16 octobre 2020

Barkhane dégage !


Des milliers de personnes se rassemblaient en novembre 2019 place de l’Indépendance à Bamako pour exiger le départ de ce que les Maliens considèrent comme une armée d’occupation. Les mêmes slogans ont été scandés à Niamey en mai 2019 et à Ouagadougou en octobre 2019.

La jeunesse africaine n’a jamais été dupe quant à la nature de l’ingérence militaire française, elle ose désormais le proclamer en manifestant. Le délitement de l’Etat, amaigri par le service de la Dette, la tutelle monétaire française et la prédation des hommes politiques au pouvoir soucieux de détourner l’argent public et les aides internationales à leur profit, est tel qu’il n’assure aucun service, même le minimal, la sécurité des personnes et des biens. L’exigence du départ de l’armée française est vitale.

La rébellion dans le Nord du Mali est endémique depuis des décennies pour des raisons d’accès aux ressources, aires de pâturage restreintes par la crise climatique, les nomades sont délaissés et ne bénéficient pas de moyens éducatifs ni de santé. Elle réclame le désenclavement et l’intégration à la nation. Différents accords et pactes ont ponctué et conclu les cinq insurrections survenues depuis l’indépendance. Le mouvement autonomiste est récent, il s’est officialisé avec la création du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad en 2010 qui ne représente que quelques tribus touarègues dans l’Est et le Nord Est. Le MNLA est parrainé diplomatiquement par l’Etat français.

Des groupes hétéroclites

Par ailleurs différents groupes armés pratiquent dans la région tout type de trafic, humain, d’armement et de drogues ainsi que la prise d’otages depuis les années quatre-vingt. Certains se revendiquent de l’islamisme. Le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, né en 1998 d’une scission du GIA, groupe islamique armé algérien, prend le nom de Aqmi en 2007, signalant ainsi son allégeance à Al Qaïda. Cette affiliation est plus que symbolique, l’un des dirigeants du GIA, Mokhtar Benmokhtar avait rejoint les moujahidines en Afghanistan à l’âge de 17 ans. En 2002, des membres du GSPC ont rejoint le nord du Mali et ont entrepris de se financer en prenant des otages occidentaux.

La propagation de l’islamisme au Mali se fait donc depuis l’Algérie dont le gouvernement fait preuve de complaisance vis-à-vis de nouveaux groupes armés, sur le même mode que pendant la décennie sanglante de 1990. Ce contrôle des groupes islamistes partagé un temps avec la Libye de Qadhafi lui est nécessaire pour contenir un éventuel mouvement centrifuge de ses propres Touaregs alors qu’il octroie des appuis logistiques au Polisario au Sahara occidental.

Iyad Ag Ghali, formé militairement dans sa jeunesse dans l’armée libyenne, prend part à toutes les rébellions touareg des années quatre-vingt-dix et de 2006. En 2011, il fonde Ansar Dine, un mouvement fondamentaliste non séparatiste, appuyé par l’Algérie et recevant sans doute de l’argent de l’Arabie Séoudite. Ansar Dine aménage des alliances avec Aqmi et des milices tribales impliquées dans le trafic de drogue.

Beaucoup de jeunes sans travail, loin de toute conviction idéologique, s’engagent auprès de milices qui leur assurent un revenu et la sécurité des gens de leurs tribus.

Les accords de réconciliation entre les rebelles du Nord et l’Etat central conclus après 2006 n’ayant abouti à aucune modification concrète pour la population délaissée dans les deux-tiers septentrionaux du pays, MNLA et Ansar Dine ont entrepris en janvier 2012 une avancée sans jamais rencontrer l’armée nationale malienne. Profitant d’un vide institutionnel et politique créé par le coup d’Etat du 22 mars, le groupe dirigé par Iyad Ad Ghali a occupé en avril jusqu’à la ville de Douentza, à plus de 1000 km de Bamako.

Le sous-équipement de l’armée malienne qui n’a pu s’opposer aux rebelles résulte d’une volonté délibérée de la France. Une commande conséquente en blindés et armes légères auprès de la Russie et honorée par elle a été bloquée par les chefs d’Etat de la CEDEAO, le matériel avait été retenu aux ports de Dakar et de Conakry en 2011.

D’une part, la France soutient le MNLA en encourageant sa tendance séparatiste, d’autre part elle empêche le gouvernement malien de disposer d’une force armée dotée de moyens suffisants tout en prétendant vouloir conserver l’intégrité territoriale d’un pays enfoncé dans la misère par le pillage de ses entreprises. De surcroît, la France impose l’ intervention militaire d’une armée étrangère qui ne peut régler en aucun cas un conflit social mais qui va au contraire l’attiser.

Y’a bon, or, uranium et pétrole.

Sous les apparents paradoxes de l’ingérence française se profilent des lignes directrices.

L’impératif absolu est de faire place nette et de contrer la concurrence nombreuse qui se manifeste en Afrique, lieu par excellence ‘d’une niche de croissance’ pour le patronat français. La Chine construit des autoroutes, les Libanais et les Turcs des supermarchés, les Séoud et les Qataris des hôtels. La Chine et la Russie sont des rivaux convaincants pour la vente des armes. L’Algérie par le biais de Sonatrach s’est vue attribuer un très large territoire d’exploration pétrolière même si la compagnie pétrolière algérienne exploite en commun avec Total le bassin de Taoudeni.

Les réformes structurelles imposées par la Banque Mondiale en 1995 avaient permis un code minier très avantageux pour les sociétés exploitant l’or malien sans contrôle effectif du niveau de production du gouvernement malien et très faiblement taxées (66% de ses exportations et troisième production africaine). Il n’est pas question de réviser l’organisation de ce pillage. De façon annexe mais sans être négligeable dans les décisions de l’exécutif français, il faut laisser toute latitude à Bouygues et Veolia pour distribuer l’eau et l’électricité et à Orange pour les licences de télécommunication.

La proximité de l’uranium exploité par Areva au Niger est aussi un facteur important du quadrillage militaire de cette zone par la France.

Le ‘coup d’Etat démocratique’ réalisé par le Commandement des Opérations Spéciales placé directement sous les ordres de l’Élysée en Côte d’Ivoire en 2011 avait mis au pouvoir le très francophile Alassane Ouatara. Il répondait à l’ambition folle du précédent Président Gbagbo d’ouvrir à la concurrence les marchés publics, domaine réservé aux entreprises françaises. Bolloré ne souffrait pas la comparaison avec les propositions chinoise et sud-africaine pour la construction et la gestion des infrastructures portuaires, bien plus avantageuses pour le pays.

L’armée, source de la politique étrangère

La France s’est démenée pour faire admettre à la ‘communauté internationale’ une solution purement militaire à un problème réel d’accès aux ressources. Elle a prétexté une lutte antiterroriste exactement comme l’avaient fait les Usa avant d’envahir l’Afghanistan et l’Irak. Elle a réussi à imposer une résolution de l’ONU qu’elle a interprétée à sa manière. Elle a internationalisé son intervention en remorquant dans son sillage les moyens militaires de gouvernements africains peu connus pour leur respect des droits de l’homme comme Idriss Déby qui écrase dans le sang les révoltes contre sa dictature depuis plus de trente ans de pouvoir absolu clanique.

L ‘armée française en Afrique se comporte comme le Pentagone. Lieu de formation à la coloniale des futurs généraux conseillers de l’exécutif, elle doit subsister pour elle-même et obtenir davantage de dotations publiques. Exosquelette articulé autour des avantages procurés par des séjours fort bien rémunérés dans les Opex, elle est capable de vampiriser les institutions politiques pour infléchir les décisions selon ses propres intérêts. Il lui faut perpétuer la présence militaire qui autorise des soldes décuplées et maintient une continuité de la tradition d’occupation colonialiste des régiments d’infanterie de la marine. La formation des officiers à Saint-Cyr s’inspire encore de l’épopée militaire outre-mer et de son ‘rôle positif’, elle enseigne la ‘fierté de ses exploits, de ses sacrifices et de ses héros militaires’.

La guerre présente un intérêt crucial d’être une exposition en situation réelle des performances de l’armement français. Les marchands de canon pèsent du poids de leur influence médiatique pour disposer d’une vitrine tout en écoulant leurs machines de mort à l’Etat français transformé en leur VRP. Qu’importe si les opérations Serval et Barkhane ont eu besoin des USA pour le ravitaillement en vol de la flotte aérienne, le transport de la logistique et le renseignement électronique. Qu’importe si l’armée française a utilisé de l’uranium appauvri qui fera des dégâts sur la santé des Maliens et de leurs descendants. Qu’importe si elle a ‘reconquis ‘ le Nord seule sans le concours des Maliens, apparaissant pour ce qu’elle est, une armée d’occupation illégitime de manière ouverte et scandaleuse. Qu’importe si ces raids ont causé plus de morts et de déplacements de populations que les ‘terroristes ‘ eux-mêmes.

Par ailleurs, déclencher une opération de l’envergure de Serval et Barkhane pour mettre hors de nuire tout au plus 3000 combattants loin de leur zone de ravitaillement relève d’un mensonge affirmé avec arrogance dans un contexte de manipulation de l’information ? La guerre psychologique dirigée contre les opinions du peuple français et de celui du pays à détruire est un dispositif théorisé, enseigné et pratiqué par des branches spécialisées en communication de l’armée.
Le chaos organisé

Ce qui se dessine en filigrane donc au travers de ces opérations soutenues par des armées supplétives africaines qui n’hésitent pas à recruter des enfants-soldats, un crime de guerre patent, c’est l’organisation délibérée d’un chaos.

La rébellion qui a pris naissance dans les confins des frontières du Niger, du Burkina Faso et du Mali est secondaire à la destruction de la Jomhourya libyenne décidée par l’Otan en mars 2011. Au bout de quelques mois, le Conseil National de Transition libyen aux membres dont l’identité a été tenue secrète, création des capitales occidentales, s’est évaporé et toutes les institutions du pays, et singulièrement l’armée, se sont décomposées. Un gros contingent de soldats maliens a rejoint avec ses armes le Nord du Mali. En plus des arsenaux de l’armée libyenne pillés, les armes mises à disposition des rebelles libyens par l’Occident, le Qatar et les Séoud se sont disséminées à travers le Sahel.

L‘installation du chaos dans les pays envahis militairement est une doctrine élaborée par les néoconservateurs la plupart anciens trotskystes devenus des sionistes invétérés.

La France semble l’avoir reprise à son compte.

Le chaos ce n’est rien d’autre que la reproduction des conditions de la conquête de l’Ouest en Amérique. En l’absence d’un Etat national en mesure de défendre ses citoyens, c’est le pillage effréné et l’extermination sans limites. Le génocide au Rwanda en 1994 témoigne de la ‘passivité active’ vis-à-vis des meurtres de masse de la part des Occidentaux, particulièrement de la France.

L’Après Après Guerre Froide

Cet état du monde, épisode que l’on peut qualifier de Post Post Guerre Froide, a atteint ses limites avec l’intervention en Syrie de la Russie et la relative stabilisation que celle-ci maintient dans l’Est de l’Ukraine.

La France est donc en retard d’une stratégie.


Elle ne comprend pas que les Usa, blessés dans leur suprématie contestée, ne lui épargneront aucune défaite, fut-ce sous la forme du procès fait à la BNP impliquée dans des transactions commerciales avec le Soudan pendant son bannissement des relations commerciales et financières internationales décrété par la Maison Blanche.

Vassalisée, après avoir refusé de livrer les frégates payées à la Russie en mettant son industrie navale en péril, elle joue à la mouche du coche en prétendant vouloir punir Poutine pour une tentative d’un crime imaginaire sur un opposant d’opérette.

L’entreprise du chaos est en partie neutralisée également par la guerre économique entreprise par les Usa contre la Chine, laquelle absorbe une bonne partie de son énergie belliciste. C’est tout l’enjeu de l’empoignade entre les Démocrates, eux aussi en retard d’une guerre, promoteurs d’interventions militaires partout et tout le temps, et des ‘archéo-capitalistes ‘ qui ont pris Trump comme exécutant de leur désir de réindustrialiser le pays, mission rendue presque impossible par la formation de monopoles puissants hostiles à l’existence des frontières.

Quant à la Gauche française, volontiers impérialiste et mondialiste plutôt qu’authentiquement internationaliste, elle ferait mieux de dénoncer la prédation du capitalisme français en Afrique plutôt que de se concentrer angéliquement sur la défense des travailleurs sans papiers, venus fuir la guerre et la misère installées chez eux par le capitalisme et le militarisme français en Afrique comme au Moyen Orient.

La publicité faite à l’établissement de relations diplomatiques entre des micro entités arabes, les Émirats arabes unis et le Bahrein, petites chefferies tribales sur les côtes de l’Océan indien, promues États par l’ancienne puissance impériale britannique, reflète le désintérêt étasunien au Moyen Orient. L’attaque des Houtis de la capitale des Séoud et de deux infrastructures pétrolières vitales du royaume des Bédouins du Nedjd non contrariée par les immenses forces étasuniennes dans la zone en est un indice incontestable. Le terrain de confrontation avec l’ennemi chinois est l’Afrique dont la stabilité est nécessaire pour le développement économique chinois gage de sa propre stabilité sociale.


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