Voilà qu’on commence à nous dire que c’est la panique au Pentagone et un peu partout chez les amis, les divers petites mains de l’aventure zélenskiste. Cela fait peur à tout le monde, les fuites, et plus encore les “fuites” entre guillemets, – je veux dire, parfaitement identifiées dans leur intentionnalité. Voyez le Washington ‘Post’ résumé par notre diabolico-fidèle RT.com, – en ayant à l’esprit que c’est moins le « haut niveau de panique » que nous voulons vous décrire que la cause de la chose et ce qui se cache derrière.
« Plusieurs responsables occidentaux interrogés par le ‘Post’ ont déclaré qu'ils essayaient toujours d'évaluer les dommages causés par des dizaines de documents de sécurité nationale divulgués ces derniers jours, beaucoup se demandant comment la violation était passée inaperçue pendant si longtemps. Alors que les premiers reportages médiatiques sur l’affaire ne sont apparus que cette semaine, un lot de documents avait été partagé sur la plateforme de chat Discord fin février et début mars. L'authenticité des renseignements reste non vérifiée.
» Deux responsables américains ont déclaré au ‘Post’ que la direction du Pentagone avait “restreint le flux de renseignements” en réaction à la fuite. Une source a décrit les mesures comme inhabituellement strictes et témoignant d'un “haut niveau de panique” parmi les hauts gradés. Les responsables américains et leurs partenaires étrangers ont été “stupéfaits” et même “exaspérés” par le niveau de détail fourni dans les documents, qui ont révélé comment les États-Unis “espionnent leurs amis et leurs ennemis”, indique le rapport, suggérant que les fichiers pourraient secouer le monde diplomatique. »
Ce tapage, ce tohu-bohu ne cesse de m’étonner, – je veux dire, quant à la fragilité de nos dirigeants, leur crainte de “fuites”, d’ailleurs selon et concernant des informations qui s’avèrent fabriquées par eux-mêmes, fausse, abracadabrantesques, et que l’on connaît déjà ainsi que leurs manipulations. (Voyez et écoutez Stephanopoulos parler d’une des “informations” contenues dans le premier paquet de documents, qui est l’affirmation publique, d’il y a un mois, du ministre anglais de la défense Wallace, selon laquelle 97% de l’armée russe est en Ukraine, – quelle ridicule canard, et voilà tout le poulailler qui s’affole !)
Bref, tout cela, ces “renseignements”, ces informations secrètes et détaillées que tout le monde connaît, ce ‘Top Secret’ en sources ouvertes et en simulacre fermé, quelle ridiculerie, théâtre de l’absurde réduit au flou du rien de l’incompétence satisfaite, mascarade, cirque de basse-cour... ‘Clown World’, dit Stephanopoulos, – et, comme dit l’autre anonyme, « Nous ne pouvons plus déterminer où est la vérité et où est le mensonge ». Alors, moi, ce qui m’intéresse beaucoup plus que ces énigmes de carnaval, c’est cette double question : qui et pourquoi ?
J’y viens, parce que nos commentateurs favoris, tous ces anciens officiers du renseignement passés à la dissidence, évoquent la question. Et tous, ils semblent d’accord : ce sont des gens des services US, des “lanceurs d’alerte”, – si vous voulez, en référence très précise (on le verra plus loin) à Daniel Ellsberg et à ses ‘Pentagon Papers’ de 1971, – des officiers qui veulent vraiment mettre un désordre paradoxalement réparateur, – sorte de tactique du “contre-feu”, – dans cet asile de fou qu’est devenue l’administration Biden avec son annexe sympathique et rassembleuse de l’OTAN-Bruxelles ; et leurs intentions seraient évidemment d’entraver et de mettre un terme à la folle intervention US en Ukraine et aux perspectives de guerre avec la Russie.
Dans un article du 7 avril 2023 sur son site, Larry Johnson écrit notamment :
« L’un de mes amis, toujours actif au sein de la communauté du renseignement, s’est étonné que cela [les fuites] n’ait pas eu lieu plus tôt, compte tenu de l’agitation qui règne dans certains rangs de la communauté du renseignement au sujet de la politique américaine en Ukraine et des craintes que les États-Unis ne s’acheminent vers une guerre inutile avec la Russie. »
Un peu plus loin, Johnson cite longuement un courriel d’un autre de ses amis toujours en service dans le renseignement, qui examine en détails, en se référant à l’identité et aux sigles bureaucratiques des divers documents fuités, d’où ils peuvent venir. Pour lui et pour clore son enquête, les fuites sont nécessairement d’origine US et ne peuvent venir que de deux services :
« ... Il nous reste donc l’état-major interarmées [JCS] et l’EUCOM [commandement US en Europe]. À mon avis, c’est l’EUCOM. Ce n’est qu’une supposition. Quelqu’un qui est plus proche de la boucherie [en Ukraine] serait plus motivé pour faire quelque chose à ce sujet. »
Une autre source va dans le même sens de la protestation contre la guerre en Ukraine, dans les textes que j’ai consultés, sans recherches particulières sur ce sujet précis. Il s’agit d’une intervention de la colonelle [USAF] à la retraite Karen Kwiatkowski, devenue analyste de renseignement en 1999, puis retraitée volontaire et “dissidente” depuis 2003, après avoir constaté l’impunité extraordinaire dont disposaient les neocon dans l’administration GW Bush et la façon dont ils distordaient complètement le renseignement pour favoriser les guerres d’agression qui eurent lieu dans la période. Kwiatkowski est restée très active dans la dissidence. Elle est interrogée par ‘Sputnik’ :
« “Cette fuite m’évoque une frustration de militaires ou d’employés vis-à-vis de l'administration Biden et de son exigence d'une victoire américaine contre la Russie, laquelle n’est aucunement possible. Cela pourrait aussi être la frustration d’agents des renseignements face aux exigences d'une production façonnée et adaptée, une production qui élimine l'analyse objective pour s'aligner sur les désirs politiques de l'administration et les soutenir”, déclare-t-elle ainsi à Sputnik.
» L’officier à la retraite estime que ces fuites pourraient bénéficier à la Russie, lui permettant de confirmer ou de corriger les données de ses services de renseignement sur l’état des forces ukrainiennes. Cela permet aussi à Moscou d’évaluer la qualité des renseignements américains.
» “Sur le plan du contenu, les fuites peuvent confirmer ou infirmer les données russes sur les livraisons d’armes à l’Ukraine, sur leur état, sur le statut de formation des opérateurs ukrainiens, et elles peuvent donner une idée de l'intérêt stratégique des États-Unis pour le champ de bataille ukrainien”, explique Kwiatkowski. »
Une appréciation différente conduit à nuancer mais aussi à renforcer d’une certaine façon l’hypothèse de l’intervention d’un ou de plusieurs dissidents à l’intérieur des services de sécurité nationale. Cette appréciation apparaît sur le site de Johnson, mais sous la plume d’un invité, Thomas Lipscomb, hier 9 avril.
Lipscomb écrit à plusieurs reprises que la fuite des documents profitent très largement à “Poutine” (à la Russie), comme le dit d’ailleurs Kwiatkowski, mais pour une autre raison qui est une délégitimation selon les sources US/OTAN elles-mêmes de l’intervention US et de l’OTAN en Ukraine. On est amené à interpréter que ce sont donc les Russes qui ont diffusé les documents sans que cela ne soit nulle part affirmé directement, “techniquement” dirais-je ; l’affirmation la plus “directe” est dans le titre, et encore est-elle interprétative : « Why Putin may have exposed the US/NATO Ukraine operations documents ».
Lipscomb explique très bien le super-légalisme de Poutine, et sa volonté de tout faire selon les règles légales les plus précises possibles, y compris bien entendu l’“Opération Militaire Spéciale”. Il expose diverses actions de Poutine dans ce sens pour arriver à s’interroger sur le rapport qui existerait entre ce fait et la divulgation des documents qui sont assez peu sensibles bien que couverts par diverses classifications selon l’obsession US/OTAN du “secret’ bureaucratique...
« Qu'est-ce que cela a à voir avec la publication bizarre de ce qui ressemble à 100 pages d'authentiques mémorandums secrets d'opérations US/OTAN sur l'Ukraine ? Après tout, beaucoup ont correctement observé qu’on y trouve vraiment peu d’informations exclusives et secrètes, et il n'y a rien de vraiment surprenant que quelqu’un ait pu mettre la main sur les documents. Alors, à quoi sert la publication de ces documents et au profit de qui ?
» Peut-être permettent-ils d'utiliser des documents US/OTAN, plutôt que les seules affirmations russes, pour établir un cadre juridique et constituer le dossier de tout règlement que Poutine envisage d'imposer à l'Ukraine. Cela aide à prouver la thèse de Poutine selon lequel son intervention était requise par un complot actif et continu mené par les États-Unis pour utiliser l'Ukraine pour attaquer et renverser le régime en Russie.
» Dans le monde où la guerre d’Ukraine a commencé, sous une hégémonie américaine prédominante supposée basée sur des "règles" dictées par l'inclination du jour de l'Amérique, le “dossier” de Poutine aurait pu être exact selon les normes du droit international mais n'avait aucun pouvoir réel. Et la puissance financière et militaire occidentale avait subverti de nombreux tribunaux internationaux et organismes de réglementation pour servir les intérêts occidentaux plutôt que ceux de la communauté internationale. Mais étant donné les immenses changements dans la structure du pouvoir international provoqués par l’affrontement en Ukraine, les États-Unis et l'Occident sont entraînés à coups de pied et de cris dans un monde dans lequel ils ne sont que quelques-unes des nombreuses puissances et ne sont plus prédominants. La diplomatie russe a habilement retourné la majorité du monde contre les illusions occidentales de domination. Maintenant que la guerre touche à sa fin dans une défaite ukrainienne qui expose la faiblesse militaire et économique des puissances occidentales, le bilan ‘de jure’ de Poutine pourrait devenir opérationnel et ‘de facto’ dans un monde multi-souverain revenant aux normes du droit international.
» Il y a aussi d'autres usages. Avec l'exposition de ces documents, Poutine jette les bases d’une action de communication visant à détourner une partie de la colère de la nouvelle Ukraine contre les États-Unis et l'Occident pour l'avoir utilisée dans une guerre par procuration qui n'était pas tant pro-ukrainienne qu’antirusse. Cela renforcerait encore plus sa position devant la communauté internationale et devant l'histoire elle-même. »
Il est remarquable d’observer combien cette thèse et cette analyse rejoignent la situation et la signification du premier des grands lanceurs d’alerte, déjà cité plus haut. Les ‘Pentagon Papers’ de Ellsberg étaient classifiés non pas parce qu’ils divulguaient des secrets ultra-sensibles, mais parce qu’ils constituaient un ensemble énorme (des milliers de pages) d’informations à peu près toute connues, qui, mises ensemble comme dans un livre d’histoire, accablaient totalement les USA et leur responsabilité, leur illégitimité dans la guerre du Vietnam. C’est la même chose que suggère Lipscomb, et l’on voit qu’il n’y a dans l’interprétation de l’événement aucune nécessité de l’intervention directe des Russes, comme il n’y eut pas nécessité de l’intervention directe des Nord-Vietnamiens dans le cas Ellsberg.
... Mais l’un n’empêche pas l’autre puisqu’ils se complètent ! Dans les deux cas, comme l’on comprend bien, les buts et les ambitions de l’action des lanceurs d’alerte rencontrent ceux des pays victimes de la politiqueSystème développée par Washington (je classe évidemment la guerre du Vietnam dans cette catégorie, sans hésitation). Toutes ces hypothèses se rencontrent en un bouquet final que je désignerais volontiers comme un instant intéressant de complète mise à nu du simulacre, avec une interprétation opérationnelle d’un choc frontal entre la politiqueSystème et une exigence impérative de vérité-de-situation.
Finalement, le plus spectaculaire se trouve dans ce qui nous est décrit comme un « haut niveau de panique” parmi les hauts gradés. » Puis, la précision, également hautement burlesque sinon franchement-bouffe, entre tous ces divers dirigeants et généraux qui savent parfaitement le comportement US et de l’OTAN, et qui jouent les vertueux outragés (“comment, nos amis nous espionnent !”), et jusqu’aux étoilés américanistes eux-mêmes (“comment, nous espionnons nos amis !”)...
Bref, cette répétition restera ma chute finale pour ce jour, devant la nudité complète du simulacre, – “le roi”, non ! – “le simulacre est nu !” Certes, nous sommes, nous vertueux dirigeants du “camp du Bien”, nous sommes “stupéfaits” et même “exaspérés” ! Vite, des sels, ils défaillent...
« Les responsables américains et leurs partenaires étrangers ont été “stupéfaits” et même “exaspérés” par le niveau de détail fourni dans les documents, qui ont révélé comment les États-Unis “espionnent leurs amis et leurs ennemis” »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.