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29 mai 2014

Découverte d’un sanctuaire antique monumental dans l’Oise

C’est un chaos de pierres calcaires, en bordure d’une route nationale, indéchiffrable au premier coup d’oeil. En s’approchant, on y devine des formes ciselées, animales ou végétales, parfois géométriques. Plus loin, c’est une oreille humaine énorme qui pointe, une corne de caprin ornant une moitié de crâne, un cheval hennissant, des ailes de griffon brisées. Avançons encore entre les flaques et le sol sableux, jusqu’à cette femme agenouillée, dont le buste s’évanouit dans l’effritement de la roche. Tout à côté, le visage d’une vieille, une main en cornet, semble chuchoter une histoire oubliée.

« Cette vieille femme est décrite dans deux textes antiques », à propos des amours de Vénus-Aphrodite, explique Véronique Brunet-Gaston, responsable de cette fouille conduite à Pont-Sainte-Maxence (Oise) par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sur un site qui doit accueillir un centre commercial. La vieille femme et la déesse pétrifiées font partie d’un ensemble architectural exceptionnel que son équipe met au jour depuis deux mois, et qui a été présenté à la presse, mardi 27 mai. Un sanctuaire de la seconde moitié du IIe siècle après Jésus-Christ, dont la pièce maîtresse était une façade de 90 mètres de long, 9,5 mètres de haut, pour un mètre d’épaisseur seulement.
  Reconstitution de la façade antique de Pont-Sainte-Maxence (Oise). | CHRISTOPHE GASTON/INRAP

Ce mur, percé d’une série de 13 à 17 arcades, s’est effrondré peu après son érection, la face décorée tournée vers le ciel. Pour quelle raison ? Difficile de l’affirmer, mais la nature sablonneuse du sol a pu saper la construction. « Sur une telle hauteur, il suffit d’un petit désordre au niveau des fondations pour que tout bascule », indique Christophe Gaston, architecte archéologue à l’Inrap, qui a procédé à une première reconstitution, sur papier, de l’édifice. Il est surpris par la légèreté de ses prédécesseurs antiques: « Il fallait être un peu gonflé pour construire une telle façade sans contreventement », lâche-t-il. Reconstitution de la façade antique de Pont-Sainte-Maxence (Oise). | CHRISTOPHE GASTON/INRAP

La joie des archéologues de se retrouver devant un édifice unique en son genre dans cette région de l’empire romain est ternie par ce coup du sort : si l’effondrement s’était produit dans l’autre sens, la statuaire qui surmontait l’ensemble aurait probablement eu de meilleures chances de conservation. Les Anciens auraient certes récupéré une partie des blocs de pierre taillées, comme ils l’ont fait, pour construire un autre édifice cultuel dans l’enceinte du sanctuaire. Mais les têtes monumentales dont seule la face arrière est aujourd’hui visible auraient gardé leur visage plongé dans le sable, à l’abri pour des siècles.

Quelle était la fonction d’une telle muraille ornée ? Vers quel monument cultuel servait-elle de passage ? Les archéologues n’ont pas encore les réponses. Des inscriptions de bronze qui l’ornaient, seule la barre d’une lettre a subsisté, muette. Parallèle à la voie romaine qui reliait Senlis à Beauvais, le mur s’élevait près de vestiges gaulois. On ne connait pas de grande agglomération gallo-romaine toute proche. Mais à Pont-Sainte-Maxence, des quais de déchargement antiques ont été mis au jour qui peuvent laisser penser que d’autres vestiges restent à découvrir.

EVERGÉTISME ?

« A la fin du règne d’Antonin, on est à l’apogée de l’Empire », rappelle Véronique Brunet-Gaston. En cette période particulièrement faste, de riches propriétaires ont-ils voulu marquer leur dévotion envers le panthéon gréco-romain en élevant un monument en leur honneur ? Est-ce une manifestation d’évergétisme, cette tradition conduisant les puissants à bâtir pour l’édification de la collectivité ? « Il y a une sorte d’hubris à voir, ici, un monument qui aurait aussi bien eu sa place à Rome », note l’archéologue.

La qualité de la statuaire laisse penser que des artistes de métropole (Rome), voire venus de Grèce, ont œuvré ici. Les attributs divins (paon de Junon, carquois et arc de Diane), les visages ou ce qu’il en reste (Vulcain, Hadès, Jupiter-Ammon aux cornes de bélier, mais aussi des griffons) respectent les canons de la statuaire hellenistique, avec une technique qui semble encore plus relevée que celle observée sur le temple de Champlieu, distant de 40 km. Des traces de peinture sont encore visibles : le rouge cinabre côtoyait un vert un peu pastel et des jaunes qui réhaussaient encore l’éclat de l’édifice et des statues.

Que faire de tels vestiges ? La fouille doit s’achever début juillet pour laisser place à l’érection d’un autre temple, de la consommation. D’ici là, le puzzle de pierre sera dégagé, les plus belles pièces ayant déjà été soustraites pour étude à la convoitise des pillards – qui ont déjà volé des pièces de monnaie ! Une reconstitution en dur serait envisageable. Mais pour l’heure, les travaux se poursuivent, pour tenter de comprendre la présence de cette éphémère dentelle de pierre.

Il est un secret mieux connu, celui que chuchotait la vieille femme pétrifiée. Homère raconte (Odyssée VIII) qu'elle avait dit aux Dieux où se cachait Aphrodite (Vénus pour les Romains), honteuse d'avoir été surprise par son mari Héphaïstos (Vulcain) avec Arès (Mars), son amant. Pour punir l'indiscrète, la déesse la changea en pierre...

Hervé Morin
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