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04 avril 2023

Face aux sanctions concernant l’électronique, la Chine en dernier recours


L’« opération spéciale » a radicalement changé le format de la coopération entre les entreprises russes et les entreprises occidentales. La focalisation des sanctions européennes et américaines sur les points les plus sensibles du marché russe était prévue. On s’attendait également à des stratagèmes pour contourner les restrictions liées aux sanctions.


La microélectronique est devenue l’un des postes les plus sensibles à la pression des sanctions. Les États-Unis ont mis en place un embargo sur la fourniture de composants, mais aussi d’équipements de haute technologie pour la production de ces biens à la Russie et à la Biélorussie. La raison en est l’opération spéciale. Ainsi, l’objectif déclaré est de priver le complexe militaro-industriel russe de la possibilité de produire des armes modernes sur une base de composants occidentaux.

Les prédictions « apocalyptiques » ne se sont pas réalisées

En partie, les sanctions ont été couronnées de succès, en particulier au premier semestre 2022. Toutefois, un an après le début du conflit, il s’est avéré que des missiles et des systèmes de haute précision sont toujours produits en Russie, ainsi que des équipements de défense aérienne, pour la guerre électronique, l’aviation et la flotte. D’énormes volumes d’appareils électroménagers et électroniques sont également produits, également avec des puces et des microcircuits importés. De façon générale , les prédictions « apocalyptiques » ne se sont pas réalisées.

Simultanément – ainsi que l’ont découvert des chercheurs occidentaux du groupe de réflexion militaire britannique, Royal United Services Institute (RUSI) – la Russie a augmenté l’importation d’électronique occidentale selon des « schémas gris ». Le caractère fermé des statistiques russes ne permet pas une évaluation complète des volumes physiques et des montants des livraisons. Cependant, l’on sait qu’en janvier-octobre 2022, la Russie a importé des composants électroniques pour une valeur de 2,6 milliards de dollars (données du Service fédéral des douanes de la Fédération de Russie). De ce montant, près de 0,8 milliard de dollars représentaient les produits des entreprises américaines (principalement) et d’autres pays occidentaux.

Il est à noter que le pic des approvisionnements – près de 90 millions de dollars par mois – est tombé d’août à octobre. Autrement dit, les sanctions ont battu leur plein à ce moment-là : les pays tiers ont été intimidés par des « sanctions secondaires ».

Bien évidemment, les services des entreprises pour des schémas gris en Turquie et en Chine, à Taïwan, en Malaisie, aux Émirats arabes unis et dans d’autres pays, ne sont pas bon marché. Par l’intermédiaire de « pays amis », la Russie importe également des équipements de production. Après la divulgation des statistiques officielles, il sera possible de chiffrer le surcoût de l’ « assistance » de ces pays au transport et au contournement des sanctions concernant le secteur des composants électroniques. 

Les mesures prises par la Russie avec la Biélorussie

Les pays membres de l’UEE ont augmenté l’importation de marchandises dont l’approvisionnement sur le marché russe a été interdit par le collectif Occidental. Il a également mis fin au mythe de la « main invisible du marché », de la libre circulation des biens et des services, et autres idéologies libérales. Il s’est avéré que de simples « recommandations » suffisent aux entreprises occidentales pour réduire leurs activités super rentables, fermer des installations de production à grande échelle, licencier un grand nombre d’employés et rompre leurs propres obligations contractuelles signées.

La leçon de 2022 complète celle de 2014, enseignée par le gouvernement post-Maidan des rebelles de Kiev. Le complexe militaro-industriel russe a douloureusement enduré la rupture des liens séculaires avec les partenaires ukrainiens. Mais il a pu remplacer leurs produits par des productions nationales et des importations d’autres pays. L’un d’eux était la Biélorussie, qui a agi en tant qu’allié de la Russie dans l’opération spéciale et s’est portée volontaire pour combler la pénurie de microélectronique.

En 2022, la Biélorussie a reçu un important soutien financier pour son économie, dans le cadre d’un accord intergouvernemental sur l’attribution d’un prêt russe de 105 milliards de roubles à des projets de substitution des importations. De ce montant, 10 milliards sont destinés à deux fabricants biélorusses de microélectronique. La semaine dernière, le président Alexandre Loukachenko a visité le holding d’État « Planar ». Il regroupe des entreprises créées par l’Union soviétique dans la RSS de Biélorussie dans les années 60 du siècle dernier.

Ces entreprises produisaient à la fois des équipements pour des sous-traitants d’autres républiques subordonnées au ministère de l’Industrie électronique de l’URSS et des produits finis, principalement à des fins militaires. La « perestroïka » de Gorbatchev et sa libéralisation encore plus destructrice ont remis en cause l’image de la haute technologie soviétique. Les entreprises du secteur ont vu leur situation se dégrader, et les volumes de production se sont réduits, puis l’on a loué les bâtiments de production aux fameux « commerçants privés ». Toutefois, peu à peu, la situation s’est stabilisée.

Minsk « Planar » est spécialisée dans la production d’équipements pour les entreprises industrielles, en particulier pour la photolithographie. Les photo-masques sont vendus en Russie. Certes, ils sont beaucoup plus chers que les Asiatiques et leur sont souvent inférieurs en termes de caractéristiques. Mais, selon Loukachenko, ce n’est pas un problème : les « grands microcircuits » biélorusses sont demandés dans la production de drones, de machines CNC (machine à commande numérique), de robots, d’armes et même d’« appareils électroménagers de classe mondiale ». 

Remédier à l’obsolescence des produits manufacturés biélorusses et trouver du personnel qualifié

Cependant, tenant une réunion sur les problèmes de l’industrie à Planar, Loukachenko a tenté, à bien des égards, de faire un vœu pieux. Il a d’abord souligné un certain nombre de problèmes, en particulier sur le recrutement de personnel aux entreprises de Minsk « Planar », « Integral », « BelOMO », « Horizont et Vitebsk « Monolit. Ensuite, la question de l’obsolescence des produits manufacturés a été abordée. En particulier, Loukachenko a déclaré : « Les producteurs biélorusses occupent toujours leur créneau sur le marché mondial. Et ce malgré la tendance mondiale non pas vers la micro, mais vers la nanoélectronique, développée par plusieurs acteurs qui possèdent des technologies de l’ordre de quatre nanomètres. Par conséquent, nous avons un immense champ de travail et de développement ultérieur à réaliser. Premièrement, vers la Russie. Notre pays dispose de toutes les compétences nécessaires pour répondre aux besoins du marché russe, après le retrait des entreprises occidentales. C’est une chance. Et nous devons l’utiliser. Avec Rosatom, Roskosmos, Roselectronics, le volume des accords de partenariat ne devrait que croître ».

Néanmoins, le dirigeant a franchement fait preuve d’un optimisme excessif. La Biélorussie ne pourra pas satisfaire les besoins de la Russie, même en puces obsolètes. En voici la confirmation. Le gouvernement de la République du Bélarus a approuvé un programme pour le développement de l’industrie microélectronique jusqu’en 2030. Le vice-Premier ministre, Pyotr Parkhomchik, l’a mentionné, observant que « le montant total des revenus de la vente de produits nationaux de microélectronique et d’ingénierie électronique en 2025 devrait atteindre 200 millions de dollars. D’ici 2030, il atteindra 330 à 350 millions de dollars et il augmentera de 3,3 fois par rapport à 2021 » Le montant spécifié est un multiple du volume des importations russes jusqu’en 2022.

Sans aucun doute, les efforts avec la Russie donnent des résultats : une liste des composants électroniques nécessaires a été déterminée conjointement et un plan d’action pour le développement de la production microélectronique a été convenu. Un centre de photo-masque russo-biélorusse a été créé. Le service de presse présidentiel a par ailleurs déclaré : « En outre, un ensemble de mesures est en train d’être pris pour doter l’industrie de la microélectronique de personnel qualifié. Le soutien scientifique de l’industrie est assuré par l’Académie nationale des sciences du Bélarus. À l’heure actuelle, un pôle industriel d’innovation a été créé, qui définit des domaines de recherche et de développement prometteurs pour créer la production et les produits de la microélectronique ». Mais jusqu’à présent, cela ne suffit pas à rattraper ce qui a été perdu à cause des sanctions occidentales.

Face à la Biélorussie et à quelques autres pays partenaires, la Chine reste le vrai recours

A. Loukachenko a également évoqué « l’intérêt colossal » que les investisseurs portent à la microélectronique biélorusse. Dans le même temps, il a évoqué ses voyages au Zimbabwe et aux Emirats Arabes Unis, soulignant : « Les questions d’argent ne sont même pas discutées ». Les montants des investissements africains et arabes n’ont d’ailleurs pas été indiqués. Cependant, le chef de la Biélorussie alliée sait à quoi peuvent servir les dollars zimbabwéens. Il a notamment déclaré : « De bons investissements financiers sont une opportunité pour une modernisation radicale de la base de production, le développement de nouvelles technologies et, par conséquent, une augmentation des exportations ». Selon lui, Moscou et Minsk ont ​​formé une liste de bases de composants électroniques d’une importance cruciale.

Jusqu’à présent, l’argent n’est venu que de Russie qui choisit la quasi-totalité du volume d’électronique d’exportation biélorusse, tout à fait adaptée aux besoins de son secteur de la Défense. Le reste des partenaires de la Fédération de Russie dans l’UEE ne peut que lui revendre des productions étrangères, tout en présentant cette opération comme une aide « incroyable », face au faible profit qui en est tiré par rapport aux risques des « sanctions secondaires » de l’Occident.

Mais il existe une évaluation plus sceptique de la situation. Ainsi, Yaroslav Petrichkovich, le fondateur du centre de design russe SPC Elvis, en est convaincu : « La microélectronique dans les pays de l’UEE est faible, plutôt absente. Par conséquent, le seul pays qui peut aider la Russie est et reste la Chine ».

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/04/04/face-aux-sanctions-concernant-lelectronique-la-chine-en-recours-par-ritmeurasia/

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