21 avril 2024

Éoliennes « tueuses » : Didier a perdu plus de 450 bovins en 10 ans

Didier Potiron refermait pour la dernière fois les portes de son hangar jeudi 2 février 2022, avant son départ définitif de la ferme de Puceul (Loire-Atlantique). ©Léo GAUTRET/L’Éclaireur de Châteaubriant

Le couple Potiron a vendu sa ferme et maison de Puceul (Loire-Atlantique) après 10 ans de lutte contre les éoliennes « tueuses ». Plus de 450 animaux seraient morts par leur faute.

« C’est un bâtiment mort, il n’y a plus de vivant. L’élevage est terminé. » D’une voix monotone portée par l’écho, Didier Potiron jette un dernier regard à ce qu’il reste de son lieu de travail.

Environ 365 bovins étaient présents au quotidien dans cette étable familiale de Puceul (Loire-Atlantique), qu’il arpente de long en large depuis 1969. Mais après 10 ans de lutte acharnée, à se battre contre les moulins à vent, le couple a décidé de lâcher l’affaire.

Le 7 décembre 2022, ils cédaient leur exploitation à un agriculteur. Fini l’élevage. La ferme et ses 131 hectares de terres, dont 61 en propriété, seront désormais destinés à la culture céréalière.

La maison liée à la ferme avait quant à elle trouvé preneur l’été dernier. « Le projet d’installation de notre fils nous a fait prendre conscience qu’on devait passer à autre chose. On ne pouvait pas se développer ici. Tout le site est envahi de nuisances, il n’y avait pas de solution. » 

450 animaux morts en 10 ans

À quelques encablures de là, les pales d’éoliennes tournoient lentement. Leur mise en service en juillet 2013 aura fait basculer le rêve d’éleveurs des Potiron dans un cauchemar. « On s’est arrêtés à 450 animaux morts en 10 ans », résume Didier Potiron, accoudé à sa table en bois, à quelques heures de dire adieu à sa ferme. Une triste moyenne de 45 bovins morts chaque année depuis 10 ans, contre 10 à 15 par an auparavant.

Ses dernières bêtes ont été emmenées le 27 décembre dernier. Des bovins qu’il ne supportait plus de voir souffrir. Inflammations musculaires et articulaires, problèmes de fertilité, morts subites… Par la force des choses, Didier Potiron était devenu un expert des pathologies qui décimaient son bétail.

Le matin c’était un stress permanent lorsque je faisais le tour pour faire le point sur le nombre d’animaux en souffrance. Je devais pousser les vaches, matin midi et soir, pour les forcer à aller à la traite. On retrouvait des animaux morts le matin, épuisés par le stress.

Didier Potiron et sa femme avaient entamé une nouvelle procédure judiciaire en 2021 pour réaliser des expertises sur les câbles électriques du parc des Quatre seigneur. ©Léo GAUTRET/L’Éclaireur de Châteaubriant

Un péril invisible

Le fonctionnement du parc éolien des Quatre seigneurs, son activité électrique dans le sous-sol et ses nuisances aériennes seraient, selon le couple d’éleveurs, responsables de cette surmortalité et de la baisse de productivité laitière de son bétail. En plus d’avoir mis en péril leur activité agricole, l’activité des éoliennes serait, selon eux, la cause de problèmes de santé de Murielle Potiron. 

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« Depuis notre départ de la ferme, ça va beaucoup mieux », rassure son mari.

Elle n’a plus de crises d’épilepsie. Ça fait quatre mois qu’elle ne vient plus ici, et elle ne veut plus y mettre les pieds.

Didier regrette pour sa part d’avoir dû abandonner son exploitation, malgré une lutte acharnée. « C’est une exploitation laitière en moins », glisse-t-il, amer. « Les syndicats professionnels comme les élus, personne ne nous a aidés pour trouver une maison ou pour délocaliser notre activité comme l’État nous y invitait en août 2018. Seuls l’Anast (Association nationale animaux sous tension, NDLR) et Le Mouvement de la ruralité nous ont soutenus. » 

Didier et Murielle Potiron ont vendu leur ferme, leurs vaches et leur maison en région de Nozay, éreintés par dix ans de combat contre les éoliennes. ©Cécile ROSSIN/L’Éclaireur de Châteaubriant

Une expertise qui se fait attendre

En l’espace de 10 ans, une trentaine d’expertises de toutes sortes ont été menées dans la ferme et sur le site éolien pour traquer l’origine du problème. Toutes étaient diligentées par la préfecture, mais financées par l’exploitant du parc éolien ou Enedis. « L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, NDLR) se base sur des rapports qui ne sont pas neutres », martèle Didier Potiron. 

C’est pourquoi en août 2021, une expertise des câbles électriques enfouis reliés au parc éolien a été demandée par le couple d’agriculteurs, « à nos frais », soit environ 10 000 €. Une « certaine usure » avait été constatée par Enedis en novembre 2015 lors d’un contrôle, mais n’était pas venue aux oreilles de l’ancien éleveur de Puceul. 

Cette nouvelle expertise permettrait de vérifier ou d’écarter la présence de fuites de courant sous terre qui pourraient, le cas échéant, générer des champs électromagnétiques nocifs pour la santé. 

Une demande acceptée par le tribunal judiciaire de Nantes en novembre 2021. Un expert judiciaire a déjà été nommé. Mais depuis, rien ne bouge.

En février 2022, l’exploitant du parc et Enedis décident de faire appel de la décision du tribunal. La décision de la cour d’appel était attendue le 27 septembre 2022, avant qu’elle ne soit finalement reportée au 18 octobre, puis 14 autres fois depuis, jusqu’à ce mardi 14 février.

« Ce qu’on ne comprend pas, c’est qu’ils fassent appel alors qu’ils n’ont rien à débourser pour cette expertise. Nous, on veut éclaircir cette situation et avancer. Pour nous et les riverains qui vivent les mêmes problèmes. S’il n’y a pas de fuite électrique, on pourrait écarter cette piste-là. Mais je pense qu’on a touché à un sujet délicat… » 

L’énorme enjeu que représente le déploiement de l’éolien dans un pays qui veut réduire sa dépendance énergétique pèse selon lui sur cet épineux dossier.

Le fait que ça puisse faire jurisprudence, je crois que c’est ça qui pose problème.

Désabusé, épuisé par ces démarches, Didier Potiron ne compte pas pour autant lâcher le morceau.

« Des actions sont à prévoir si le report se poursuit », prévient-il. « On ne peut pas accepter une telle situation. C’est un dossier qui traine depuis de longues années et qui pourrait peut-être en solutionner d’autres. » 

Didier Potiron dit adieu aux éoliennes qui ont selon lui décimé son bétail. ©Léo GAUTRET/L’Éclaireur de Châteaubriant

Une nouvelle vie à construire

Bien que toujours engagés dans la mêlée judiciaire, lui et sa femme souhaitent désormais profiter d’un temps de repos et de vacances. Une pause que Didier n’a pu s’accorder depuis près de 8 ans. « Cette situation nous a pris beaucoup de temps, beaucoup d’énergie. On ne pouvait pas se permettre de faire appel à un remplaçant, ça aurait été trop compliqué pour lui. Le troupeau était trop difficile à suivre. Aujourd’hui on est très fatigués. Je n’arrive plus à calculer, à réfléchir… Il faut absolument couper. » 

Leur nouvelle vie démarrait officiellement en ce premier week-end de février, dans leur nouvelle maison. « On a regardé s’il n’y avait pas d’éoliennes à proximité », précise Didier en un rictus. 

C’est un soulagement pour nous, car voir des animaux en stress permanent et en souffrance, ce n’est pas notre rôle d’éleveur. Les problèmes de la ferme revenaient la nuit, et on avait du mal à trouver le sommeil. C’était des interrogations permanentes.

« On n’abandonnera jamais »

Un gros point d’interrogation ponctue aujourd’hui son avenir professionnel. « Je ne suis pas sûr de rester dans le milieu agricole », avoue-t-il. « On ne sait pas où l’on va, mais on en a tellement bavé pendant toutes ces années que ça ne nous fait pas peur. »

Salarié agricole dans un élevage bovin, leur fils souhaite malgré tout poursuivre dans cette voie tracée par ses parents. « Il adore son métier », lance son papa avec fierté. « Nos enfants sont aussi soulagés, ils vont nous voir un peu plus et moins fatigués. » 

De quoi engranger l’énergie suffisante et plus que nécessaire pour poursuivre la lutte qui les attend. « On n’abandonnera jamais. Tout cela nous a coûté trop cher, physiquement, moralement, donc on ne va pas lâcher. » 

Léo Gautret 

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