchés potentiels. C'est une perte considérable », déplore de son côté un commercial du groupe.

Thomas Enders, qui a décidé de lancer cette procédure d'audit sans même avertir les autorités françaises et allemandes (l'Etat français est actionnaire d'Airbus à 11,11 % ; l'Etat allemand à 11,09 %), ne pouvait donc ignorer ce risque. Il ne pouvait pas, non plus, ignorer qu'avec cette enquête interne les grands contrats historiques du groupe aéronautique avec leurs lots de commissions et rétrocommissions liées aux réseaux politiques de la République française et de l'Etat fédéral allemand seraient exhumés. Mediapart estimait celles-ci, la semaine dernière, à plusieurs centaines de millions d'euros. « En prenant une telle décision, il revenait sur toute la période de Jean-Paul Gut [directeur de l'international chez EADS de 2000 à 2007], un des fidèles de Jean-Luc Lagardère, qui connaît tout des secrets du groupe, de la période de la banque Arjil et de Matra, de Taïwan, aux contrats au Qatar, en Arabie saoudite ou en Libye. C'est comme si vous ouvriez un placard et qu' il y avait 12 squelettes qui vous tombaient dessus ! » ironise un expert des dossiers de défense.

LA LOI DE WASHINGTON

Mais l'initiative du PDG du groupe aéronautique suscite une autre question. Pourquoi a-t-il décidé de confier ce fameux audit à un cabinet d'avocats new-yorkais, Hughes Hubbard & Reed, qui a une antenne dans la capitale française près de la place de l'Etoile ? Très proche des milieux démocrates américains, ce cabinet a également travaillé par le passé pour KBR, une filiale de Hal-liburton, la société pétrolière très liée aux réseaux néoconservateurs sous la présidence de George W. Bush. « Du côté des services français, tout le monde a été alerté, la DGSE, la DGSI, le secrétariat général de la défense nationale, mais personne n'a vraiment réagi, ils sont tous tétanisés à l' idée que les vieux dossiers sortent et, au final, personne n'a anticipé les difficultés… » se désespère un industriel de la défense.

Chez l'avionneur européen, un haut cadre reconnaît que « le fait de passer par des avocats extérieurs pour cet audit augmente la vulnérabilité de l'entreprise. En ouvrant nos archives, cela intéresse forcément des gens. Mais si nous avions pris un cabinet bien de chez nous, on se serait retrouvés avec la même problématique. Vous savez, les Américains ont des agents de toutes les nationalités… » Sauf que, dans le cadre du droit américain, tout juriste a l'obligation de dénoncer à son administration tout manquement à la loi de ses clients, ce qui n'est pas le cas dans le droit français. En d'autres termes, si les Américains découvrent des manœuvres frauduleuses en épluchant les contrats d'Airbus, ils devront en informer la justice américaine… De quoi accroître la vulnérabilité de l'entreprise… Sollicité par Marianne , le groupe aéronautique n'a pas souhaité communiquer. Selon nos informations, le groupe aurait déboursé près de 180 millions d'euros en honoraires pour réaliser cet audit.

"LES AMÉRICAINS ONT L'HABITUDE DE S'ATTAQUER À NOS ENTREPRISES EN IMPOSANT LEUR DROIT CONTRE LA CORRUPTION."

En réalité, Hughes Hub-bard & Reed est l'un des deux seuls cabinets d'avocats présents à Paris réellement reconnus par les institutions américaines pour travailler sur des dossiers de « compliance » (« conformité »), dans le cadre de la loi fédérale contre la corruption, la Foreign Corruption Practice Act (FCPA), qui s'impose de plus en plus en dehors des Etats-Unis, sans que cela ne provoque une réaction forte et coordonnée de l'Union européenne. En effet, le Department Of Justice (DOJ), bras armé du procureur américain, frappe désormais à peu près partout dans le monde (dans son esprit, le fait d'utiliser le dollar, un serveur informatique, une puce électronique ou un satellite de communication américains le rend compétent !), comme les sociétés françaises Alstom, BNP, ou Alca-tel ont pu s'en apercevoir à leurs dépens ces dernières années… (lire l'encadré, p. 13).

Si la lutte contre la corruption est un objectif de salubrité publique, doit-elle pour autant se faire aux dépens des intérêts français et européens ? « Les Américains ont pris l' habitude de s'attaquer aux mœurs commerciales de nos entreprises en imposant leur droit contre la corruption -ils appellent cela lacompliance -, sans forcément l'appliquer à eux-mêmes », nous explique ainsi un juriste expert. « On s'attend que les investigations durent quelque temps, probablement des années », avait ainsi affirmé, début juin, Thomas Enders au Wall Street Journal. Une déclaration étrange, d'autant qu'il reconnaissait aussi que le groupe devait faire face à de « sérieux problèmes de compliance »! « Dans toute cette histoire, Enders cherche surtout à garantir son immunité. En interne, il appelle ça « la purge » », raille ainsi l'un des rares hauts responsables français de l'ancienne majorité à accepter de nous parler.

Toujours est-il que pour mener cette opération « mains propres » et apparaître « compatible » aux yeux des Américains, le PDG d'Airbus a fait appel à un Britannique, John Harrison, devenu en 2015 directeur juridique et secrétaire général du groupe. En réalité, il s'agit d'un ancien responsable juridique de la maison EADS, parti entre-temps chez Technip, fleuron français de l'ingénierie du pétrole (les raffineries, les plates-formes…) devenu américain, en 2016, dans l'indifférence générale… Dans ses précédentes fonctions, chez Technip, Harrison s'occupait déjà avec zèle de la sacro-sainte « compliance ».

BERCY OUVRE LE PARAPLUIE

Pour l'heure, chez Airbus, l'audit qui a été mené conjointement avec le Français Marwan Lahoud, l'ancien directeur de l'international et de la stratégie du groupe, a déjà livré quelques conclusions. Il a ainsi amené la direction juridique à constater différentes anomalies dans les déclarations envoyées à l'organisme britannique qui assure les crédits à l'exportation, l'UK Export Finance (Ukef), l'équivalent de la Coface française. Parmi ces anomalies, des inexactitudes sur certains montants de prestations d'agents, ou des oublis de déclarations d'intermédiaires pour certains contrats… De sérieuses erreurs, mais « pas de soupçons de corruption », selon un cadre d'Airbus.

Néanmoins, John Harrison, le directeur juridique d'Airbus, a dénoncé ces anomalies auprès du SFO britannique, début 2016, lequel a immédiatement diligenté une enquête : « En fait, dans un premier temps, c'est bien Airbus qui a saisi le SFO ! Sur ce dossier, les Britanniques n'ont pas été à l' initiative. Ils n'ont pas déclenché eux-mêmes leur enquête. Et l'Etat français n'a rien vu passer ! »assure un bon connaisseur du dossier côté Airbus.

A l'été 2016, quand le SFO annonce officiellement son enquête sur Airbus, il est déjà trop tard pour arrêter le processus « livres ouverts » chez l'avionneur. Bercy, qui a la tutelle sur le groupe aéronautique, via l'Agence des participations de l'Etat (APE), va d'ailleurs suivre le même chemin que les Britanniques. Au nom de l'article 40 du code de procédure pénale, qui oblige tout fonctionnaire à dénoncer tout crime ou délit dans l'exercice de ses fonctions, les services du ministère vont saisir dès l'automne 2016 le PNF. « Ah, pour ouvrir le parapluie, ils sont bons ! ironise-t-on du côté de l'hôtel de Brienne, le ministère des Armées. L'Etat a totalement été aveugle sur le sujet. Nos représentants ne voient rien. Le président du conseil de surveillance d'Airbus, Denis Ranque, ne voit rien non plus. Au final, on ne sait rien, et il n'y a aucun pilotage de notre prise de participation dans le groupe. Bercy préfère regarder ailleurs et se réfugier derrière la loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique… » Selon un ancien conseiller du gouvernement, Catherine Guillouard, une énarque récemment nommée à la présidence de la RATP, et qui faisait office de représentante informelle de la France au conseil d'administration d'Airbus, n'a jamais fait remonter une seule information auprès de l'Etat…

"LE GOLEM A ÉCHAPPÉ À SES MAÎTRES ET IL EST DÉSORMAIS HORS DE CONTRÔLE."

Au sein de la direction d'Airbus, l'heure est également à l'ouverture des parapluies. Dans les milieux de l'aéronautique et de la Défense, certains initiés craignaient pour Airbus une amende du SFO de 6 milliards de livres… Désormais, ladite amende pourrait se monter à « seulement » 800 millions ou 1 milliard de livres. Cette nouvelle estimation est justement le fruit de la collaboration active du groupe avec les autorités britanniques, selon un cadre d'Airbus : « Les méthodes du SFO sont très hypocrites. C'est à l'anglo-saxonne. Ils vous incitent en fait à procéder vous-même à l'enquête, à coopérer. Résultat, vos avocats vous poussent à être le plus transparent possible. Vous pouvez aussi décider de tout fermer comme Alstom par le passé, mais un beau matin vous voyez débarquer les polices anglaise et française… » Une forme de chantage, en somme, dont la conséquence la plus immédiate est tout de même la neutralisation du réseau historique d'Airbus. De même, l'ensemble des crédits exports, que cela soit en Grande-Bretagne, en France ou en Allemagne, sont actuellement interrompus.

Pour ne rien arranger, certains cadres historiques du groupe ont été écartés depuis deux ans, comme Jean-Pierre Talamoni, qui dirigeait jusqu'en 2015 le Strategy & Marketing Organisation (SMO), un département hérité de l'époque de Jean-Paul Gut, spécialisé dans les « grands contrats » internationaux, et depuis supprimé. Le financier du SMO, Olivier Brun, surnommé au sein du groupe « le notaire », a également été remercié par la direction actuelle. Selon la lettre Intelligence Online du 7 juin, ces deux piliers historiques ont été récemment entendus par les enquêteurs du PNF : « La stratégie du groupe est claire : se retourner contre ses propres cadres ayant signé des contrats dans des environnements à risque, et ce, afin d' épargner le management en place », estime la lettre d'information.

« Le Golem a échappé à ses maîtres, et il est désormais hors de contrôle », estime ainsi un bon connaisseur d'Airbus. Déjà, parce que la plupart des contrats en cause ont été contresignés par de nombreux hauts cadres, et parce que, dans certains pays, les ventes commencent à fléchir, même si un cadre nous assure, un brin bravache : « On pensait ces agents indispensables. En fait, on fait sans eux. Le monde change, on ne fait plus de commerce international comme il y a vingt ans. » Début juillet, le groupe a ainsi annoncé la vente de 140 avions en Chine pour 23 milliards de dollars.

AMBITION INTERNATIONALE

Mais c'est surtout le départ, en février dernier, de Marwan Lahoud, puissant directeur de l'international et de la stratégie, et cofondateur d'EADS, qui a ébranlé les équipes, et jusqu'au cœur de l'Etat français, qui conservait jusqu'alors, grâce à ce pilier d'Airbus, un lien privilégié au sein du groupe. « La France a beaucoup perdu dans le dispositif. Tout ceci nous file entre les doigts », commente un acteur de la Défense. Ainsi, Fabrice Brégier, patron des avions civils Airbus (la division historique qui assure 74 % du chiffre d'affaires) et considéré ces dernières années comme le numéro 2 du groupe auprès d'Enders, vient de voir ses prérogatives rabotées : le Français de Toulouse ne chapeautera désormais plus les réseaux commerciaux, la stratégie et le marketing. Au point que certains au sein du groupe se demandent si Brégier va encore rester longtemps, d'autant que GDF-Suez l'aurait démarché ces dernières semaines.

« A une crise commerciale pour Airbus s'ajoutent donc une crise de gouvernance et une crise industrielle », souligne un expert aéronautique. Depuis son arrivée à la tête du groupe, en 2012, Thomas Enders a transformé à marche forcée l'organisation du constructeur aéronautique qui compte aujourd'hui 134 000 salariés dans le monde (66,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires). D'un conglomérat industriel rassemblant plusieurs structures indépendantes (EADS), où l'Etat français disposait encore d'une influence certaine, le PDG allemand, surnommé « Major Tom » du fait de son passé d'officier parachutiste, a réussi en cinq ans à en faire un groupe intégré sous la seule marque Airbus (lire l'article, p. 17) qui a, selon lui, une vocation globale : « C'est l'un des atouts d'Airbus d'être, dans son ADN, véritablement international et de savoir profiter de la diversité mondiale pour en faire un avantage compétitif », expliquait-il l'année dernière aux Echos. Dernier épisode de ce projet : la fusion, en début d'année, de la filiale historique d'aviation civile Airbus avec le reste du groupe pour tenter de supprimer des « doublons », avec plus de 1 000 suppressions d'emplois à la clé.

MISE EN GARDE

« Enders a réorganisé l'organigramme en centralisant tout sur lui, et il fait tout pour assurer son indépendance, il ne veut dépendre ni de la France, ni de l'Allemagne », déplore un haut fonctionnaire français. L'aéronautique fait pourtant partie des industries stratégiques, composantes essentielles des enjeux modernes de souveraineté. Et, à l'heure où Airbus traverse également des difficultés industrielles (retards répétés sur le programme de l'A400M, l'avion de transport militaire, retard de livraison de l'A350, mauvaises ventes de l'A380), l'avenir du groupe aéronautique est devenu l'un des sujets prioritaires de discussion entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. Selon nos informations, le président français et la chancelière allemande comptent faire entendre fortement leur point de vue à Thomas Enders dans les prochains mois.

Ils envisagent même de bouleverser le contrôle du groupe. En mars dernier, en pleine campagne présidentielle, le candidat Macron, dans son discours sur les questions de défense, avait ainsi rappelé aux grands groupes du secteur qu'il veillerait « à ce que le poids de la France dans leur management soit cohérent avec les emplois présents sur notre territoire ».

Des propos qui visaient manifestement Thomas Enders et ses rêves de bâtir une société transnationale dont la stratégie serait d'abord indexée sur le cours de Bourse. Au moment où le président de la République a rappelé sa volonté de relancer des programmes industriels dans le cadre de la défense européenne, la stratégie d'Enders, qui fonde, lui, tous ses espoirs sur le marché civil américain où se dessine un prochain renouvellement des flottes des compagnies aériennes, sera-t-elle encore d'actualité ? Enders, qualifié d'« Américain » par un acteur de la Défense, n'a jamais caché ses positions atlantistes. Membre du comité de direction du groupe Bilderberg et de l'Atlantik Brücke (« Pont atlantique », en allemand), une association patronale qui prône le resserrement des liens entre les deux rives de l'Atlantique dans tous les domaines, le PDG a comme objectif prioritaire le développement d'Airbus aux Etats-Unis. C'est aussi dans ce cadre qu'il a lancé le vaste audit de compliance de son groupe. Dès 2015, il avait ainsi inauguré une usine Airbus à Mobile, dans l'Etat d'Alabama (en plus de son usine à Tianjin, en Chine), et même un centre de recherche ultramoderne à San Jose, dans la Sillicon Valley, dirigé par un ancien de Google et de l'agence de recherche du Pentagone, Paul Eremenko. Pour assurer son pôle R & D à Toulouse, Airbus a aussi débauché en début d'année un ancien du prestigieux Massachusetts Institute Of Technology (MIT), l'ingénieur Olivier de Weck.

Enfin, pour augmenter les cadences de production de son A350, le groupe n'a pas hésité à faire appel à Palantir, une discrète start-up américaine spécialisée dans la big data (l'analyse d'énormes volumes de données numériques), une entreprise aidée par le fonds d'investissement de la CIA (la société a également remporté un autre marché en France avec la… DGSI).

Mais tous les moyens sont-ils bons pour qu'Airbus gagne la future compétition mondiale face aux Chinois de Comac, qui viennent de lancer le C919, un moyen-courrier qui dispose déjà de 570 commandes, et qui pourrait lancer, dans trois ans à peine, un long-courrier, le C929, concurrençant directement l'A350 ou le B787 ? Car le groupe Airbus ne doit pas oublier sa vocation européenne : « Il n'y a aucune raison pour qu'Enders fasse la pluie et le beau temps tout seul », prévient-on aujourd'hui dans les milieux de la défense français. Une vraie mise en garde.

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