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Emmanuel
Macron sait bien qu’il n’a pas encore gagné la partie. La secrétaire
d’État qui le soutient, Juliette Méadel, a beau estimer que les 66,1 %
des voix qu’il a recueillies dimanche sont « un blanc-seing » pour
« aller au bout de sa réforme du droit social et du Code du travail »,
son projet n’a pas obtenu l’adhésion des Français, en particulier du
côté de cette majorité qui s’est opposée à la loi El Khomri au printemps
2016. Celui qui rentrera à l’Élysée à la fin de la semaine espère donc
jouer de l’effet de surprise en passant par des ordonnances au cœur de
l’été.
1. L’éclatement généralisé du Code du travail
C’est le cœur de la réforme voulue par le nouveau
président de la République élu dimanche : « Donner plus de place à
l’accord majoritaire d’entreprise ou de branche. » En clair, Emmanuel
Macron veut pousser au bout la logique qui a guidé la loi travail, qui
est celle de généraliser la dérogation à la loi et aux normes
nationales, jusqu’à inverser complètement la « hiérarchie des normes »
sociales, au détriment du « principe de faveur » qui voulait que des
accords conclus à un niveau inférieur ne pouvaient qu’améliorer les
protections accordées au niveau supérieur. « La possibilité de détruire
un avantage social n’est pas une invention de la loi travail, rappelle à
ce sujet Emmanuel Dockès, professeur à l’université Paris
Ouest-Nanterre. Mais celle-ci l’a systématisée et généralisée » dans le
domaine du temps de travail. Emmanuel Macron propose de l’étendre à
toute l’organisation du travail. C’est ainsi que « les horaires
effectifs », qu’Emmanuel Macron distingue de la durée légale du travail,
mais aussi « les conditions de travail et les salaires » seront
« négociés au plus près du terrain », de préférence au niveau de
l’entreprise ou, « à défaut », de la branche. De quoi donner corps à la
crainte exprimée par la CGT d’un Code du travail par entreprise.
« L’idée d’une règle commune n’a pas les faveurs d’Emmanuel Macron,
constate Emmanuel Dockès. Il y a effectivement un risque de disparition
progressive de la règle commune. »
Le nouveau président de la République entend mener cette
réforme au nom de l’emploi, en visant l’objectif d’un taux de chômage
« ramené à 7 % en 2022 ». Pour Emmanuel Dockès, la « croyance » en un
lien entre le chômage et le niveau de protection des salariés relève
pourtant de l’« idéologie ». « L’idée selon laquelle l’accroissement de
la flexibilité, c’est-à-dire l’accroissement du pouvoir des employeurs,
est la source d’une meilleure compétitivité et de création d’emploi est
très ancienne. Elle n’a été démontrée à aucun moment, explique le
chercheur. Au contraire, des études de l’OCDE démontrent qu’il n’y a pas
de corrélation entre le taux de chômage et le taux de protection. » Le
professeur de droit du travail y voit un « vice de raisonnement, qui
consiste à faire confiance aux grands entrepreneurs pour dire ce qui est
bon pour l’emploi. Mais ce qui est bon pour le grand patronat n’est pas
forcément bon pour la société entière ».
2. Les chômeurs sanctionnés pour les rendre flexibles
Non content de promettre la nationalisation de
l’assurance-chômage pour mieux la transformer en « assurance
universelle », Emmanuel Macron envisage de se lancer dans la chasse aux
demandeurs d’emploi. Dans le pacte qu’il propose, si une personne refuse
deux emplois dits décents ou ne peut justifier d’une « intensité » de
recherche d’emploi suffisante, le versement des allocations sera bloqué.
En parallèle de ce durcissement des règles, le nouveau président met en
avant l’élargissement de l’assurance-chômage aux professions libérales
et aux démissionnaires. Il évoque aussi l’orientation des chômeurs vers
des formations « vraiment qualifiantes », laissant présager une prise en
compte des desiderata patronaux avant les besoins des précaires.
En réalité, l’ex-ministre de l’Économie se contente de
recycler de vieilles recettes, suivant la voie d’un Nicolas Sarkozy qui
avait instauré la loi sur l’offre raisonnable d’emploi (ORE) en 2008.
Au-delà de deux postes non acceptés, le chômeur est bouté hors des
listes de Pôle emploi pour deux mois. Dans les faits, ce dispositif,
censé faire chuter artificiellement les statistiques, s’est révélé très
peu applicable, l’ex-locataire de l’Élysée ayant sabré des milliers de
postes dans les effectifs de l’ex-ANPE. Le scénario est un peu différent
avec François Hollande. Accentuant la stigmatisation et le flicage, le
président de la République sortant s’était montré favorable à la
création d’une brigade de 200 conseillers Pôle emploi dédiés au contrôle
renforcé des chômeurs. Un dispositif de harcèlement qui n’a pas
contribué à abaisser les chiffres du chômage. Pour remettre au travail
les 5,5 millions de chômeurs et précaires (dont 3,5 millions sans aucune
activité), Emmanuel Macron s’entête dans la même logique répressive et
inefficace que ses prédécesseurs. Sans mentionner le problème numéro
un : l’absence d’offres d’emploi suffisantes par rapport à la demande.
Hier, seules 713 999 annonces de travail étaient disponibles sur le site
Web de Pôle emploi.
3. Licencier sans justification en muselant les prud’hommes
Emmanuel Macron revient à la charge sur le plafonnement
des indemnités prud’homales. Cela veut dire qu’il veut sécuriser
financièrement les entreprises qui licencient « sans cause réelle, ni
sérieuse ». « C’est une véritable escroquerie intellectuelle, dénonce le
professeur de droit Emmanuel Dockès. Les patrons réclamaient le droit
de pouvoir licencier sans qu’on leur demande des comptes. Plutôt que
d’accéder directement à cette requête, qui serait franchement choquante,
Emmanuel Macron s’attaque à la sanction. Une forme de clin d’œil au
patronat puisqu’on leur dit : si vous ne justifiez pas les
licenciements, ne vous inquiétez pas, ce sera seulement un peu plus
cher. »
Aujourd’hui, un licenciement justifié par une raison jugée
sérieuse coûte très peu cher à l’entreprise. En revanche, lorsqu’il est
dit « sans cause réelle, ni sérieuse », donc basé sur un prétexte ou
sur la simple justification d’augmenter les profits, l’employeur
s’expose à un recours en justice, qui fixe le montant des indemnités à
verser au salarié selon l’appréciation du préjudice subi. Les plafonds
envisagés par Emmanuel Macron s’annoncent dans certains cas tellement
bas qu’ils risquent de ne même pas couvrir les frais de justice de
l’employé licencié sans raison. « Les sommes maximales prévues pour
indemniser les salariés sont le plus souvent inférieures aux sommes
accordées lors des plans de départs volontaires, renchérit Emmanuel
Dockès. Comme on mesure une obligation à sa sanction, on peut en
conclure que, dans la pratique, l’obligation de justifier un
licenciement risque de disparaître. » Les patrons n’auront qu’à
« provisionner » à l’avance leur plan de licenciement non justifié.
C’est la troisième fois qu’Emmanuel Macron veut faire
passer cette mesure. La première, dans la loi Macron, avait été retoquée
par le Conseil constitutionnel. La deuxième fois, le plafonnement des
indemnités s’est glissé dans la loi El Khomri. Avant d’être supprimé
pour tenter de calmer la contestation. Pour espérer passer le barrage du
Conseil constitutionnel, Myriam El Khomri avait modifié le critère du
barème pour prendre en compte principalement l’âge et l’ancienneté du
salarié licencié sans raison. Emmanuel Macron devrait reprendre la même
tactique.
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«A chaque fois que vous vous retrouvez à penser comme la majorité des gens, faites une pause, et réfléchissez...» Mark Twain
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