Entretien avec Nicolas Bonnal
Les 4V : Nicolas Bonnal, vous êtes retourné pour un temps en Espagne à Grenade, où vous aviez écrit votre livre sur le voyageur éveillé.
Nicolas Bonnal : Oui, entre-temps, l’Espagne a bien changé. J’ai vu l’Aragon et la Catalogne dévastés par les chantiers, l’immobilier, la mégalomanie des élus locaux. Saragosse est devenue un Mordor digne de Tolkien avec des dizaines de kilomètres de friches industrielles, de détritus urbains, et d’éoliennes inutiles distribuées çà et là dans un décor d’apocalypse.
Notre-Dame du Pilar semblait perdue dans cette horreur néanderthalienne. Puis je suis retourné à Grenade où l’on fête deux décennies d’immobilier fou et la culture de l’euro… avec 30% de chômage et une ville éteinte. Même le tourisme est moribond, comme dans beaucoup d’endroits culturels de ce bas monde, et l’Alhambra est elle-même condamnée aux travaux forcés et perpétuels, prisonnière des restaurateurs que Balthus haïssait justement.Les 4V : Qu’avez-vous voulu dénoncer dans votre ouvrage ?
N.B. : C’est un ouvrage de commande : je n’y dénonce donc rien que je n’aie déjà fait dans mes textes d’humeur ou mes chroniques. Nous sommes dans une apocalypse molle et médiocre, une apocalypse moribonde et sans grandeur. Il ne nous reste qu’à vieillir, à compter nos sous et notre immobilier, et à espérer ne pas être euthanasiés tout en désirant rester le plus jeune possible le plus longtemps possible. En réalité, depuis que je suis adolescent, je n’ai vu qu’empirer l’Europe ou l’occident en général, mais dans une douce et grasse atmosphère, celle que justement déjà dénoncent Poe, Tocqueville, Flaubert et les grands écrivains russes et chrétiens du XIXème siècle. Bloy attendait les cosaques et le Saint-Esprit, nous aurons eu les oligarques et le feint-esprit.
Les 4V : A propos d’oligarques, vous attaquez férocement la droite anglo-saxonne du début des années 80, ses dérèglementations, son impérialisme et son arrogance…
N.B. : Nous voyons son crépuscule aujourd’hui ; faire la fortune des riches n’enrichit pas un pays. Et nous voyons aussi le déclin de l’Europe petite-bourgeoise et social-démocrate, tout aussi engoncée dans son arrogance et son ignorance du monde ; rien que des pays en faillite budgétaire et donneurs de leçons. J’ai vécu en Amérique du Sud, et je sais qui progresse et qui régresse. Mais je crois que je m’en suis pris à cette génération Thatcher-Reagan-Mitterrand-Berlusconi parce que c’est celle que j’ai vu à l’œuvre depuis mes vingt ans. Et le bilan est pitoyable. Pour la première fois depuis longtemps, l’histoire est morte. Voyez la nullité et l’insignifiance des soi-disant révolutions arabes… C’est au moment où la démocratie ne signifie vraiment plus rien comme projet qu’on les laisse se produire.
Les 4V : Vous évoquez aussi une nouvelle humanité…
N.B. : Oui, une humanité de filles branchées et de serveurs soumis (servus, l’esclave de la métropole romaine et de sa plèbe) celle qui exaspérait Philippe Muray. Mais je crois que l’humanité actuelle s’adapte à l’ère du vide, à la médiocrité, à la puérilité et à la technologie omniprésente. Elle est comme le dernier homme prophétisé par Nietzsche, qui a inventé le bonheur et veut prospérer comme le puceron. On est dans le domaine de l’insoutenable légèreté de l’être, expression que Kundera avait d’ailleurs piquée à Tolstoï. On n’entend plus jamais d’ailleurs discuter de politique au café. On n’en n’a plus rien à foot, c’est le cas de le dire.
Les 4V : Vous développez une approche paradoxale de l’apocalypse dans votre livre : elle serait permanente…
N.B. : Oui, et c’est le discours du pape au couvent des Bernardins qui m’a mis la puce à l’oreille : l’apocalypse n’est pas chronologique, elle est existentielle. Elle concerne chacun de nous, ceux qui au moins ont une conscience ou un sanctuaire à défendre. Au quotidien. Il faut être comme un moine ou une communauté au temps des invasions barbares qui sont avant tout spirituelles.
Les 4V : Que trouvez-vous donc de si particulier à notre époque ?
N.B. : Sa nullité intellectuelle et culturelle. Tout est recyclé, ou parodié, ou congelé, ou bien emmailloté comme l’Alhambra. Les jeunes cultivés d’aujourd’hui sont nostalgiques. Internet aura aussi noyé le poisson puisqu’il y a plus de gens qui s’expriment que de gens qui écoutent. La communication aura épuisé la réception.
Les 4V : Et avec ces bonnes nouvelles, vous comptez vendre votre livre ?
N.B. : Pas du tout, puisqu’on lit gratis et qu’on écrit son blog. C’est cela, la toute petite apocalypse. La vie moderne est une petite mort.
Les 4V : Et vous vous consolez comment ?
N.B. : Par l’amour et par la versification. C’est le meilleur rempart contre mon immodération de fait. Tenez, vous me donnez une idée : réécrire ce livre pour personne, mais en vers… et contre tout !
Nicolas Bonnal, Mal à droite, lettre ouverte à la vieille race blanche, éditions Michel de Maule.
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