Le panache, voilà probablement ce qui fait le plus défaut en ces temps incertains où la France a perdu comme le déclamait Edmond Rostand « la pudeur de l'héroïsme ». La semaine passée je posais cette question : « Que sommes nous devenus ? » Voilà qu'il faut aller plus loin en se demandant, bien entendu, ce que nous allons devenir. Car, de jour en jour, la situation se dégrade avec, d'un coté, ceux qui bénéficient d'une impunité tout autant acquise qu'irréversible allant des passe-droits politiciens aux « incivilités » en tous genres. Et, de l'autre, ceux qui abdiquent, démissionnent, se taisent, abandonnent, car, contraints et désabusés, ils ont perdu le goût de l'insolence et ne cherchent même plus à regagner la victoire de l'esprit, l'élégance de la dignité.
Oui, que va devenir cette France ? Celle où nous allions fêter la liberté sous les lampions du quatorze juillet en regardant tourner un monde fascinant et fasciné sur une piste de danse désormais désertée. Cette France qui avait des opinions et le courage de les exprimer en bravant la censure, en ignorant les compromis, en dénonçant la soumission. Cette France qui n'a plus fière allure et préfère désormais à l'audace l'interdiction, au baroud l'absolution.
Voici donc ce peuple appelé à plus de résilience qui est en train de se résigner un téléphone portable à la main, un masque vissé sur le visage, des distances à respecter, la peur de l'autre en étendard, des journalistes obéissant aux consignes du cardinal de service, des entreprises ruinées, partout le déni de justice, la fin des contre pouvoirs, des enfants qui doivent apprendre à se méfier, des adultes qui ne savent plus à quel saint se vouer. Et des « saints » qui promettent ce qu'ils ne pourront jamais exhausser.
Nous avons accepté tant de choses ...
A bien y regarder, la prophétie du « marcheur » est peut être sur le point de s'accomplir : nous sommes effectivement en train de changer de monde. Et nous tournons la page d'une civilisation qui doit réduire sa voilure en limitant ses ambitions, en oubliant ses traditions.
Pour commencer, nous allons arrêter de nous embrasser, de nous serrer la main, de nous rencontrer si nous n'en avons pas besoin. Nous allons limiter nos déplacements, rendre visite à nos anciens uniquement quand il faudra leur administrer le Saint Sacrement. Nous éviterons les parties de pétanque, les concours de belote, les rassemblements familiaux, les festins amicaux, les fêtes de villages deviendront un vieux souvenir, les inaugurations seront strictement réglementées, de Lutèce au plus petit de nos villages nous devrons composer avec le dogme et le zèle des autorités, les dérogations seront la règle, le comptage des individus deviendra systématique à l'entrée des commerces et dans les administrations où la dématérialisation aura raison de l'humain, où l'ordinateur remplacera le terrain... Et, bien sur, nous ne pourrons plus manifester ou commenter devant un comptoir ce que les médias auront annoncé la veille au soir.
Depuis le mois de mars, nous avons accepté tant de choses. La pire d'entre toutes, je le redis ici, étant ne pas savoir qui du virus ou du chagrin est réellement venu chercher nos anciens. Nous avons vu des restaurateurs et des patrons de bistrots baisser leurs rideaux à minuit parce qu'un Premier ministre les avait obligés à le faire 4 heures plus tôt. Nous avons appris depuis, mais le gag est un peu éculé, que les masques étaient inutiles jusqu'à ce qu'ils soient définitivement et presque unilatéralement imposés. Nous apprenons désormais que des réservistes sont mobilisées pour verbaliser ceux qui refuseraient de les porter. Exception faite bien entendu de ces supporters qui se regroupent par centaines pour célébrer la défaite de quelques multimillionnaires à Marseille ou pour tout casser sur les Champs Élysées.
Donc, voilà ce que nous allons devenir : un peuple contraint, soumis à un quotidien calibré où seront, car on ne peut pas tout « aseptiser », autorisés quelques excès. Illusoires soupapes de sécurité qui viendront, le temps d'un évènement, nous rappeler que la liberté existe toujours en apostille de la « sûreté ». Citons ici Pierre Daninos qui nous disait dans ses fameux carnets du Major Thompson « Nous étions au bord du précipice, nous venons de faire un grand pas en avant. »
Les générations qui arrivent ne sauront peut être plus écrire correctement, mais elles pourront penser autrement, en se débarrassant progressivement de tout ce que fut notre histoire, en consultant ce que leur raconte un smartphone, en écoutant, sans savoir à quoi ressemble leurs visages, d'étranges interlocuteurs. En oubliant ce que nous étions, quelque part à l'aune du bonheur, dans les replis du cœur.
Jean-Paul PELRAS
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