Première économie de la zone euro, peu ébranlée en apparence par la crise, les vertus économiques de l'Allemagne font l'unanimité. Une image qui fait oublier que le pays traîne quelques casseroles.
Ce qui est admirable, avec les germanolâtres
qui pullulent ces derniers temps, c’est leur désinvolture au sujet de la
croissance. Alors qu’un économiste consacre 90% de son agenda à la
croissance économique (études sur la « soutenabilité » de la dite
croissance, comparaisons dans le temps et dans l’espace), le RFA-baba et
l’allemaniste primaire ne semblent pas gênés des performances minables
enregistrées outre-Rhin depuis la réunification : 1,2% de croissance en moyenne annuelle, contre 1,1% au Japon. Bien entendu, l’Allemagne est un pays de cocagne et le Japon l’homme malade de l’économie mondiale, à la lecture de ces chiffres c’est évident!
Est-ce que cette faible croissance germanique serait vertueuse et pérenne, c’est à dire tirée par l’innovation ? Bof.
Regardons la croissance annuelle moyenne de la productivité par tête de
1999 à 2011 (données Datastream) : Allemagne 0,76%, c’est mieux que la
France (0,68%) ou que l’Italie (0,37%), mais c’est moins bien que la
Suède (1,49%) et nettement moins bien que les Etats-Unis (2,32%). A
quelques exceptions près (SAP, BASF…), l’Allemagne est peu présente dans
le secteur high tech, et ses gains de productivité dans le secteur des
services sont déplorables.
Ajoutons que,
depuis 22 ans, les 18 millions d’attardés qui roulaient il y a peu en
Trabant auraient du soutenir la croissance allemande par un effet de
rattrapage (quand on part de très bas, il est plus facile de
progresser) ; il n’en a rien été et l’on voit même des commentateurs
inattentifs qui en font un argument de réhabilitation de la croissance
allemande au motif que les transferts vers l’ex-RDA ont coûté cher, mais
passons. Avec 1,3 enfant par femme et une convergence désormais aux
deux tiers réalisées entre la RFA et la RDA en termes de productivité, l’Allemagne
ne risque de toute façon pas d’enregistrer dans les années à venir des
performances de croissance très supérieures à celles, minables, des
années 90 et 2000.
On nous dit qu’à
défaut de croitre l’Allemagne crée de l’emploi. C’est faux. Primo, la
durée de travail hebdomadaire par tête a reculé de 7% depuis 1999 (alors
qu’elle a progressé de 2% en Suède et aux Etats-Unis, et n’a reculé que
de 3% dans la France des 35 heures ; données Natixis). Deusio, la baisse récente du taux de chômage en Allemagne masque un faible taux de participation
(en hausse certes de 2 points entre 2002 et 2006 du fait des réformes
Schröder, mais encore inférieur à 60%, contre 67% en Suède et 65% aux
Etats-Unis ; données Banque mondiale) : ce n’est pas difficile
d’enregistrer un taux de chômage à 7% quand on paye les gens à rester
chez eux ou quand ils ne font même plus l’effort de faire semblant de
rechercher du travail.
On nous dit qu’à défaut d’être très productive et
innovante et vectrice d’emplois l’Allemagne conquiert des parts de
marchés (la « compétitivité »). C’est bien là le drame mercantiliste,
cette réduction du débat à la capacité exportatrice, une réduction
parfaitement affligeante dans une économie mondiale de plus en plus
immatérielle et parfaitement absurde quand on connait la
réalité de la fragmentation des chaines de valeur globales. Au fond, le
problème avec l’Allemagne c’est qu’elle ne respecte pas l’impératif
catégorique kantien : si son modèle mercantiliste était appliqué
par tous les pays, il faudrait plusieurs Terre ou plus exactement il
faudrait de nombreux extraterrestres avec qui commercer, car
par définition tous les pays du monde ne peuvent pas avoir une balance
commerciale excédentaire. Je changerai donc d’avis sur le modèle
Allemand le jour où nos amis de Krypton, de Vega et de Coruscant se
manifesteront.
Une des explications de la
bonne santé des exportations manufacturières allemandes est par ailleurs
systématiquement oubliée dans le débat public : les Allemands profitent
à plein de l’euro. Ce dernier a été conçu pour faciliter une
spécialisation à l’échelle du continent, sur le modèle des économies
d’agglomération que l’on observe aux USA (au passage, ce projet de
l’euro est foncièrement incompatible avec l’idée très française de
saupoudrage industriel, mais passons) ; les allemands se sont
spécialisés là où ils disposaient d’un avantage comparatif, très
classiquement. De plus, ils ont été protégés des « dévaluations
compétitives » (entre 1949 et 1989, le franc français par exemple a
perdu environ 30% de sa valeur tous les 10 ans…), autrement dit les
allemands bénéficient désormais d’une sorte de détente monétaire
relative qui ne dit pas son nom avec plus de 50% de ses partenaires
commerciaux. Sympa !
Ajoutons que le bilan des
finances publiques allemandes n’est pas aussi sain qu’on le croit, le
hors-bilan réserve bien des surprises et à peu près rien n’est
provisionné pour la suite (ni la sortie du nucléaire, ni le
vieillissement).
L’Allemagne a en effet multiplié comme à plaisir les bombes à retardement budgétaires.
Beaucoup de gens n’ont pas beaucoup entendu parler des structures de
défaisance louches et de HRE (Hypo Real Estate) : dommage, ces dossiers
correspondent à 20 fois le Crédit Lyonnais et échappent aux radars
budgétaires pour mieux permettre toutes les tartufferies.
Si l’Allemagne semble se porter bien (la
fable du borgne au pays des aveugles, en vérité), c’est en raison de
facteurs à la fois temporaires et peu avouables : un effet ciseaux positif sur les taux d’intérêt pour la période récente (du fait du flight to quality
associé à une crise européenne que l’Allemagne entretien avec maestria,
les taux longs allemands sont enfin très inférieurs au rythme de sa
croissance nominale, après une longue période où les taux étaient trop
hauts en Allemagne pour permettre comme ailleurs des folies
immobilières), et l’hypocrisie budgétaire la plus éhontée (faites ce que je dis, l’austérité, ne faites surtout pas ce que je fais, subventionner le temps partiel et les banques).
Mais le pire, ce n’est pas tant la trahison par rapport à Kant que la trahison par rapport à Clausewitz (le refus de tout Schwerpunkt
monétaire), c’est cette influence germanique calamiteuse sur la
politique monétaire en zone euro, cette fausse orthodoxie, cette version
pervertie du monétarisme qui conduit toujours à agir trop peu et trop
tard. Milton Friedman se retournerait en effet dans sa tombe s’il
écoutait les logorrhées verbales d’Axel Weber et de Jürgen Stark depuis
le début de la crise (en caricaturant à peine : « une inflation par les
coûts ou par le pétrole, ça existe », « la politique monétaire est
accommodante puisque les taux baissent », « on peut supporter un taux de
change euro-USD à 1,50 », « étendre le bilan de la BCE, c’est forcément
inflationniste », « la déflation est un fantasme », « les agrégats
monétaires n’ont plus rien à nous apprendre », « le banquier central
peut donner des leçons aux gouvernements démocratiquement élus et les
discipliner », etc.). Nous sommes tous victimes d’une secte (la
Bundesbank) à qui on aurait donné les clés du Vatican et les codes de la
force de frappe nucléaire. Et l’on feint de s’étonner ensuite de la « japonisation » du continent.
Est-ce à dire qu’il n’y a rien à prendre dans ce « modèle », pour nous français ?
Effectivement : les seuls points positifs du modèle allemand (un vieux
fonds capitaliste familial qui fait que l’on traite sérieusement la
question de la profitabilité des PME en ne les surchargeant pas trop
d’impôts comme l’ISF ou de réglementations comme le SMIC, un fédéralisme
accompagné d’un très faible nombre de fonctionnaires fédéraux…) ne sont
pas spécifiquement allemands et feraient plutôt penser à un pays
anglo-saxon (horrensco referens !). Dès que
les allemands germanisent en rond (cogestion, retour au charbon,
mercantilisme…), ils font du sur-place, et nous font reculer.
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