18 janvier 2024

Un anniversaire que l’Occident préférerait oublier

Dans dix jours, un anniversaire historique dans les annales de l’histoire moderne et qui reste un souvenir vivant pour le peuple russe. Le siège de Leningrad, sans doute l’épisode le plus horrible de la Seconde Guerre mondiale, qui a duré 900 jours, a finalement été brisé par l’Armée rouge le 27 janvier 1944, il y a exactement quatre-vingts ans.

Le siège a encerclé plus de trois millions de personnes, dont près de la moitié sont mortes, la plupart au cours des six premiers mois, lorsque la température est tombée à 30° en dessous de zéro. Ce fut un événement apocalyptique. Les civils sont morts de faim, de maladie et de froid. Ce fut pourtant une victoire héroïque. Les habitants de Leningrad n’ont jamais tenté de se rendre, même si les rations alimentaires étaient réduites à quelques tranches de pain mélangées à de la sciure de bois et que les habitants mangeaient de la colle, des rats – et même les uns les autres – alors que la ville se retrouvait sans eau, sans électricité, sans carburant ni moyen de transport et était bombardée tous les jours.

C’est le 22 juin 1941 que les armées allemandes franchissent les frontières russes. En six semaines, le groupe d’armées au nord de la Wehrmacht, forces armées du Troisième Reich, se trouva à cinquante kilomètres de Leningrad, une fantastique blitzkrieg, et avait avancé de 650 kilomètres en profondeur sur le territoire soviétique.

Un mois plus tard, les Allemands avaient pratiquement achevé l’encerclement de la ville, seule une route périlleuse traversant le lac Ladoga, à l’est, reliait Leningrad au reste de la Russie. Mais les Allemands n’allèrent pas plus loin. 900 jours plus tard, leur retraite commença.

Le siège épique de Leningrad fut le plus long siège enduré par une ville depuis les temps bibliques et, de la même manière, les citoyens devinrent des héros : artistes, musiciens, écrivains, soldats et marins qui résistèrent obstinément au fer cherchant à pénétrer leur âme. Pétrifiés par la perspective d’une capitulation face à l’Union soviétique, les nazis préférèrent déposer les armes aux pieds des forces alliées occidentales, mais le général Dwight Eisenhower, commandant suprême du corps expéditionnaire allié en Europe, ordonna que l’honneur de la victoire revienne aux troupes de l’Armée rouge.

C’est là que réside l’un des plus grands paradoxes de la guerre et de la paix des temps modernes. Aujourd’hui, l’anniversaire du siège de Leningrad est certainement devenu un événement dont les États-Unis et nombre de leurs alliés européens préféreraient ne pas se souvenir. Pourtant, sa pertinence contemporaine ne doit pas non plus être occultée.

Les dirigeants nazis avaient pour objectif d’exterminer toute la population de Léningrad en la forçant à la famine. La mort par faim était un acte délibéré de la part du Reich allemand. Selon les mots de Joseph Goebbels, Adolf Hitler « avait l’intention de faire disparaître des villes comme Moscou et Saint-Pétersbourg ». Cela était « nécessaire », écrivait-il en juillet 1941, « car si nous voulons diviser la Russie en ses différentes parties », elle ne devrait « plus avoir de centre spirituel, politique ou économique ».

Hitler lui-même déclarait en septembre 1941 : « Nous n’avons aucun intérêt à maintenir ne serait-ce qu’une partie de la population métropolitaine dans cette guerre existentielle. » Toute discussion sur la capitulation de la ville devait être « rejetée, car le problème du maintien et de l’alimentation de la population ne peut être résolu par nous ».

En termes simples, la population de Leningrad a été laissée mourir de faim – tout comme les millions de prisonniers de guerre soviétiques détenus par la Wehrmacht. L’historien Jörg Ganzenmüller écrivit plus tard que cette forme de massacre était rentable pour Berlin, car il s’agissait d’un « génocide sans rien faire ».

« Génocide sans rien faire » ! Ces mots effrayants s’appliquent également aujourd’hui aux « sanctions infernales » occidentales avec pour objectif ultérieur d’« effacer » la Russie et de créer cinq nouveaux États dans son vaste territoire, dotés de ressources fabuleuses, qui pourront être accaparées par le monde industriel.

La mère de toutes les ironies est que l’Allemagne est encore aujourd’hui à l’avant-garde de la stratégie du « génocide sans rien faire » visant à affaiblir et à mettre à genoux la Fédération de Russie. L’administration Biden s’est appuyée sur une troïka de trois hommes politiques allemands pour faire le gros du travail dans cet effort raté visant à effacer la Russie : la plus haute bureaucrate de l’UE à Bruxelles, Ursula von der Layen, le chancelier allemand Olaf Schulz et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock.

George Santayana, philosophe, essayiste, poète et romancier hispano-américain, a dit un jour : « Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. » C’est ainsi que prospère l’extrême droite.

En Allemagne et ailleurs, les jeunes générations deviennent indifférentes à l’histoire du fascisme. L’idée d’un Quatrième Reich est entrée dans une période de gloire sans précédent et connaît actuellement une nouvelle phase de normalisation en Europe. Les bouleversements politiques tumultueux à travers le monde occidental en constituent aujourd’hui la toile de fond.

L’auteur de « Le Quatrième Reich : Le spectre du nazisme de la Seconde Guerre mondiale à nos jours », historien et professeur d’histoire et d’études judaïques, Gavriel Rosenfeld, a écrit que « la seule façon de faire taire l’appel des sirènes du Quatrième Reich est d’en connaître l’histoire intégrale ». Bien qu’il soit de plus en plus difficile, dans notre monde actuel de faux « faits » et de désinformation délibérée, de forger un consensus sur la vérité historique, nous n’avons d’autre choix que de le poursuivre.

La justification de la violence politique est classiquement fasciste. La semaine dernière, nous avons assisté à un spectacle époustouflant à la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye, nous rappelant que nous sommes désormais dans la phase juridique du fascisme. Si les nazis ont utilisé le judéo-bolchevisme comme leur ennemi structurant, Israël fait la même chose en soulevant le croque-mitaine du Hamas. Le fascisme se nourrit d’un récit d’humiliation nationale supposée de la part d’ennemis internes.

Pendant ce temps, ce qu’on oublie, c’est qu’il y a un mouvement social et politique fasciste croissant en Israël depuis des décennies. Comme d’autres mouvements fascistes, il est criblé de contradictions internes, mais ce mouvement a désormais un leader classiquement autoritaire en la personne du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui l’a façonné et exacerbé, et est déterminé à ce qu’il soit normalisé au cours de son mandat politique.

Il est fort probable que dans quelques jours, la CIJ donne une sorte d’ordonnance/injonction provisoire à Israël pour mettre fin à la violence contre les malheureux Palestiniens de Gaza. Mais le mouvement fasciste que Netanyahu dirige aujourd’hui l’a précédé et lui survivra.

Ce sont des forces qui se nourrissent d’idéologies profondément enracinées dans l’histoire juive. Ils défendent peut-être un passé national fictif, glorieux et vertueux, mais ce serait une grave erreur de penser qu’ils ne pourront pas finalement gagner.

Les Russes apprennent cette vérité à leurs dépens en Ukraine, où la « dénazification » s’avère être le maillon le plus faible de leur opération militaire spéciale, compte tenu de ses amarres géopolitiques imputables à l’alliance de l’Allemagne avec les groupes néo-nazis ukrainiens à Kiev en 2007 en préparation au coup d’État de 2014, dont les États-Unis ont joyeusement hérité et ne veulent pas lâcher

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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