Majorité absolue ou pas, on sent qu’une question traîne dans tous les esprits : en cas d’arrivée au pouvoir du Rassemblement National, comment se comportera la haute fonction publique, celle qui, dans la pratique, organise les Jeux Olympiques et tient si souvent les véritables rennes du pouvoir ? Les hauts fonctionnaires (énarques en tête) résisteront-ils à l’extrême droite ? ou bien se plieront-ils, comme ils l’ont si souvent fait au-delà des dénis éphémères, à l’ordre ambiant ? Les informations commencent à circuler et nous les récapitulons aujourd’hui.
On connaît la manie propre aux hauts fonctionnaires de “se la raconter” : si le Rassemblement National arrive au pouvoir, je résisterai ! Et hop, trois semaines plus tard, les voilà tous le petit doigt sur la couture du pantalon, prêts à obéir comme un seul homme, tout en jurant leurs grands dieux d’être de grands résistants justifiant leur érection en Grand Croix de la Légion d’Honneur. Voilà une illusion auto-proclamée qui ne mange pas de pain, et qui rend à bobonne le petit surplus de libido qui lui manque terriblement à chaque dernier dimanche du trimestre.
Sauf que, on en pensera ce qu’on voudra, l’habileté bardello-lepenienne rend l’exercice un tantinet plus compliqué.
Habileté bardello-lepenienne
Côté habileté, donc, on relèvera cette obsession de la “dédiabolisation” qui méritera un jour une longue psychanalyse, avec Marine et Jordan côte-à-côte sur un divan pour s’essayer à la catharsis collégiale. Qu’on nous permette une private joke : c’est moins jouissif qu’un essai collectif de sextoy, mais politiquement, ce peut être très productif.
Bref, pour ne plus être considéré comme un parti d’extrême droite créé par des nostalgiques de la SS, les responsables du RN sont prêts à beaucoup de compromis. On a même vu le petit lion de feu Jean-Philippe Tanguy devenir rapporteur (quel mot ambigu !) d’une commission sur les ingérences étrangères où le lionceau enflammé a passé sous silence les ingérences américaines pour n’évoquer que d’hypothétiques ingérences poutiniennes dont on attend les signes tangibles. Ce jour-là, Tanguy s’est livré à une vraie préparation de danseuse de pool-dance qui devrait beaucoup l’aider dans les semaines qui viennent ! l’état des finances publiques l’obligera en effet à avaler de nombreuses couleuvres, et à revenir sur l’ensemble des promesses de campagne qu’il a proposé à Marine Le Pen de signer.
Mais, comme disent les gens du cirque, avaler est un métier qui n’est pas donné à tout le monde. Respect pour ceux qui y parviennent !
En tout cas, dans l’ordre de la dédiabolisation, Bardella a réussi un tour de force : proposer de revenir sur les fusions de corps (décidément, le RN mérite le grand prix de la sensualité politique) décidées par Macron. Ces fusions conduisent un diplomate à appartenir à la même entité que les Préfets ou que les chefs de bureau de Bercy. Cette mesure imposée verticalement par le Président en titre n’a certainement pas ravi tout le monde.
En proposant d’abroger la réforme macroniste (soyons francs : remettre en cause une réforme de la fonction publique c’est un peu utopique, mais c’est un autre sujet), Bardella enfonce un coin dans la détestation dont le RN fait l’objet.
Selon nos informations, bon nombre d’énarques hostiles à la réforme macroniste (on retrouvera ci-dessous la réaction de Daniel Keller, ancien grand-maître du Grand Orient à ce sujet) sont tentés par les sirènes bardelliennes qui promettent de revenir en arrière. Et là, c’est un coup de maître du RN, qui parvient à donner des biscuits aux hauts fonctionnaires qui ne rêvent que d’une chose : trouver de bons arguments pour justifier un ralliement opportuniste aux nouveaux maîtres de la cantine professionnelle. Après tout, la réforme de l’Etat vaut bien un plat de lentilles.
Bardella et la méthode Don Corleone
Soyons clairs : la proposition de Bardella a tout de la méthode Don Corleone qui, dans le Parrain de Coppola, faiait à ses adversaires des propositions auxquelles on ne peut pas dire non. Sous peine du pire.
Et lorsque le Rassemblement National propose d’abroger la réforme macroniste qui les a fait bouillonner, voilà une proposition à laquelle on ne peut pas dire non. Sous peine de se dédire.
Sur le fond, je n’irai pas jusqu’à prétendre que le Rassemblement National a raison. On peut reprocher beaucoup de choses à Macron (et je ne m’en prive pas). Il n’en reste pas moins que la fonction publique aujourd’hui est une somme de blocages corporatistes déconnectés de la réalité. Fusionner les corps, dans ce contexte, est loin d’être absurde et répond à de vraies questions réalistes. On peut toujours contester la réponse, mais elle n’est certainement pas absurde.
En proposant de détricoter cette réforme impopulaire; Bardella fait aux hauts fonctionnaires une proposition qui ne peut se refuser, car c’est une proposition opportuniste contre le bon sens historique.
Si nos informations sont justes, Bardella, en proposant de revenir à l’existant antérieur à Macron, marque des points : il flatte les hauts fonctionnaires dans le sens d’un poil qui leur allait bien. Comment continuer à détester et mépriser un parti qui propose une telle mesure ?
Don Corleone ne faisait pas mieux, avec un marché entre les mains : ceux qui refusaient la proposition à laquelle on ne peut pas dire non le faiaient à leurs risques et périls.
A leurs risques et périls
Reste que, comme nous le faisions remarquer dans notre papier consacré au Préfet Thomas Campeaux, à Laon, certains hauts fonctionnaires mènent un combat idéologique contre les possibles nouveaux arrivants au pouvoir. Il faut combattre “l’extrême droite”, appellation paresseuse, commode, vide de sens, qui regroupe sous la même étiquette tous ceux (de plus en plus nombreux) dont le système ne veut plus. Le mot d’ordre est simple : plutôt que d’interroger la crise de la démocratie, distinguons deux camps. D’un coté, ceux qui soutiennent le pouvoir, les fréquentables, en quelque sorte. D’un autre côté, tous ceux qui se posent des questions, donc les gens d’extrême droite, qu’il faut bannir, stigmatiser et raboter autant que possible.
Que ferait Bardella, s’il arrivait au pouvoir, face à ces mauvais coucheurs qui confondent leur statut de fonctionnaire (en principe dédiés à l’intérêt général) avec une charge personnelle payée par la République bonne poire ?
La réponse à cette question est l’épreuve de vérité.
En 1943, l’Assemblée d’Alger avait organisé et théorisé l’épuration : tous ceux qui refusaient la proposition don Corleone, celle à laquelle on ne peut pas dire non, étaient exclus de la fonction publique. Dans la pratique, face aux désordres ambiants, De Gaulle fera une application attentiste de cette doctrine, et la IVè République finira par proposer une loi d’amnistie. Conduisant au semi-coup d’Etat du 13 mai 1958.
Bardella fera-t-il mieux que la IVème République ? Tiendra-t-il sa ligne ?
C’est probablement la seule question qui soit utile. Car menacer sans agir, c’est toujours perdre son autorité.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2024/06/27/bonne-idee-bardella-veut-traiter-la-haute-fonction-publique-en-mode-don-corleone/
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