"Placées aux deux extrémités de l’Europe, la France et la Russie ne se touchent point par leurs frontières, elles n’ont point de champ de bataille où elles puissent se rencontrer ; elles n’ont aucune rivalité de commerce, et les ennemis naturels de la Russie sont aussi les ennemis naturels de la France". (François-René de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe)
La Bataille d’Ukraine
Toujours et encore: Turenne ou Bonaparte?
+ Intéressant point de vue du rédacteur d’Actualités françaises et internationales:
“De manière générale, ce qui ressort de l’ère Poutine, c’est une politique raisonnable et très mesurée. Beaucoup de pays et de dirigeants forts sont tentés par des politiques et des décisions très fortes. Ils se développent très rapidement, puis s’effondrent tout aussi rapidement. S’engager trop profondément dans une politique, ou dans un conflit, cela peut apporter un grand succès rapide, ou un grand échec rapide. Peut-être que les élites actuelles de la Russie l’ont compris après l’échec militaire de l’Afghanistan dans les années 1980, et par l’échec politique de l’URSS, et qu’elles freinent leurs engagements, se conservant ainsi une bonne marge de manœuvre.
C’est la raison stratégique par laquelle je m’explique logiquement et de manière cohérente la plupart du comportement et des déclarations des élites russes depuis 22 ans, en politique intérieure et extérieure. Le résultat est positif, bien que mitigé : il pourrait être bien meilleur, mais au prix de risques internes et externes trop élevés. Les élites russes suivent une politique modérée en tout, avec des avantages et inconvénients, mais les résultats sont là.
Personnellement, j’aurais engagé 5 à 600.000 hommes, en commençant par attaquer sur l’axe Lvov – Odessa avec comme objectif l’isolement de toute la frontière ouest du régime kiévien en 3 à 4 semaines. Ensuite, le temps aurait joué pour moi, et je ne cache pas qu’après cet effort initial, j’aurais pris tout mon temps, en réalisant un siège gigantesque dans les plus grandes traditions historiques. Mais à quel prix ? Au prix de l’Afghanistan bis, avec une fuite en avant, une escalade militaire et économique terrible, une société russe plongée dans un retour aux années de 1940 par l’engagement total dans la guerre pour de longues années, y compris dans l’après-guerre avec la lutte anti-terroriste.
Je suis le premier à reconnaître qu’il est fort heureux qu’un Poutine modère les ardeurs de personnes de mon genre, certes compétentes en stratégie militaire brute (dans tous les sens du terme), mais absolument incompétentes en politique générale et en lutte non conventionnelle : les résultats le prouvent. (…)
En ce qui concerne le problème soulevé en Ukraine, il faut espérer que les autorités russes pourront poursuivre leur opération selon le plan qu’elles se sont fixées (minimaliste/modéré), et que la volonté occidentale de les pousser dans une escalade militaro-économique continuera à trouver une réponse à la fois efficace et minimaliste/modérée“.
Nous sommes ramenés, toujours et encore, au contraste de méthode entre Turenne et Bonaparte ! Entre Wellington et Napoléon. Si l’on veut construire du solide, c’est la prudence active d’un Wellington qu’il faut choisir.
+ Le ministre ukrainien de la Défense Alexis Reznikov au Wall Street Journal: « Il est nécessaire de mettre à jour nos unités, de les remplacer et de remanier, car nous avons de lourdes pertes. Nous voulons plus de véhicules blindés, plus d’armes de nos partenaires. Nous devons réaligner certaines zones, améliorer les fortifications et planifier une nouvelle stratégie opérationnelle »
12 juillet
En suivant @rybar:
+ Les combats de tranchées se poursuivent dans la région de Kharkov, près de Svetlitchnoïe. Des troupes de missiles russes ont détruit des positions ukrainiennes à Kharkov.
+ Les Kiéviens continuent de bombarder régulièrement des zones résidentielles des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.
+ Dans la région de Zaporojie, l’armée ukrainienne a mené une attaque de drone kamikaze contre Energodar, près de la centrale nucléaire de Zaporojskaïa. La politique du pire.
+ Des unités de missiles russes ont frappé des positions ennemies à Nikolaiev dans la nuit. Des habitants ont fait état d’au moins 20 explosions dans différentes parties de la ville.
+ Suite à une nouvelle attaque de roquettes sur Novaïa Kakhovka, un grand nombre d’installations civiles ont été endommagées : 7 personnes ont été tuées et plus de 80 blessées.
+ Les forces russes ont détruit des lanceurs de missiles Harpoon américains près de Berezan, dans la région d’Odessa.
+ Dans la nuit du 12 au 13 juillet, les tirs d’artillerie russe ont infligé de grosses pertes aux Ukrainiens au nord d’Artiemovsk/Bakhmut. Un tir de missile a aussi détruit un gros entrepôt de munition près de Slaviansk.
+Durant la nuit, les forces armées russes ont lancé des frappes massives de missiles contre les installations de l’armée ukrainienne dans les parties occidentales de Kharkov
13 juillet
Au petit matin du 13 juillet, plusieurs cibles militaires dans la région de Kramatorsk ont été détruites par des missiles russes. Dans la journée du 13 juillet les tirs russes ont visé des sites militaires dans la région d’Avdiivka.
+ Des formations ukrainiennes ont bombardé au mortier un poste de contrôle frontalier près du village de Tetkino dans la région de Koursk.
+ Les troupes russes ont attaqué les positions des forces kiéviennes dans le village frontalier de Vovkіvka dans la région de Soumi.
Les forces ukrainiennes ont frappé les positions des forces armées russes près de Veliki Prokhodi, Kozatcha Lopan et Tsoupivka avec des hélicoptères Mi-8 depuis la région de Zolotchev.
+Un groupe de sabotage du 242e bataillon de la 241e brigade des forces de défense territoriale ukrainiennes a été détruit près de Dementiivka dans la région de Kharkov. Cinq personnes ont été tuées et dix autres capturées.
+Les unités de missiles et d’artillerie russes ont frappé les positions kiéviennes à Kramatorsk, Kostyantinivka et dans les environs du mont Karatchoun.
Les combats se sont poursuivis près de Spirnie et d’Ivano-Darivka en direction de Bakhmout (Artiemovsk).
+ L’armée ukrainienne a lancé une attaque massive de missiles sur Lougansk avec des lance-roquettes HIMARS et Tochka-U.
+ Les Kiéviens poursuivent le pilonnage régulier de Donetsk, Khartsizk, Iasiynouvata, Makiivka et d’autres localités de la République de Donetsk.
Les unités des troupes d’assaut aéroportées de l’armée ukrainienne avec les militaires les plus prêts au combat sont arrivées dans la région de Novoaleksandrivka.
Les chasseurs des forces aériennes russes ont abattu un avion MiG-29 ukrainien près de Bachtanka
+ il semble que les troupes russes avancent plus rapidement que prévu du fait des ruptures que nous avons déjà repérées dans le dispositif ukrainien: pertes élevées, envoi au front de recrues insuffisamment formées.
+ Le 13 juillet au soir, les troupes alliées sont à la lisière de Seversk et de Soledar. Toute la journée d’hier, on a parlé de soldats ukrainiens quittant les deux villes – après avoir rançonné les habitants.
En fin de soirée le 13 juillet, on annonce l’entrée des troupes alliées à Seversk.
+ L’armée russe a frappé ce mercredi 13 avril un poste central électrique et un site d’entrepôt et de réparation de matériel militaire à Zaporojie, d’où l’armée ukrainienne devrait, si l’on en croit Zelenski, lancer une opération de reconquête du sud de l’Ukraine. (Kherson devant être le second point d’appui de la future offensive – Zaporojie est encore en partie sous contrôle ukrainien. Mais Kherson est désormais territoire sous contrôle russe. (Une petite offensive terrestre a été tentée par l’armée ukrainienne le 13 juillet, dans la région de Kherson. Elle s’est immédiatement soldée par un échec).
Des missiles ont aussi été tirés sur des installations militaires dans le port de Nikolaïev.
+ Les Russes ont saisi un M777 américain. Comme le canon Caesar, ils vont pouvoir le décortiquer.
+ Les sources indépendantes que nous utilisons remarquent que l’artillerie ukrainienne a touché, ces derniers jours, plusieurs entrepôts de munitions russes. Il semblent qu’il y ait là une combinaisons d’armes occidentales plus sophistiquées et de renseignement militaire OTANien. Cependant, pour l’instant, cela ne semble pas significatif: l’armée russe et les troupes républicaines tirent 50.000 obus par jour. Et ce sont quelques entrepôts seulement qui ont été détruits en quelques jours. Je suis pour l’instant partisan de considérer comme marginal un phénomène qui est exagéré par une armée ukrainienne en manque de succès; et sans doute survalorisé par des observateurs soucieux de contrebalancer les sources russes par les sources ukrainiennes.
+ A Washington on se demande de plus en plus comment la Russie, avec un budget militaire de 66 milliards annuels semble avoir des stocks inépuisables quand le budget militaire de l’OTAN – 1100 milliards de dollars n’empêche pas les stocks d’armes de s’épuiser et donc tarira, inévitablement, les livraisons à l’Ukraine.
+ Une partie des munitions et armes livrées par l’Occident se retrouvent sur le Darknet. Par exemple, vous pouvez acheter des Javelin 30.000 dollars pièce.
+ Le Financial Times fait état de la revente par des intermédiaires ukrainiens des armes livrées par l’Occident.
+ Il se confirme que l’armée ukrainienne commence à former des femmes pour les envoyer au combat.
+ les forces armées ukrainiennes ont-elles utilisé des munitions au phosphore dans le District de Kalininski à Donetsk.? On connaît un cas à Slaviansk, en juin 2014.
+En pleine guerre, le gouvernement ukrainien a le temps de préparer une loi sur le mariage homosexuel. Une pétition, d’autre part, a demandé au Président Zelenski de remplacer la statue de Catherine la Grande, à Odessa, par celle de l’acteur américain de films pornographiques gay Billy Herrington, décédé en 2018.
+ Le gouvernement ukrainien affirme avoir actuellement besoin de 9 milliards de dollars par mois en prêts occidentaux pour pouvoir financer la guerre. En avril, le même gouvernement parlait de 5 milliards par mois. Mais Joe Biden et Jens Stoltenberg ont déclaré de manière convergente que l’Ukraine devrait sans doute céder des territoires pour arriver à un accord de paix.
Les objectifs stratégiques américains à l'épreuve des faits
Les buts stratégiques américains vus de l’intérieur
+ Je recommande la remarquable analyse de Michael Brenner, reproduite par le CF2R:
“À partir d’avril 2021, les contours de la stratégie américaine à l’égard de l’Ukraine et de la Russie se sont rapidement précisés : organiser un incident provocateur dans le Donbass qui déclenche une réaction russe pouvant ensuite être utilisée pour confirmer les affirmations spécieuses de Washington concernant des plans d’invasion russes préexistants.
Le renforcement significatif des forces ukrainiennes le long de la ligne de contact dans le Donbass, approvisionnées en abondance en missiles antichars Javelin et antimissiles Sprint, laissait présager la préparation d’actions militaires offensives. Cela consistait à faire exactement ce dont nous accusions Moscou : planifier une attaque délibérée. Washington s’attendait à ce que la crise qui s’ensuivrait contraigne les Européens de l’Ouest à accepter un ensemble complet de sanctions économiques – y compris l’annulation de Nord Stream II contre la Russie. C’était la pièce maîtresse du plan. L’équipe de politique étrangère de Joe Biden était convaincue que les sanctions draconiennes provoqueraient l’effondrement de l’économie russe, fragile et peu diversifiée. (C’est nous qui soulignons. EH) Le bénéfice secondaire pour les États-Unis serait une plus grande dépendance de l’Europe vis-à-vis d’eux en matière de ressources énergétiques, et de manière implicite, leur alignement sur les positions politiques de Washington. Ainsi, la peur de la Russie et la dépendance économique, perpétueraient-elles indéfiniment le statut de vassal des États européens qui est le leur depuis soixante-quinze ans.
Par conséquent, la cible principale de Washington dans la crise de l’Ukraine était la Russie – l’obéissance croissante des alliés européens à Washington étant un gain collatéral. Le boycott généralisé – et nous l’espérions mondial – des exportations russes de gaz naturel et de pétrole était envisagé comme un moyen d’épuiser les ressources financières et l’économie du pays à mesure que ses recettes liées aux exportations diminueraient.
Si l’on ajoute à cela le projet d’exclure la Russie du mécanisme de transaction financière SWIFT, le choc subi par l’économie devait entraîner son implosion. Le rouble s’effondrerait, l’inflation monterait en flèche, le niveau de vie chuterait, le mécontentement populaire affaiblirait tellement Poutine qu’il serait contraint de démissionner ou serait remplacé par une cabale d’oligarques mécontents. Le résultat serait une Russie plus faible, redevable à l’Occident, ou une Russie isolée et impuissante. Comme le disait le président Biden : « Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir ».
Pour bien comprendre la tactique employée par les États-Unis, il faut tenir compte d’un fait capital : très peu de personnes dans le Washington officiel se souciaient de la stabilité de l’Ukraine ou du bien-être du peuple ukrainien. Leurs yeux étaient fixés sur Moscou. Dans l’esprit des stratèges de Washington, l’Ukraine constituait une occasion unique de justifier l’imposition de sanctions paralysantes qui mettraient un terme aux ambitions supposées de Poutine en Europe et au-delà. En outre, les liens de plus en plus étroits entre la Russie et les États européens seraient rompus, probablement de manière irrémédiable. Un nouveau rideau de fer diviserait le continent, marqué par une ligne de sang – le sang ukrainien. Cette réalité géostratégique libérerait l’Occident pour qu’il consacre toute son énergie à faire face à la Chine. Tout ce que les États-Unis ont fait vis-à-vis de l’Ukraine au cours de l’année écoulée a été dicté par cet objectif primordial.
Ces scénarios optimistes avaient en commun l’espoir que le partenariat sino-russe naissant serait fatalement affaibli, ce qui ferait pencher la balance en faveur des États-Unis dans la bataille à venir avec la Chine pour la suprématie mondiale. (…)
Comment ce plan a-t-il été conçu et décidé ? En vérité, les objectifs généraux étaient définis depuis l’administration Obama. Le président lui-même avait donné son approbation au coup d’État de Maïdan (2014), lequel a été supervisé directement par le vice-président de l’époque, Joe Biden, qui a agi en tant que pilote pour l’Ukraine entre mars 2014 et janvier 2016. Puis, l’administration américaine a pris des mesures énergiques pour bloquer la mise en œuvre des accords de Minsk II, faisant des remontrances à Merkel et Macron pour avoir accepté d’en être les souscripteurs. C’est pourquoi Berlin et Paris n’ont jamais fait le moindre geste pour persuader Kiev de respecter ses obligations.
L’opération visant à provoquer une crise dans le Donbass a été élaborée par des personnalités influentes – notamment Anthony Blinken, le secrétaire d’Etat, et Jake Sullivan, le patron du Conseil national de Sécurité – et dans les cercles néo-conservateurs pendant la présidence Trump (…).
La stratégie consistait à augmenter la pression sur Moscou afin d’étouffer dans l’œuf l’aspiration de la Russie à redevenir un acteur majeur pouvant priver les États-Unis de leurs privilèges d’hégémon mondial et de maître unique de l’Europe. Elle a été conduite par l’ardente Victoria Nuland et ses camarades néo-cons présents au sein du National Security Council (NSC), de la CIA, du Pentagone, du Congrès et dans les médias. Comme Anthony Blinken et Jake Sullivan étaient eux-mêmes partisans de cette stratégie de confrontation, l’issue du débat était jouée d’avance.
En ce qui concerne l’Ukraine, le plan était prêt et n’attendait que la décision de Maison-Blanche. Les partisans d’une nouvelle Guerre froide présents partout dans l’administration purent imposer leur point de vue à un gouvernement dans lequel n’existait aucune voix discordante et dirigé par un président passif et malléable était certaine. Ainsi, le plan anti-Russie en Ukraine prit forme avec le renforcement des forces militaires ukrainiennes le long de la ligne de contact dans le Donbass et les discours belliqueux sur la nécessité d’imposer à Moscou des sanctions économiques plus lourdes en cas de conflit, venant aussi bien de Washington que de Bruxelles.
Les dirigeants du Kremlin semblent avoir été parfaitement conscients de ce qui se tramait. L’objectif américain de remettre la Russie à sa place subordonnée était considéré comme une évidence par le Kremlin. Mais une certaine incertitude régnait quant à savoir à quelles initiatives il fallait s’attendre sur le terrain : un assaut majeur des forces de Kiev dans le Donbass ou des actes de provocation de moindre envergure pour provoquer une réaction russe qui pourrait servir de prétexte à l’imposition de sanctions – notamment la fermeture de Nord Stream II ?
Il est probable que les hauts responsables à Washington n’avaient pas eux-mêmes établi de choix quant aux modalités tactiques de leur action. (…)
Mais finalement, la décision de lancer l’opération contre la Russie a été prise. Une preuve indéniable en sont les annonces très précises du président Biden, d’Anthony Blinken et du directeur de la CIA, William Burns, quant à la date de « l’offensive » russe. Ils pouvaient être aussi affirmatifs parce qu’ils connaissaient parfaitement la date fixée pour le début de l’opération militaire ukrainienne contre le Donbass – et savaient que Moscou régirait aussitôt militairement. Ces affirmations ne reposaient pas sur des renseignements privilégiés obtenue grâce à des interceptions des communications russes ou la présence d’une taupe au Kremlin… Washington ne dispose pas d’un tel accès aux centres de décision moscovites, comme le prouve le fait que les Etats-Unis aient été surpris par toutes les autres initiatives russes importantes, notamment par l’intervention militaire en Syrie en 2015.
Le compte à rebours a été enclenché par la multiplication par 30 des bombardements ukrainiens dans le Donbass – y compris contre des quartiers résidentiels – entre le 16 et le 23 février 2022, ainsi que l’ont signalé les observateurs de l’OSCE. La forme et l’ampleur exactes de la réaction du Kremlin étaient imprévisibles, mais cela ne constituait pas en soi un problème pour Washington, puisque toute action militaire de Moscou servait son grand projet. En outre, les Américains étaient convaincus que l’ambitieux programme de formation et d’équipement de l’armée ukrainienne lancé depuis 2018 – et complété par l’érection d’un important réseau de fortifications constituant une ligne Maginot miniature – empêcherait une déroute des forces de Kiev et, par conséquent, créerait les conditions d’une guerre d’usure dont les effets sur l’économie et l’opinion russes seraient particulièrement marqués. (…)“.
Ce texte est écrit, sinon avec le style, du moins avec la la froideur décapante d’un Tacite décrivant les décisions des empereurs romains de l’intérieur. On comprend:
- que l’élection de Donald Trump a enrayé les plans des Démocrates, qui se sont empressés de les reprendre après avoir empêché le gagnant réel de l’élection de 2020 d’entrer effectivement à la Maison Blanche. Une petite révolution de couleur interne….
- …avant de déclencher la guerre par Ukraine interposée contre la Russie, qui aurait dû avoir lieu dès 2018-2019, si Hillary Clinton avait été élue. Guerre ukrainienne assortie de sanctions économiques destinées à faire renverser le régime de Vladimir Poutine par une grande “révolution de couleur”, le couronnement de l’entreprise des neocons/néolibs. La réalisation du plan post-kinssigérien, font Brzezinski avait donné une version dans son Grand Echiquier
- Qu’il soit absurde de penser affronter successivement la Russie, deuxième (première?) puissance militaire de la planète puis la Chine prouve non seulement que les dirigeants démocrates et Républicains néo-conservateurs ont abandonné la doctrine Kissinger d’équilibre des puissances; mais aussi qu’ou bien les Démocrates sont prisonniers de leur idéologie hyperindividualiste, qui leur fait perdre de vue les réalités stratégiques; ou bien ils n’ont jamais eu l’intention de faire la guerre à la Chine. mais imaginé de se partager la Russie et le monde avec elle, selon une complicité entre “globalistes”.
- dans tous les cas, l’équipe démocrate post-Obama a sous-estimé la puissance russe et présumé de ses propres forces.
Un journal du PCC commence à parler ouvertement de défaite américaine
+ Après quatre mois de guerre, le Global Times, organe anglophone du Parti Communiste Chinois analyse non moins froidement les mauvais calculs américains. :
“Les États-Unis sont-ils confrontés à un puits sans fond d’aide militaire alors que la crise ukrainienne s’éternise ?” demande le journal, qui poursuit:
“La crise entre la Russie et l’Ukraine se poursuit sans qu’une fin soit en vue. Bien que le président américain Joe Biden ait promis de rester aux côtés de l’Ukraine “aussi longtemps qu’il le faudra”, la guerre et la lassitude à l’égard de l’Ukraine ont été constatées aux États-Unis et chez nombre de leurs alliés occidentaux, avec l’émergence de crises énergétiques et alimentaires, la montée en flèche de l’inflation et les dépenses massives pour l’Ukraine.
En réaction, les doutes se multiplient quant à la durée du soutien des États-Unis et de l’Occident à l’Ukraine. Par exemple, le New York Times a cité samedi [9 juillet] des responsables et des analystes américains affirmant qu’il serait difficile pour les États-Unis et leurs alliés de maintenir le même niveau de soutien matériel alors que la fatigue de la guerre augmente des deux côtés de l’Atlantique.
“À l’origine, les États-Unis avaient l’intention d’exploiter l’Ukraine comme un pion essentiel pour affaiblir la Russie. Ironiquement, au lieu d’entraîner la Russie, la situation a été utilisée par Moscou, à son tour, pour coincer les États-Unis et les pays occidentaux.” Song Zhongping, expert militaire et commentateur de télévision chinois, a déclaré au Global Times : “La stratégie des États-Unis pourrait se retourner contre eux. À en juger par la situation actuelle, il est devenu de plus en plus difficile pour l’Ukraine de vaincre la Russie. Plus la crise ukrainienne durera, plus elle sera préjudiciable aux États-Unis et à l’Occident.”
Plusieurs médias américains ont exprimé leur inquiétude quant aux dépenses massives des États-Unis en Ukraine. Fox News a rapporté samedi que les fonds engagés jusqu’à présent par les États-Unis à Kiev ont déjà dépassé le coût total des États-Unis au cours des cinq premières années en Afghanistan.
Contrairement à la guerre en Afghanistan, qui a été lancée et menée par les États-Unis, le conflit Russie-Ukraine est une guerre par procuration contre la Russie menée par les États-Unis, qui implique de nombreux éléments incontrôlables. Dans ce contexte, “les États-Unis et leurs alliés découvriront bientôt que leur soutien à l’Ukraine est en fait un puits sans fond et finiront par en supporter les conséquences”, a noté M. Song.
Vendredi, l’administration Biden a annoncé un autre plan de retrait militaire de 400 millions de dollars pour l’Ukraine, qui tentera de repousser les avancées russes, ajoute Fox News.
La pratique de Washington consistant à retirer ses propres articles et services de défense pour soutenir l’Ukraine n’est guère plus que de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Lorsque Washington espère augmenter ses dépenses de guerre pour aider l’Ukraine, il doit réduire d’autres parties de son programme de défense.
L’aide massive nécessaire pour soutenir l’Ukraine a placé les États-Unis face à un dilemme. Si les États-Unis continuent à soutenir l’Ukraine dans cette guerre par procuration, celle-ci constituera un fardeau de plus en plus lourd pour les États-Unis, ce qui aura pour effet de freiner davantage l’économie américaine et de faire grimper l’inflation. Mais si Washington abandonne à mi-chemin, tout son soutien antérieur sera réduit à néant. Les États-Unis, qui sont à l’origine de la crise ukrainienne, se tirent une balle dans le pied.
Les États-Unis ont autorisé 54 milliards de dollars d’aide militaire et autre à l’Ukraine, mais les doutes persistent quant à savoir si les fonds sont suffisants pour soutenir le pays ; tandis que dans l’UE, son plan d’aide à l’Ukraine a rencontré des obstacles importants, une proposition récente d’un milliard d’euros étant bloquée par l’Allemagne qui a bloqué un paquet plus important de près de 9 milliards d’euros. De plus en plus de personnes aux États-Unis et en Occident se rendront compte que, comme il est difficile pour l’Ukraine d’obtenir un succès contre la Russie, une aide occidentale massive à l’Ukraine ne leur apportera rien et ne fera que déclencher davantage de problèmes. Une proportion croissante de la population aux Etats-Unis et en Occident se rendra bientôt compte qu’il sera difficile de maintenir le même niveau d’aide à l’Ukraine.
“Un plus grand nombre de pays de l’UE ont commencé à envisager de se retirer. Tout comme les États-Unis”, a déclaré M. Song.
Les États-Unis et l’Occident ont peut-être, finalement et de manière embarrassante, compris de quel côté ils ont glissé dans le bourbier.”
Donc le Global Times prédit ouvertement la défaite des États-Unis face à la Russie. Song Zhongping, qui est cité ici, est un analyste et commentateur militaire chinois de premier plan – et un professeur diplômé de l’Université d’ingénierie de l’Armée Populaire de Libération. M.K. Bhadrakumar souligne que cet article est paru trois jours seulement après la conversation de cinq heures que Blinken a eue avec Wang Yi à Bali le 8 juillet pour explorer les possibilités de détente. Pékin sent que Biden négocie en position de faiblesse.
Une lecture originale des buts de guerre de la Russie
+ A mettre en regard l’intéressant article de l’Amiral Alain de Dainville:
“L’opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine n’a pas été improvisée. Moscou a mobilisé des réserves et caché de l’or pour disposer avant l’invasion du cinquième plus grand paquet de devises étrangères et d’or au monde, d’un montant de plusieurs centaines de milliards de dollars. (…)
[L]a guerre en Ukraine contribuent à réorienter les flux de la mondialisation.
En premier lieu, les échanges financiers sont perturbés par l’exclusion de la Russie du système SWIFT. Elle favorise l’émergence de systèmes concurrents, encore embryonnaires mais qui montent en puissance, russes (SPFS / Sistema peredachi finansovykh soobscheniy) ou chinois (CIPS) / Cross-Border Interbank Payment System). L’hégémonie financière de SWIFT est attaquée dans une rivalité qui va concentrer des tensions autour de leur vecteur de transit, les fibres optiques sur lesquelles la marine russe est bien équipée pour intervenir.
Ensuite, un nouvel équilibre est recherché dans les flux d’énergie. Malgré les sanctions sévères imposées à la Russie par les États-Unis et leurs alliés, les exportations d’or noir russes augmentent en 2022. Chine et Inde ont profité d’une remise de près de 30 % pour accroître leur approvisionnement en pétrole russe, au détriment du Moyen-Orient qui se rattrape sur l’Europe. L’Union européenne se détourne également du gaz russe pour se tourner vers l’Égypte et Israël, le gaz de schiste américain, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Cette reconfiguration des flux exige d’adapter les infrastructures, les raffineries, les usines de liquéfaction et d’ouvrir de nouvelles routes maritimes pour compenser l’inadéquation des oléoducs et gazoducs. Elle requiert un recours accru aux pétroliers et méthaniers dont le besoin et la circulation s’accroissent, augmentant l’insécurité sur les routes maritimes, notamment dans les détroits.
Mais le point le plus sensible est la crise alimentaire, provoquée par les difficultés d’exporter les céréales, crise gravissime car elle touche les besoins vitaux, déstabilise des pays du Proche-Orient et d’Afrique, et ne peut pas se régler avec la planche à billets. Elle fait monter la pression des affamés pour trouver une solution à cette “guerre de riches”, renvoyant dos à dos Russes, mais surtout États-Unis accusés d’abuser de leur place dominante sur le marché des matières céréalières. L’ONU, avec l’aide de la Turquie, déploie des efforts soumis aux exigences russes pour créer un couloir humanitaire permettant d’exporter les céréales en brisant le blocus et l’embargo, à condition de déblayer les mines venant des ports d’Ukraine.
Ainsi, la Russie semble afficher un double ambition, se créer un glacis défensif et accroître son statut de puissance dans la mondialisation par son rôle dans l’OPEP+ et dans les productions céréalières. Dans la tradition du rêve de Pierre Le Grand, elle cherche à devenir un puissance un peu plus maritime, suivant le conseil de l’indémodable Sir Walter Raleigh : “celui qui commande le commerce de la mer, commande la richesse du monde”.
En froid avec l’Europe, elle réoriente vers l’Asie sa politique étrangère pour le monde d’après la guerre d’Ukraine. En témoigne la tournée fin juin du Président russe en Asie Centrale. Alors que l’OTAN poursuit son expansion vers l’Est en Europe, elle vise avec le soutien de circonstance de la Chine et l’Inde à renforcer un bloc sécuritaire et économique avec l’Iran et le Moyen-Orient.
Les puissances qui ont des ambitions maritimes veulent remodeler les mers par des corridors de voies ferrées ou le creusement de canaux, comme le fit l’Occident d’hier avec Panama et Suez. Des projets existent, chinois, turcs, iraniens, en Thaïlande, autour d’Istanbul et ailleurs. La Russie n’y échappe pas, en développant le lien entre la Baltique et l’Océan Indien ou à la Méditerranée par la Mer Caspienne. Elle réactive, encore modestement, le réseau fluvial, appelé corridor Nord/Sud au service de l’expansion vers l’Asie pour relier Saint-Pétersbourg à Bombay en 15 jours.
Elle cherche ainsi à faire un nœud de transport entre l’Inde, la Chine et la Russie échappant à l’Occident, dans la Mer Caspienne qu’elle a reliée par un canal à la Mer d’Azov, d’où elle a évincé l’Ukraine. Elle accroît ainsi son contrôle sur les exportations de céréales. La conquête de la majorité du Sud de l’Ukraine lui permet de se partager avec la Turquie la Mer Noire, mer délaissée par les pays occidentaux depuis la fin de la Guerre froide. Russie et Turquie peuvent ainsi pousser leurs intérêts en y construisant un nouvel ordre régional à l’abri des intrus. La Russie peut ainsi atteindre la Méditerranée, s’ancrer un peu plus à Tartous en Syrie, porte du Moyen-Orient et profiter du coup d’état d’octobre 2021, pour avancer ses pions à Port Soudan, porte orientale de l’Afrique.
Le monde se réveillera du cauchemar ukrainien avec une Russie acteur de la mondialisation, soutenue par une flotte qui restera redoutable, notamment sous la mer.
Ainsi, la Russie cherche avec agressivité à se défendre sur terre et à se répandre en mer, dans un glissement d’intérêt traditionnel pour les steppes du cœur de sa Nation, vers des espaces géoéconomiques plus fluviaux-maritimes. Il reste à ses dirigeants à convaincre la société russe d’aimer la mer et le commerce. Plus le temps passe, plus la tendance se renforcera“.
L’UE embourbée
+ L’acheminement ferroviaire entre Kaliningrad et le reste du territoire russe va pouvoir reprendre. Apparemment, les pressions de Moscou sur la Lituanie et l’Union Européenne, dont on ne connaît pas la teneur, ont été dissuasives.
+ selon le gouvernement ukrainien, un accord serait en vue avec la Russie pour l’acheminement des céréales récoltées en Ukraine et destinées à l’exportation.
+ Lu sur Actualités mondiales et françaises:
“La Hongrie a déclaré l’état d’urgence énergétique, ce qui implique un certain nombre de mesures pour se préparer à la prochaine saison de chauffage. Une interdiction est introduite sur l’exportation de ressources énergétiques, même le bois de chauffage ne peut plus être exporté du pays.
A partir du mois d’août, les achats de gaz auprès de fournisseurs étrangers seront augmentés et sa consommation à l’intérieur du pays sera réduite.
En outre, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que la Hongrie ne soutiendrait pas de nouveaux embargos contre la Russie, en particulier sur le gaz.
Le directeur de cabinet de Viktor Orban a à son tour noté que la situation est assez grave, que la pénurie se fera sentir dans toute l’Europe et qu’il y a déjà une situation de pénurie de gaz pour la période automne-hiver (les stocks n’ont pas été faits).
Il est étrange qu’en Europe, cela ne soit toujours pas compris.”
Le monde d'après l'hégémonie américaine réapprend la diplomatie, la complexité et l'équilibre des puissances
+ La Corée du Nord a reconnu les républiques populaires de Lougansk et Donetsk. Et l’Ukraine a pris le temps de rompre les relations diplomatiques avec Pyongyang.
+La Russie a considérablement augmenté ses livraisons de produits pétroliers au Moyen-Orient – selon Bloomberg
Face aux sanctions occidentales contre la Russie, les pays du Moyen-Orient ont augmenté leurs livraisons de produits pétroliers en provenance de Russie à 155.000 bpj en juin, rapporte Bloomberg en se basant sur les données de la société d’analyse Vortexa
Les importations de produits pétroliers de la Russie vers le Moyen-Orient ont atteint le mois dernier leur plus haut niveau depuis 2016, précise Bloomberg. La plupart des livraisons sont du fioul, mais l’essence, le carburant d’aviation et le diesel sont également importés.
Les livraisons de la Russie devraient continuer à augmenter en juillet par rapport au mois précédent – elles s’élevaient déjà à 220.000 bpj du 1er au 11 juillet. Plus d’un tiers de ces livraisons ont été réalisées à partir de la plateforme d’El Fujairah, aux Émirats arabes unis.
+ L’Egypte, la Turquie, l’Arabie Saoudite souhaitent rejoindre les BRICS.
Nouvelle leçon d’analyse diplomatique de M.K. Bhadrakumar :
Une fois de plus sortons de la médiocrité de l’actuelle équipe dirigeante française et partons prendre une leçon d’analyse diplomatique avec M.K. Bhadrakumar :
“Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a annoncé mardi à Moscou que le président Vladimir Poutine se rendra à Téhéran le 19 juillet, pour participer à une réunion tripartite avec ses homologues iranien et turc dans le cadre du processus de paix d’Astana visant à mettre fin à la guerre en Syrie, ainsi que pour tenir une réunion bilatérale avec le président turc Recep Erdogan.
Un tel sommet était attendu depuis longtemps, mais la pandémie et le conflit ukrainien ont retardé les choses. L’impasse actuelle en Syrie est lourde de risques. La Turquie envisage de lancer une nouvelle incursion militaire dans les régions frontalières du nord de la Syrie, sous le contrôle de groupes kurdes qui, selon Ankara, sont liés au PKK séparatiste et se trouvent être les alliés inséparables du Pentagone.
Damas, Moscou et Téhéran – et Washington – désapprouvent l’initiative turque, qu’ils jugent potentiellement déstabilisante, mais Erdogan maintient les plans dans un état d’animation suspendue, tout en atténuant avec tact la rhétorique menaçante et en reconnaissant qu’il n’est “pas pressé”.
Faute de feu vert de la part de ses partenaires d’Astana, Erdogan n’est vraisemblablement pas prêt à lancer l’incursion militaire, mais la Russie et l’Iran craignent que l’incursion ne complique leur présence et leur influence politique en Syrie et ne risque une confrontation entre les troupes turques et les forces gouvernementales syriennes.
Toutefois, hormis la Syrie, le voyage de M. Poutine a des ramifications beaucoup plus larges. (…) Il est clair que la Turquie et l’Iran apparaissent comme deux des relations les plus importantes de la politique étrangère et de la diplomatie russes. Et la visite de Poutine intervient à un moment où l’approche des États-Unis à l’égard de la Turquie et de l’Iran est en pleine mutation.
Les espoirs d’Erdogan d’un rapprochement avec les États-Unis ont été anéantis lorsque le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a déclaré aux journalistes, le 30 juin, qu’Athènes avait soumis une lettre de demande “ces derniers jours” au gouvernement américain pour un escadron de 20 F-35, avec la possibilité d’acheter un escadron supplémentaire. L’annonce grecque est intervenue un jour seulement après que le président Joe Biden eut assuré à Erdogan, en marge du sommet de l’OTAN à Madrid, qu’il soutenait la demande de F-16 que ce dernier avait présentée.
Erdogan aurait dû savoir que la longue et fructueuse carrière de Biden est inextricablement liée au puissant lobby grec aux États-Unis, qui est une source importante de financement électoral pour les aspirants politiciens. Il est donc certain que l’accord grec sur les F-35 sera approuvé, ce qui pourrait creuser davantage le fossé entre les relations déjà tendues entre les États-Unis et la Turquie – et ne fera que renforcer les soupçons d’Ankara selon lesquels Washington utilise la Grèce comme un pion pour contrôler la Turquie. En théorie, l’accord pourrait modifier l’équilibre militaire en Méditerranée orientale, compte tenu de l’alliance de la Grèce avec Chypre et Israël.
Il suffit de dire que la conversation de Poutine avec Erdogan intervient à un moment d’incertitude dans les relations turco-américaines. Dans l’immédiat, les circonstances sont donc des plus propices à l’établissement d’un corridor naval en mer Noire pour exporter des céréales depuis l’Ukraine. Il existe une convergence stratégique entre la volonté de Moscou de prouver qu’elle n’est pas à l’origine de la crise mondiale des céréales et le désir de la Turquie de projeter son autonomie stratégique, bien qu’elle soit membre de l’OTAN.
Le ministre turc de la défense, M. Akar, a annoncé le 13 juillet qu’un consensus avait été trouvé sur la création d’un centre de coordination à Istanbul avec la participation de toutes les parties. Les parties russe et ukrainienne ont également convenu d’un contrôle conjoint des navires à l’entrée et à la sortie des ports, ainsi que de la sécurité maritime. C’est une victoire éclatante pour la médiation turque. Dans le processus, nous pouvons faire confiance à la relation solide entre Erdogan et Poutine pour (…) approfondir les relations politico-économiques turco-russes. La Turquie a un rôle unique à jouer, alors que Moscou s’efforce de contourner les sanctions occidentales.
De même, les entretiens de Poutine avec les dirigeants iraniens ont également une grande portée géopolitique. Le président américain Joe Biden vient de terminer son voyage en Arabie saoudite, un événement qui a une incidence sur les intérêts fondamentaux de l’Iran à un moment crucial où les négociations nucléaires sont à la dérive et où les pourparlers de normalisation entre Téhéran et Riyad ont progressé.
La révélation théâtrale du conseiller américain à la sécurité nationale, Jack Sullivan, lundi, selon laquelle l’Iran aurait fourni “plusieurs centaines de drones, y compris des drones capables de fabriquer des armes, selon un calendrier accéléré”, et selon laquelle du personnel russe aurait suivi une formation en Iran à cet égard, etc. semble avoir été soigneusement programmée.
Ce qu’il faut noter ici, c’est que l’histoire de Sullivan chevauche des pourparlers secrets qui auraient eu lieu entre Riyad et Jérusalem sur des échanges de technologies de défense, spécifiquement liés aux préoccupations saoudiennes concernant les drones iraniens !
En outre, les propos de Sullivan s’inscrivent dans le contexte de l’annonce par Israël, le mois dernier, de la formation d’une coalition de défense aérienne mutuelle qui devrait impliquer, entre autres, les EAU et l’Arabie saoudite.
Certes, la révélation de Sullivan juste avant le voyage de Biden à Riyad comporte un aspect politique, car elle met la pression sur l’Arabie saoudite pour qu’elle repense à la fois sa relation florissante avec la Russie et ses pourparlers de normalisation avec l’Iran.
Moscou comprend que le but premier de la tournée de Biden au Moyen-Orient est de constituer un front contre la Russie et la Chine. En effet, Biden a écrit dans un éditorial du Washington Post la semaine dernière sur sa tournée au Moyen-Orient : “Nous devons contrer l’agression russe, être en meilleure position pour gagner la compétition avec la Chine, et travailler à renforcer la stabilité dans une région importante du monde. Pour ce faire, nous devons interagir directement avec les pays qui peuvent influencer les résultats de ce travail. L’Arabie saoudite est l’un de ces pays.”
Biden espère amener l’Arabie saoudite dans une sorte de format avec Israël sous un pacte de coopération stratégique de défense contraignant qui va au-delà de tout ce que les États-Unis ont accepté auparavant. Cela passe inévitablement par la diabolisation de l’Iran en tant que menace commune. En d’autres termes, Biden fait revivre une stratégie américaine qui a échoué, à savoir organiser la région autour de l’objectif d’isoler et de contenir l’Iran.
En effet, si l’histoire est un guide, l’idée de Biden de créer un système de sécurité collective est vouée à l’échec. De telles tentatives se sont déjà heurtées à une résistance farouche des États de la région. Par ailleurs, la Russie dispose de certains avantages dans ce domaine, ayant mené une diplomatie avec les États de la région qui est fermement ancrée dans le respect et les avantages mutuels, la prévisibilité et la fiabilité. Lors de la récente visite du ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov en Arabie saoudite, un certain accord a été conclu, que Riyad ne risque pas de renier.
En effet, l’Arabie saoudite et la Russie ont une convergence d’intérêts en ce qui concerne le marché pétrolier. En tout état de cause, les experts estiment que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis disposent d’une capacité de réserve très limitée. On s’attend à ce que l’Arabie saoudite accepte très probablement de desserrer les robinets de pétrole à la suite de la visite de M. Biden, mais les dirigeants s’efforceront toujours de trouver un moyen de le faire dans le contexte de l’accord OPEP+ actuel (avec la Russie) qui s’étend jusqu’en décembre, par exemple en compensant la sous-performance de la production des États de l’OPEP en difficulté comme le Nigeria et l’Angola. (La capacité de l’OPEP+ est déjà bien inférieure au niveau impliqué dans l’accord).
Fondamentalement, comme l’a récemment noté la présidente exécutive de l’Institut Quincy, Trista Parsi, “toute réduction des tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran est une menace pour la durabilité des accords d’Abraham… Cela signifie que pour qu’Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis continuent d’avoir suffisamment d’incitations stratégiques pour collaborer et entretenir des relations et oublier tous ensemble la souffrance palestinienne, il faut qu’il y ait une menace de l’Iran. Sinon, c’est tout le château de cartes qui s’écroule”.
L’Iran comprend que les négociations du JCPOA ne sont ni mortes ni vivantes, mais dans un état comateux – à la merci du degré de réussite ou d’échec des discussions de Biden en Arabie saoudite. Mais tout indique que Téhéran appuie sur la pédale pour renforcer ses liens avec Moscou. L’adhésion de l’Iran à l’Organisation de Coopération de Shanghai est terminée, tandis qu’il cherche maintenant à devenir membre des BRICS. La boussole de la trajectoire de la politique étrangère de l’Iran est fixée. Dans une telle perspective, Poutine a certainement beaucoup de choses à discuter à Téhéran avec les dirigeants iraniens, alors que le nouvel ordre mondial prend forme.
Même en ce qui concerne l’histoire du drone de Sullivan, bien que l’Iran ait publié une réfutation pro forma, nous n’avons peut-être pas entendu le dernier mot. Le fait est que l’Iran figure parmi les cinq premiers leaders mondiaux dans le développement et la production de drones susceptibles d’intéresser la Russie – systèmes de frappe Shahed, drones tactiques Mohajer, diverses versions de drones de reconnaissance et de frappe Karrar d’une portée de 500 à 1000 km, drones kamikazes Arash, etc. Il est intéressant de noter que le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères a fait allusion au cadre existant de la coopération militaro-technique entre l’Iran et la Russie, qui est antérieure à la guerre en Ukraine”.
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