25 mai 2020

1903 : La famine sur les côtes bretonnes

 
La misère est horrible sur toute la côte du Finistère et du Morbihan, où se fait d'ordinaire la pêche de la sardine. Ce n'est pas quarante mille, comme on l'a dit tout d'abord, c'est cent mille personnes qui, actuellement, par ce temps glacial d'hivers, se trouvent littéralement sans pain et meurent de froid et de faim. Cent mille personnes ! Imagine-t-on pareille détresse ?

Les villes et villages de Douarnenez, de Concarneau, d'Audierne, du Guilvinec, Port-Louis, Etel, le Palais Roscoff, Quiberon, Morgat, Sainte-Marie, Lesconil, L'île-Tudy, Loctudy, Léchiagat, Penmarch, Saint-Guenolé, Kerity, Saint-Pierre, Trèguenec, Saint-Jean-Trolimon, etc.… présentent un aspect à la fois navrant et affreux.

En termes excellents, l'envoyé spécial du Petit Journal a exposé les causes de cette atroce misère : la sardine, qui fait vivre les habitants de cette région, n'a pas paru cette année. Les pêcheurs ont eu beau lui prodiguer l'appât, la rogue, qu'un trust norvégien leur vend si cher, les petits poissons argentés ne sont pas venus se prendre dans les filets ; suivant la pittoresque expression technique : « ils n'ont pas levé ».

La misère s'est alors abattue sur le pays, fermant aux femmes les portes des usines. Il faut les voir ces malheureux pêcheurs bretons, assemblés par groupes de huit, de dix, courbés sous le vent chargé d'embruns, grelottant de froid, et restant, n'ayant plus rien à faire, sur l'avant-port, devant la mer hostile, ou bien errant sur les grèves, tristes et affamés, sans échanger une parole, reculant toujours le moment où il leur faudra rentrer au logis, où ils entendront leurs pauvres femmes et leurs enfants leur réclamer du pain.

Ceux qui luttent encore s'en vont chercher des coquillages. S'ils en trouvent, c'est le fantôme de la faim chassé pour quelques heures. Pendant les premiers jours, les petits commerçants, qui firent preuve d'une générosité admirable, consentirent un certain crédit aux pêcheurs : mais eux aussi, hélas ! ont été entraînés dans la misère générale.

Les boulangers notamment, ont l'habitude de faire aux pêcheurs des crédits variant de 50 à 150 francs : or, ces braves gens ont été épuisés par les crédits ; ils ont fait tout ce qui leur était possible de faire et tant que cela leur était possible. Ils n'ont pu être remboursés cette année. Leur dévouement est à bout. Pour comble de malheur, l'été pluvieux a singulièrement réduit la récolte des pommes de terre, dont les tubercules ont pourri : aussi, les maigres provisions sont-elles épuisées depuis longtemps.

Et la faim, l'horrible faim, a fait son apparition dans les sombres taudis qu'habitent les sardiniers ; les enfants, maigres, débiles, se traînent péniblement, gémissant de misère ou restant couchés tout le jour sur leurs grabats de paille, dans l'espoir que le sommeil les empêchera de sentir les tiraillements de leur estomac vide. L'affliction des pères et des mères impuissants est lamentable. Et ce sont là des citoyens français !

N'est-il pas effroyable de penser qu'au commencement du vingtième siècle, il y a encore, en notre beau pays de France, des gens qui meurent de faim ! Devant ces atroces misères, un magnifique élan de fraternité s'est produit : à Paris, comme dans les départements, le branle-bas atteste qu'il ne s'agit plus d'une calamité locale, que le cœur même de notre race a palpité devant ce désastre national.


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