08 juin 2015

Affaire Lambert


C’est tout de même une drôle d’obsession du XXIe siècle, que de se croire supérieur à tous les autres. Il faudrait croire que le XXIe siècle a inventé la « dignité », une « dignité » que n’auraient pas connue les autres époques. Une « dignité » qui permettrait à un juge de contredire mère et père sur le chapitre de la vie de leurs fils.

Croire sérieusement que la souffrance humaine n’est devenue la préoccupation des législateurs qu’avec nos médiocres gouvernements peut faire sourire. À bien des titres. La souffrance humaine est, depuis la nuit des temps, au cœur des préoccupations des faiseurs de lois. Il est des époques bien plus glorieuses que la nôtre qui traitaient les personnes souffrantes avec humanité et qui pratiquaient l’euthanasie conformément à ce qu’elle a toujours été : une pratique d’une exceptionnelle gravité à laquelle on ne recourait qu’en désespoir de cause.

Ce qui n’est jamais rappelé, c’est l’équilibre trouvé par l’ancien système. L’euthanasie était réprimée pénalement ; théoriquement, le procureur poursuivait tout médecin l’ayant pratiquée. Est-ce à dire que l’euthanasie n’était jamais pratiquée ? Est-ce à croire que les hôpitaux regorgeaient de jusqu’au-boutistes prêts à barricader leurs établissements pour faire souffrir des personnes en fin de vie ? Avions-nous constaté que nos cours d’assises et nos prisons étaient pleines de médecins ? Non. C’est une évidence. L’euthanasie était pratiquée, mais dans des conditions garantissant le droit à la vie. L’ancien système considérait que la menace d’une condamnation pénale était la meilleure manière de garantir le consensus. Seuls étaient poursuivis les (très rares) médecins qui procédaient à une euthanasie sans l’appui total de tous les proches. Tel était l’équilibre : une exigence de consensus plein et entier. L’avantage de cet équilibre était celui de la clarté : la vie était considérée comme si précieuse qu’il fallait l’entourer des garanties les plus graves.

Monsieur Lambert va donc se voir privé d’hydratation. Nous autres, les lecteurs, les citoyens, nous ne saurons jamais la vérité. Le fond de cette histoire. Nous n’aurons pu qu’assister au triste déchirement d’une famille et à la confrontation de thèses opposées. Cette affaire n’aurait jamais dû être portée devant les tribunaux. C’était encore une vertu de l’ancien système : la sanction de l’euthanasie était si grave que tout était fait pour que la famille trouve en elle-même une solution, un consensus, une idée de ce qui pouvait être « le mieux », le « moins pire » pour la personne souffrante.

Qu’on se le tienne pour dit : il n’y a pas de gentils dans ce genre d’affaires. Il n’y a pas de méchants non plus. Il n’y a que des personnes désespérées et confrontées aux plus âpres confins de la vie. Il n’y a que des proches décontenancés, désarmés, impuissants. Mais il y a maintenant, à côté de ces personnes, des juges qui, eux, ne doutent de rien et ne tremblent jamais.

Me Yohann Rimokh
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