Article écrit par François Dubois, ex-gradé de la Gendarmerie nationale, officier de police judiciaire, instructeur et formateur de formateur dans les écoles de Gendarmerie.
Une fronde a éclaté après que quatre policiers de la brigade anticriminalité ont été mis en examen pour des violences commises à Marseille, dans la nuit du 1er au 2 juillet, à l’encontre d’un homme de 21 ans. Touché par un tir de LBD qui lui a causé un très grave traumatisme crânien, Hedi témoigne de ce qu’il estime une agression délibérée et gratuite se matérialisant par un usage disproportionné de la force de la part des fonctionnaires de police.
La ville était alors en proie à de nombreuses scènes de violences et de pillages. L’un des policiers a été placé en détention provisoire, décision de justice qui a déclenché le courroux de ses collègues, embrasant par la suite une bonne partie de l’institution.
Je ne prendrai parti pour aucun des tiers impliqués, l’affaire étant actuellement sous main de justice, je conserverai à cet égard la neutralité qui s’impose. Nonobstant cette évidence, j’estime en revanche qu’il y a lieu de s’attarder sur la physionomie de la fronde en elle-même : de quelle nature relève le champ des revendications exprimées par les syndicats et en quoi cette fronde n’en est pas une, puisqu’elle ne sous-tend en réalité aucun conflit entre les contestataires et la gouvernance.
Nature des revendications des syndicats de police : elles n’ont pas vocation à solutionner le malaise de fond
La police et la gendarmerie étant sensiblement impactées par des problématiques de terrain relativement proches, on eut été en droit d’imaginer que le ras le bol des policiers découle de facteurs multiples tels que : le manque d’effectifs, la vague massive de départ des gradés[1], les jeunes qui quittent de plus en plus prématurément l’institution, des rémunérations trop faibles et peu attractives pour le recrutement, une charge procédurale et mentale trop importante, une proximité avec la population disparue, une exacerbation des tensions et des violences physiques et psychologiques en lien avec la précarisation de la population et provoquée notamment par la nature ingrate de certaines missions qui leur sont confiées, ou encore, une gestion trop managériale du personnel et de l’administratif axée sur un rendement statistique qui perverti la réalité du terrain.
Au même titre que l’ensemble du service public (hôpital, école, administrations diverses), la police et la gendarmerie sont des institutions qui souffrent d’un important dysfonctionnement structurel et managérial.
Si nous mettons en perspective les difficultés rencontrées sur le terrain avec la nature des revendications des syndicats, contre toute attente, très peu de ces difficultés sont abordées. L’essentiel du champ des revendications est relatif au domaine du statut de justiciable du policier et de sa sécurisation (notamment par l’anonymisation). Si cette dernière peut contribuer à combler une certaine forme de détresse psychologique causée par la surexposition permanente à la violence, plus de sécurité dans l’exercice de la profession n’étant pas un mal, ce n’est résolument pas suffisant pour palier à tous les problèmes pré-cités.
Reste un point particulier, source de polémique et objet de controverses : la modification de l’article 144 du code de procédure pénale relatif à la détention provisoire. Il est ainsi demandé qu’un statut dérogatoire spécifique soit accordé aux policiers afin qu’ils soient, de par leur fonction, non visés par la loi.
En cas d’usage de la force (armée ou non), policiers et gendarmes bénéficient pourtant d’articles émanant de différents codes aptes à les rendre irresponsables pénalement dès lors qu’ils respectent les modalités d’exécution fixées par ces derniers. Ces articles confèrent alors une légitimité à leurs actes (c’est le concept de la légitime défense).
Lorsqu’ils la légitiment dans leurs dispositions, ils rendent possible sans poursuites pénales, l’usage de la force strictement nécessaire : plusieurs textes existent ainsi, du 122-5 du code pénal relatif à la légitime défense, en passant par le L435-1 du code de la sécurité intérieure qui ajoute cinq possibilités d’usage des armes hors légitime défense, ou encore, par le L4123-12 du code de la défense (uniquement pour les militaires de la gendarmerie) qui prévoit la défense armée des zone de défense hautement sensibles.
On peut alors se demander quel intérêt existe-t-il à exclure du champ d’application de la détention provisoire alors que, s’il est formellement établi à l’issue de sa garde à vue qu’un policier agissait dans le cadre légal, il est reconnu pénalement irresponsable. Le cas échéant, il ne sera pas incarcéré.
De même s’il y a nécessité de continuer l’enquête par le biais d’une ouverture d’information mais que peu d’éléments sont à charge, il n’y a aucune raison, à priori, qu’une mesure d’incarcération arbitraire ne soit validée par le juge des libertés et de la détention (c’est le cas des trois autres policiers non incarcérés dans l’affaire d’Hedi). Le juge des libertés et de la détention est justement là pour valider ou invalider la saisine de placement en détention provisoire du juge d’instruction. Rappelons qu’avant la réforme du 15 juin 2000, le juge d’instruction disposait des pleins pouvoirs en matière d’incarcération.
Si parmi les quatre policiers, tous ont été mis en examen dans le cadre d’une ouverture d’information, c’est qu’il existe un faisceau d’indices graves et concordants qui impose à un juge d’instruction de poursuivre l’enquête en leur octroyant ce statut spécifique. Et si l’un d’entre eux est placé en détention provisoire, c’est qu’un juge des libertés et de la détention a statué pour des motifs que seul lui et le juge d’instruction connaissent mais qui légitiment sa décision.
Alors quelle plus-value réelle apporterait cette revendication de modification de l’article 144 du code de procédure pénale ? Objectivement aucune, si ce n’est ne pas incarcérer un policier qui aurait commis une faute effective, voir qui pourrait interférer sur l’enquête en cours en modifiant des traces et indices, ou entrer en contact avec des complices pour s’accorder sur leur version des faits (la détention provisoire sert aussi dans certains cas à empêcher cela). Et quid des policiers ripoux qui bénéficieraient de ce statut spécifique après avoir commis d’autres types d’infractions en service (détournement d’objets saisis, trafic de stupéfiants, affaires de mœurs, harcèlement sexuel au travail etc…) ?
Dans les faits, il s’agit d’un premier pas politique vers la reconnaissance d’un traitement judiciaire « à part » des membres des forces de l’ordre, qui entend bouleverser le rapport à la violence légitime de l’état en octroyant à ceux qui l’exercent un statut de justiciable supérieur en droits à ceux sur qui elle est exercée.
Le policier devient alors un sur-citoyen, alors qu’autrefois, il se contentait d’agir dans le cadre légal d’usage des armes qui lui était imposé, engageant de facto sa responsabilité pénale avec les mêmes conséquences que pour n’importe quel autre citoyen. L’évolution de l’équipement et l’armement ont suivi une logique similaire. Ils n’ont pas historiquement évolué par esprit de modernisme mais parce que le politique a produit une société exigeant le sur-équipement et le sur-armement de ses forces de l’ordre augmentant ainsi leur capacité d’action en toutes circonstances. Observez ainsi les différences entre un policier japonais et un policier américain, et constatez qu’une société hérite toujours d’une police à son image.
Analyse de la stratégie politique de l’État pour renforcer le monopole de sa violence
Le sociologue Max Weber est à l’origine de l’expression du monopole de la violence légitime de l’État. Elle définit la caractéristique essentielle de l’État en tant que groupement politique, à se définir comme légitime dès lors que sa revendication d’être le seul à avoir le droit de mettre en œuvre la violence physique sur son territoire, est acceptée même tacitement par sa population (en France, la loi, censée émaner du peuple, participe à cette acceptation).
Partons du postulat qu’une modification de la loi qui accorderait un statut dérogatoire au policier, en l’exemptant d’une mesure de détention provisoire, quoiqu’il ait fait, est incontestablement une modification visant à renforcer le statut spécifique d’autorité des forces de l’ordre. Par extension, tout ce qui renforce le pouvoir des forces de l’ordre, renforce les capacités de l’État à exercer son autorité.
Le système des forces de l’ordre français se caractérise par une binarité chère à nos politiques, puisqu’elle oppose une force militaire, garante de la sûreté de l’État par la neutralité et la réserve que lui impose son statut (gendarmerie), à une force civile, de la fonction publique, syndiquée et donc politisée (police). Si cette dernière est en grève, le politique peut utiliser cette ambivalence stratégique pour assurer la continuité de la gestion des troubles à l’ordre public dans le pays en se reposant sur ses militaires de la gendarmerie. Mais, dans le domaine de la sécurité intérieure, lorsqu’il a besoin d’une force institutionnelle politisée pour faire valoir une revendication politique à sa place ou accentuer son autoritarisme sans se revendiquer porteur du projet, il dispose alors de la puissance de feu des syndicats de police pour parvenir à ses fins. C’est ce qui se passe dans le cas présent.
J’ai toujours dénoncé en haut lieu, la connivence syndicale avec la gouvernance. Les syndicats sont devenus des outils de représentation spectaculaire destinés à capter les colères afin de les catalyser et, in fine, de les absorber ou de les instrumentaliser de sorte à ce qu’elles finissent, soit par ne plus être dangereuses pour le système, soit par lui être utiles.
Où étaient les syndicats lors de l’émergence spontanée du mouvement des gilets jaunes ? Bien que les revendications de ces derniers aient été en phase avec la défense du pouvoir d’achat et des droits des travailleurs, aucun n’a cautionné le mouvement, sidérés, terrorisés qu’ils étaient par ce moment de vérité. Et lorsqu’ils commenceront à se manifester, ils contribueront à l’essoufflement et à la fragmentation du mouvement.
Prenons l’exemple de la réforme des retraites. Déjà oubliée. Mouvement intégralement canalisé et contrôlé par les syndicats qui ont volontairement étalé le mouvement social dans le temps (un jour de grève par semaine) afin d’obtenir, l’usure, l’essoufflement et le sentiment d’impuissance escompté alors qu’il aurait suffi de deux semaines consécutives de lutte (soit finalement le même nombre de jours de grève) pour faire plier le système !
Aujourd’hui les syndicats sont une fois de plus dans leur rôle de représentation spectaculaire au service du pouvoir. Pour le démontrer il suffit d’observer qu’il existe une réelle et totale convergence entre les objectifs du pouvoir et leurs revendications. Convergence qui prouve le caractère fictif et organisé de cette « fronde ». Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, dans le contexte actuel, le gouvernement ne peut qu’être demandeur d’un renforcement du statut juridique et des droits accordés à sa police. En revanche, il est actuellement trop faible et trop impopulaire pour endosser la responsabilité de telles revendications. Le monopole de la violence légitime est un état de fait, cependant, il existe un curseur que l’on peut déplacer, ce curseur peut autoriser toujours plus de droits à la violence du moment qu’il y a acceptation sociale. Cette dernière est le fondement qui justifie l’actuelle stratégie mise en place par le gouvernement sous la forme d’une pseudo fronde.
D’où la nécessité d’organiser une contestation au sein des rangs de la police. La peur du chaos qui découlerait d’une grève généralisée de la police conduira l’opinion publique à mieux accepter la requête. De même les jeux olympiques approchants, ces derniers contribuent à l’instrumentalisation spectaculaire du mouvement, faisant craindre une instabilité susceptible d’entacher l’image de la France à l’international.
Lire la suite de cet article de François Dubois sur le site de Strategika.
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