02 novembre 2013

Rhapsodie de concert pour violon et piano 1924



«Ces tsiganes donnent envie, tantôt de danser, tantôt de pleurer, ou de faire les deux à la fois […] on deviendrait fou si on les écoutait plus longtemps !»
Charles Baudelaire


«Ces airs hongrois très originaux, joués par des musiciens bohémiens, qui font perdre la tête aux gens du pays. Cela commence par quelque chose de très lugubre et finit par une gaieté folle qui gagne l'auditoire, lequel trépigne, casse les verres et danse sur les tables.»
Prosper Mérimée

«À l'intention de notre amie, qui joue si aisément, vous m'avez convaincu de composer un petit morceau dont la difficulté diabolique fera revivre la Hongrie de mes rêves et, puisque ce sera du violon, pourquoi n'appellerions nous pas cela Tzigane ?»
Maurice Ravel
s'adressant à Bartók à propos de la violoniste Jelly d'Aranyi

L'introduction 
nous plonge d'emblée dans une atmosphère solennelle. Dès le premier frottement de crins, la corde grave s'enflamme, déversant d'incomparables sonorités ténébreuses et envoûtantes. Les yeux mi-clos, transperçant de son archet le silence par
tons singuliers, l'artiste sème le trouble dans nos coeurs indolents. En cavalier solitaire, sans
 ambages, le soliste avance avec bravoure et nous déclame un monologue de 
haute voltige...

Au paroxysme de cette tension, la main gauche assène un fulgurant glissando qui libère l'atmosphère... Le thème reprend alors, cette fois-ci en octaves, l'intensité a monté d'un cran ! De ce violon exacerbé sort des glissandos, des pizzicati,
 des dissonances, des sifflements, des éclairs, des chants mystérieux, des danses païennes aux rythmes à vous couper le souffle... L'ivresse tzigane s'installe dans toute
 sa splendeur, exhibant son insolente joie de vivre à la face du monde, dans une
 célébration intense de l'instant présent.


Animé d'une folie soudaine, le clavier se rêve en harpe, montant et descendant
 des arpèges au gré des trilles espiègles du violon.
Sur une psalmodie pianistique, surgit le thème hypnotique...


Ravel nous emmène en voyage, à travers la Hongrie, la Transylvanie,
la Roumanie, l'Orient, l'Espagne, dans le folklore d'un peuple "aux semelles de 
vent" avec son goût des grands espaces, de l'évasion, ça y est ! Nous voilà de 
retour à la vie nomade !


Le violon prend alors un langage de sorcier, extrayant d'occultes mélodies du
 fin fond de son âme, réveillant le monde des croyances anciennes profondément
 enfouies. Au fur et à mesure, un cortège d'ondines, de sylphes et de salamandres d'une étrange beauté 
surgissent de leurs abîmes, tandis que rôdent en silence, fiers sous l'immobile astre de la nuit, les légendaires spectres de Liszt et de
 Paganini.


Les carcans étriqués de la convenance éclatent en morceaux, libérant une spirale 
d'énergie sensuelle, magique, en constante ébullition.
 À nouveau le thème, cette fois les pizzicati sonnent comme un cymbalum de Valaquie, puis, très haut perché en harmoniques, l'on distingue le chant magnifique de "trois beaux oiseaux du
 Paradis"...


Ça s'emballe, ça galope, une ardente cavalcade, on entend les sabots de noirs pur-sangs à travers les 
steppes ; le piano martèle alors des accords, et amorce quelques pas
 de danse, une danse pieds nus sous les étoiles, pour reprendre contact avec ses racines, ses 
ancêtres. Une danse des fils de la terre, aux gestes sauvages, instinctifs.

On croit reprendre un instant ses esprits, mais cette brève accalmie n'est qu'un leurre, ce rythme chaloupé hisse les voiles du "bateau ivre", bancal, insaisissable, il nous nargue et ricane par sa ritournelle claudicante, le vertige 
n'est pas loin... Un déluge de doubles-croches s'abat dans nos 
écoutilles, on voit trente-six chandelles qui se consument par les deux bouts ! Un vrai brasier !


L'harmonie sort de ses rails et se lance à la poursuite du soliste dans un accelerando diabolique.
 Des sommets de virtuosité sont atteints dans cette grisante « friska »(1), qui monte droit à la tête comme un shot de vodka. Une frénésie dionysiaque phénoménale happe tout sur 
son passage ! Au summum de ces zigzags sonores, le thème des
 débuts se consume comme une trainée de poudre, et une dernière envolée vient défier les lois de
la pesanteur, pour s'achever en apothéose sur trois accords !

Acta est fabula(2) !

Stefan Lefèvre

1. Friska : partie rapide d'une Csárdás, danse folklorique hongroise, reprise par les gitans.

2. Acta est fabula : la pièce est jouée. C'est ainsi que dans le théâtre antique, on annonçait la fin de la représentation.


Source

2 commentaires:

  1. Texte qui sort des sentiers battus mais il faudrait préciser de quelle oeuvre on parle, c'est le Tzigane de Maurice RAVEL là !
    Donc il faudrait le notifier dans le titre, ce n'est pas la sonate en sol majeur comme indiqué dans le titre, merci. La photo très drôle, les tziganes ou gitans avec ou sans dents sont souvent de très grands virtuoses ! je vous suggère d'écouter monsieur Paul cette version:
    http://www.youtube.com/watch?v=XvskZIlfmko
    'Avis aux amateurs et bravo pour les infos.

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  2. Du Kusturica musical: http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=3&ved=0CEoQtwIwAg&url=http%3A%2F%2Fwww.dailymotion.com%2Fvideo%2Fx13mhn_bande-annonce-chat-noir-chat-blanc_shortfilms&ei=kxV2UpiuPOWg0QXIwIGwDw&usg=AFQjCNFMIj35G1lcGY6itwypxvKOjRn6_g&sig2=dh4gcfe3Mlcn1cvoTt_c6Q&bvm=bv.55819444,d.d2k

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