Il a ressuscité les morts, il a assis la domination de l’Asie sur l’Europe, il a consacré la puissance de la Chine, il a solidifié des nations vaporeuses ; nombreux sont ceux qui peuvent dire merci à Vladimir Poutine qui, par son coup raté de contrôle de l’Ukraine, a opéré une accélération du bouleversement de l’ordre du monde.
La résurrection des morts. Qu’il est loin, voire improbable, le temps où Emmanuel Macron pouvait dire que l’OTAN était en état de mort cérébrale (7 novembre 2019). C’était pourtant vrai au moment où ces propos furent prononcés. Trois ans plus tard, l’OTAN était ressuscitée, grâce à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’OTAN est plus puissante que jamais. De nouveaux membres ont couru pour y adhérer, sans que les États-Unis n’aient beaucoup à forcer leur venue. Allemands et Polonais ont annoncé acheter des armes américaines, notamment des avions de chasse. La résurrection de l’OTAN fut concomitante à l’enterrement de la mythique « Europe de la Défense ». Un siège de l’OTAN pourrait même être installé au Japon, ce qui est une vision pour le moins très extensive de la notion « d’Atlantique ».
Poutine aura réussi à ce que la Finlande, très attachée à sa neutralité, demande son intégration à l’OTAN. Elle a certes toujours été dans le camp occidental et méfiant à l’égard de la Russie, qui l’a envahie plusieurs fois, mais sa neutralité n’était pas feinte et correspondait à une véritable vision géopolitique. Que la peur de connaitre le sort de l’Ukraine la pousse à rompre aussi rapidement avec ce positionnement diplomatique ancien en dit long sur la peur et la méfiance de la Russie partagée par ses pays limitrophes.
La naissance des nations. Les nations naissent presque toujours dans le sang. Cette guerre ne fait pas exception et le sang qui coule depuis plus d’un an en Ukraine a fait émerger de nombreuses indépendances nationales, à commencer par celle de l’Ukraine. Nation vaporeuse et complexe, agrégat de peuples, d’histoires mêlées, de langues, de dominations et de présences étrangères, ce que mène l’Ukraine depuis mars 2022 est une véritable guerre d’indépendance. Il lui fallait ce conflit ouvert et franc avec la Russie pour s’en émanciper et pour, trente ans après la chute de l’URSS, pouvoir réellement s’affirmer comme État indépendant, parce que cette indépendance a été gagnée par le sang versé et le sacrifice de sa jeunesse. La perte des territoires russophones et russophiles renforce la cohésion culturelle et ethnique de l’Ukraine, contribuant d’autant plus à son émancipation de Moscou.
Mais il n’y a pas qu’en Ukraine que le cordon ombilical a été coupé avec la Russie. Dans le Caucase, l’Arménie a appris à ses dépens que son allié traditionnel et historique ne pouvait plus la soutenir. L’Azerbaïdjan fait désormais sa politique seul, avec l’aide de la Turquie. En Asie centrale, notamment au Kazakhstan, on a aussi pris son indépendance du voisin russe. « L’étranger proche » n’est plus. Si la proximité géographique est toujours présente, l’éloignement de l’étranger est de plus en plus prégnant. Pour quelques km² de Donbass, la Russie a perdu son influence et son contrôle sur les zones stratégiques du Caucase et de l’Eurasie. De quoi ravir la Chine.
Le basculement vers la Chine. La Chine est la grande gagnante de cette guerre. Le mouvement de dédollarisation a connu une accélération certaine du fait des sanctions économiques infligées par l’Occident. Soutien de la Russie, la Chine est surtout devenue son seigneur et la Russie son vassal. La puissance démographique et économique de Pékin assure sa revanche, notamment dans la prise de contrôle du port de Vladivostok et l’influence en Eurasie. Là où la Russie recule, c’est la Chine qui avance. Moscou n’a plus d’accès en Europe et n’a d’autre choix que de se mettre aux pieds de la Chine.
La victoire de la Chine est aussi économique. Là où les Occidentaux appliquent des sanctions, les marchés se ferment pour leurs entreprises et, par effet inverse, s’ouvrent pour les entreprises chinoises. Peugeot et Renault ont dû quitter la Russie ; les constructeurs automobiles chinois ont occupé l’espace vide. Il en va de même en Iran ainsi qu’au Maghreb. Parce que la voiture n’est pas qu’un objet pour se déplacer, mais aussi un marqueur social et culturel, dans beaucoup de pays non occidentaux, la population préfère acheter des voitures chinoises plutôt qu’européennes afin de marquer son refus de l’impérialisme occidental. En Algérie, en Tunisie, de plus en plus en Afrique, en Asie bien sûr, les constructeurs chinois se sont ouvert des marchés de plus en plus importants. La haine et la méfiance à l’égard des États-Unis sont les meilleurs VRP de la marque Chine, qui ne cesse de s’étendre. D’autant que ses véhicules fonctionnent bien et maitrisent les dernières avancées technologiques, notamment en matière électrique.
L’invasion de l’Ukraine, parce qu’elle focalise la diplomatie des pays d’Europe sur un petit bout de son continent, parce qu’elle monopolise les pensées stratégiques, les fonds militaires et les armes, épuise l’Europe et la détournent des progrès fulgurants qui se déroulent en Asie. D’une certaine manière, et toute proportion gardée, car nous sommes heureusement très loin en matière de morts et de destructions, la guerre d’Ukraine joue le même rôle, pour l’avènement de la Chine sur la scène mondiale, que la Seconde Guerre mondiale pour l’avènement des États-Unis.
Que la France et d’autres pays d’Europe viennent demander à Xi Jinping d’intercéder auprès de Poutine pour trouver une solution à la guerre démontre bien que lesdits Européens ont perdu la main et la capacité d’influence sur le monde.
L’avènement de l’Asie. On a ainsi vu des choses impensables il y a encore vingt ans. Voilà la Chine qui propose un traité de paix, s’immisçant pour la première fois de son histoire dans les affaires internes de l’Europe. À quand l’envoi de Casques bleus chinois pour séparer les belligérants et une conférence de la paix à Shanghai pour régler les problèmes sécuritaires en Europe ? À Singapour, la conférence de Shangri-La a elle aussi proposée un plan de paix. Les deux ont certes été rejetés, mais que des Asiatiques s’immiscent dans les affaires des Européens montrent à quel point ceux-ci ont perdu leur souveraineté élémentaire, c’est-à-dire régler la paix sur leur sol. À cet égard, l’invasion de l’Ukraine fut une apocalypse, c’est-à-dire la révélation de l’état du monde, tout en accélérant la situation de montée en puissance de la Chine et de l’Asie.
Le sauvetage de l’industrie. Quelques semaines encore avant l’invasion, Emmanuel Macron avait promis de poursuivre la fermeture de réacteurs nucléaires. La Belgique annonçait en janvier 2022 la sortie totale du nucléaire et l’Allemagne accélérait son programme, pour acheter abondamment du gaz russe, étant entendu que Nord Stream 2 allait bientôt ouvrir. Par son action, Vladimir Poutine a donc sauvé l’industrie nucléaire. Voilà la France qui rétropédale et qui annonce des investissements massifs dans la filière de l’atome. L’industrie de la défense peut de nouveau vendre son matériel ; l’Allemagne et la Pologne annoncent qu’elles veulent restaurer leurs armées. Poutine a été un puissance agent de réindustrialisation. La guerre a au moins cette vertu d’avoir déchiré le voile du mensonge et de l’aveuglement. Le terrible retour de bâton oblige les pays d’Europe à s’adapter et à mettre de côté leurs lubies et leurs folies. La Loi de programmation militaire va pouvoir faire passer, sans protestation, un accroissement des crédits. D’une certaine façon, Poutine a sauvé les armées européennes.
Preuve s’il en est que si les prévisions sont utiles et nécessaires, l’histoire n’est jamais écrite d’avance, qu’elle reste le fait des hommes et que la survenue des imprévus doit être anticipée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.