31 octobre 2019

Gilets Jaunes – Colère Noire


Évoquer un mouvement encore en cours dans une revue est difficile. L’histoire s’écrit en direct dans les rues et ces quelques lignes seront peut-être périmées quand vous les lirez. Nous donnons donc une analyse à chaud du mouvement des gilets jaunes, nous pouvons même dire brûlante, car beaucoup de camarades de rébellion y participent depuis le début. Il est naturel pour nous de nous retrouver dans ce type de mouvement. Faisant partie de ce peuple en colère, nous nous devons d’en être et nous nous retrouvons comme des « poissons dans l’eau » au milieu de cette revendication populaire authentique. Le mouvement des gilets jaunes est une étape et la suite ne dépend que de nous.

Une Surprise qui n’en est pas une…

Alors que la victoire totale d’Emmanuel Macron avait explosé le vieux clivage droite/gauche et instauré un climat de résignation chez ses opposants, l’oligarchie pouvait penser avoir écarté définitivement le risque populiste. Les mesures anti-sociales s’accumulaient sans réelle mobilisation dans la rue. Le gouvernement n’avait plus aucun adversaire de poids dans l’assemblée (le FN/RN et la France Insoumise s’enfoncent dans des querelles internes stériles et des plans de campagne électoralistes) ni sur le front social (la CGT qui voulait incarner la résistance syndicale n’arrivait pas à faire décoller sa « convergence des luttes »).

Et la crise des Gilets jaunes est arrivée sans prévenir l’Elysée… Ce n’est alors une surprise que pour les gens qui vivent coupés des réalités des Français. La hausse des prix des carburants a allumé la mèche, mais le feu couve depuis une vingtaine d’années. La France populaire et périphérique souffre de l’abandon et du mépris des élites. Livrées à elles-mêmes, des zones entières du territoire étaient prêtes à s’engager dans ce mouvement sans précédent.

Les têtes pensantes de la Macronie sont coupées du peuple et le parti présidentiel manque des relais de « l’ancien monde » dans les régions : les élus locaux et les ex-RG ne faisant rien remonter à Paris, ils n’ont pas vu venir ce mouvement qui est pour moi le premier d’un genre nouveau. À la différence des « Bonnets Rouges », il est d’envergure nationale et totalement spontané (1). Il y a trois aspects spécifiques à ce mouvement : l’autonomie, la communauté et l’unité dans la diversité des origines des acteurs.

Les « gilets jaunes » sont la preuve qu’une révolte populaire n’a pas besoin d’être manipulée pour éclater quand les conditions sont réunies. L’utilisation des réseaux sociaux et la stratégie de blocage des flux de circulations (routes, ronds-points, péages, carrefours) et économiques (raffineries, centres commerciaux ou entreprises comme Amazon) prouvent la force d’une intelligence collective de notre peuple. Les « gilets jaunes » ne sont pas des « kassos arriérés » mais les véritables forces vives de notre pays. Ils n’ont pas besoin de meneurs ou d’organisations pour connaitre les enjeux et agir, ils sont largement conscients de leurs possibilités. Ils ont surtout raison de se méfier des syndicats et des partis classiques ; les premiers sont terrorisés à l’idée de perdre leurs rôles d’interlocuteurs sociaux avec l’État et les seconds veulent tenter de les récupérer.

La France invisible a pour le coup trouvé un symbole très … visible ! Ce fameux gilet est une obligation de protection routière depuis 10 ans, il doit être dans votre véhicule et vous devez le porter en cas d’urgence. Devant l’étranglement du peuple par les taxes, il devenait urgent de réagir. Sur les réseaux sociaux, le gilet jaune est devenu de manière spontanée le symbole du refus de la hausse des prix des carburants, face à un État qui fait mine de se soucier de notre sécurité en nous imposant ce gilet, comme une mère impose à son enfant de ne pas sortir sans cache-nez.

Un mouvement vivant est naturellement créatif et fait émerger sa propre identité sans avoir besoin de copier de vieux modèles. Le gilet jaune est un symbole rassembleur et unitaire. Il est d’ailleurs en rupture de stocks partout. Mais quand on y regarde de plus près, il est aussi le symbole de la France qui travaille. Sur les chantiers, dans les usines, dans la grande distribution, dans les champs ou les transports, il est partout présent sur les épaules de femmes et d’hommes qui s’échinent au quotidien pour simplement vivre. C’est le nouveau symbole de sa fierté pour la France populaire qui demande de retrouver sa dignité.

La force de ce mouvement c’est surtout son aspect communautaire. Sur les points de blocages, on retrouve des familles entières des grands parents aux arrières-petits-enfants, des bandes copains et des collègues de boulots. Les gilets jaunes, de chantier ou de la grande distribution, sont les marqueurs d’une identité commune de galère, mais aussi de liens affinitaires forts.

Les Gilets Jaunes réunissent et mettent en commun, il y a une volonté communautaire et même authentiquement socialiste révolutionnaire en son sein (n’ayons pas peur des mots et redonnons-leur leur sens). On sent une fraternité rarement exprimée de manière collective. C’est aussi pour cela que le mouvement est largement sympathique aux Français qui peuvent tous s’identifier à eux et qui pourraient les rejoindre. Très vite, les acteurs de terrain du mouvement ont compris que c’est en conservant leur autonomie et en développant leur propre stratégie que les Gilets Jaunes pouvaient tenir.
 

Les « populistes or les murs » dans la rue !

L’aspect le plus important est surtout que ce mouvement unitaire achève le clivage Droite/gauche. C’est le point de rencontre des « populismes hors les murs ». On retrouve sur les piquets des gens qui votent ou ne votent plus, mais qui sont tous sensible à l’injustice de la politique macronnienne. Cette expérience quoi qu’elle devienne, aura permis aux participants de « faire peuple ». Politiquement, on retrouve les électeurs FN/RN et ceux de la France Insoumise réunis sur la question sociale (qui ne les divise absolument pas à la différence de celle de l’immigration). Les partis qui tentent de récupérer la chose sont totalement dans l’erreur depuis le début.

On sent d’ailleurs au sein de la direction de la France Insoumise comme du Rassemblement National un flottement depuis que le mouvement est devenu insurrectionnel. Ces derniers ne veulent pas être entrainés dans une « aventure » risquée pour leur situation confortable d’opposants parlementaires. Elles savent aussi que la remise en cause du jeu politique que les Gilets Jaunes portent risque de leur être fatale.

La France Insoumise a été la plus touchée en interne par le mouvement. Malgré l’expérience de la récupération de ce vieux requin de Jean-Luc Mélenchon, il n’est pas parvenu à capter sa dynamique. Pire, les tensions que les débats internes sur la ligne à suivre par rapport à lui ont amené les diverses tendances de ce groupe à s’entretuer. Crypto-fascisme poujadiste ou révolution citoyenne, le mouvement des Gilets Jaunes oblige la France Insoumise à choisir entre une stratégie populiste ou un ancrage à Gauche. L’exclusion de François Cocq, partisan de la souveraineté populaire et nationale, est peut-être un indice sur le choix de Mélenchon. On saluera en tout cas l’action de François Ruffin qui utilise son siège à l’Assemblée Nationale comme une tribune pour défendre la France populaire. Avec ses amis, il n’est pas pour rien dans l’évolution de nombre d’Insoumis vers des positions « populistes hors les murs ». Si la « gauchisation » des Gilets Jaunes authentiques semble impossible par nature, la « populisation » de certains Insoumis est une des conséquences certaines du mouvement.

En face, les tenants d’une « Union des Droites » sur les ruines des Républicains et du Lepénisme ont largement été perdants dans l’émergence des Gilets Jaunes. Le libéral-conservatisme de la « Buissonerie » ne cadre absolument pas avec leurs revendications. Refusant les taxes mais aussi la destruction des services publics, ils sont dans une autre logique que ces libéraux déguisés en patriotes. Les Gilets Jaunes demandent une authentique solidarité nationale et une plus juste répartition des richesses. Le « front du refus » de la France Périphérique passe loin des salons bourgeois du 16éme arrondissement.

Au final, le « populisme or les murs » est l’expression politique qui pourrait permettre de sortir de l’impasse actuelle de la mobilisation. Il transparait dans les débats qui traversent les AG et sur les ronds-points. Quelque chose est en train de naitre de cela. Si dans une dizaine d’années un mix de Jean Lassalle et de Dieudonné devait pénétrer l’Élysée avec François Ruffin comme premier ministre, on pourra sans doute retracer son parcours depuis la fièvre de cet hiver…

Mais pour l’instant, nous sommes au cœur d’une insurrection populaire qui dure. Par sa structuration souple et directement en prise avec la base, elle a montré sa capacité à se maintenir. On l’a vu avec la rapidité de son adaptation stratégique. Du blocage statique des routes, une large partie des gilets jaunes prend la direction d’un jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre dans les centres villes mais aussi autour des raffineries et des centres commerciaux. Ciblant les préfectures, les perceptions des impôts et les péages, ils attaquent l’État dans la collecte de ses revenus. Ils ont une capacité de perdurer dans nombre de régions et d’organiser des convergences avec les agriculteurs ou des grévistes de certaines entreprises locales. Les Gilets jaunes vont devenir un phénomène « rampant » pour plusieurs années.

Reste le problème des mobilisations hebdomadaires dans Paris, les métropoles et les grandes villes de province. Ce mode opératoire a donné lieu à une véritable bataille médiatique et il est le symbole de l’intrusion du peuple chez les gouvernants. Chassées par la transformation urbaine loin de ses espaces, les classes populaires tiennent leur revanche : l’Oligarchie a vu l’émeute sous ses fenêtres.
 

Mais l’émeute n’est pas une fin en soi …

LA question de la violence est devenue centrale pour les Gilets Jaunes. Soyons clairs, la violence du mouvement est légitime, elle est une forme d’autodéfense populaire et vient après des années de mépris pour la « France d’en bas ». Il est certain que l’arrogance du gouvernement a « enragé » bien des Gilets Jaunes. Un peuple qui refuse qu’on lui crache dessus et qu’on le traite de haut est descendu dans la rue.

Les spécialistes du maintien de l’ordre ont sous-évalué cette colère. Quand on les matraque et qu’on les gaze, les GJ foncent dans le tas sans réfléchir. Ils ne sont pas les polis conservateurs de la Manif Pour Tous. C’est justement comme cela que Christophe Dettinger est devenu le symbole de la France des Gilets Jaunes. Le 5 janvier 2019, le « boxeur de la passerelle Leopold-Sédar-Senghor » est entré dans l’Histoire comme Roland à Roncevaux, Jeanne Hachette sur les murs de Beauvais ou le chevalier Bayard au pont du Garigliano. Il y est entré à la force de ses poings (2).

Cette colère trop longtemps contenue a débordé. Elle a été l’étincelle de l’explosion et rien ne pourra la contenir désormais. Elle est devenue un moteur pour les plus radicaux des Gilets Jaunes qui veulent maintenant se venger et défier le gouvernement sur son terrain. La responsabilité historique que portera le gouvernement Macron d’avoir déchainé cette rage est écrasante. S’il risque d’être légitimement emporté par cette tornade, les dégâts aveugles qu’elle provoquera ne sauraient être souhaités. On ne peut pas souhaiter une guerre civile, car elle servirait les intérêts de l’oligarchie.

Autour de cette dynamique émeutière populaire, certains groupes se sont greffés. Si le rôle de « L’ultra-droite » est largement gonflé par les médias qui ressortent les vieux amalgames entre antisémitisme et fièvre jaune, le rôle de la mouvance autonome est plus intéressant à comprendre. Car si elle était totalement absente des débuts du mouvement et lui était étrangère (voir hostile), elle arrive à point-nommé pour se greffer sur lui et jouer un rôle d’agent provocateur.

Nous avions déjà évoqué le nihilisme qui anime cette frange de l’extrême gauche. Son objectif est d’utiliser la situation actuelle pour provoquer une radicalisation des masses. Cela sans se soucier du coût humain qu’implique sa stratégie d’affrontement direct avec les forces de l’ordre comme dans les ZAD. Elle agit en marge du mouvement et tente de se diffuser sans grands succès auprès des Gilets Jaunes. Sa vigilance envers les « infiltrations fascistes » résulte certes d’une mentalité policière et d’une obsession idéologique manichéenne, mais surtout elle est l’expression de sa fragilité. Ils sont devenus les derniers mohicans du gauchisme progressiste et savent qu’ils vont disparaître. Cela les rendant encore plus féroces et bêtes.

Mais alors comment expliquer que les Gilets jaunes les tolèrent ? Il faut comprendre une chose, c’est que les GJ sont une addition qui refuse les divisions. Réunissant de façon large des personnes venues d’horizons différents, le mouvement refuse de se définir et d’exclure par principe. Si des tensions existent en son sein, il manifeste une véritable tentative de synthèse. C’est pour cela aussi qu’il se retrouve dans la revendication pour le RIC et la démocratie directe. Cette aspiration si légitime est aussi une de ses faiblesses. Car face à des gens qui veulent manipuler et détourner la mobilisation, il faut s’affirmer ! Surtout que l’Etat utilise toutes ses techniques de manipulation et de provocation pour le décrédibiliser. 

La démocratie gouverne mal, mais se défend bien !

Le régime a-t-il vacillé ? On peut se poser la question. En apparence, oui. Les premiers manifestants, qui étaient majoritairement des « vrais » Gilets Jaunes, ont débordé l’appareil policier. Confronté à une véritable guérilla périphérique qui touche l’ensemble du territoire, l’Etat a traversé une véritable crise. Il a fait alors le compte de ses soutiens et s’est lancé dans la bataille.

À la différence de De Gaulle en Mai 68, Macron ne peut compter sur aucun soutien populaire pour descendre massivement dans la rue l’appuyer. Les maigres troupes de LREM et des « Foulards Rouges » se sont ridiculisés dans leur tentative de reprise de la rue. Il ne reste comme unique rempart du régime que les forces de l’ordre. L’ensemble de l’outil répressif est mobilisé pour endiguer la contestation avec une brutalité jamais vue. Nous avions évoqué il y a quelques années déjà l’émergence d’un libéralisme sécuritaire que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui. Pour se défendre, l’Etat a aussi toutes les ressources de l’Oligarchie. La parole haineuse est libérée en son sein contre les « salauds de pauvres ». Les médias et les réseaux d’influence travaillent à faire taire la vérité sur la répression et à manipuler l’information. Nul besoin de théorie du complot pour l’expliquer, ceux qui tiennent au maintien du système pour la sauvegarde de leurs intérêts vont tout faire pour maintenir leur domination.

Dans ce contexte l’utilisation de provocateurs et d’infiltrés est largement possible, comme laisser des éléments de l’extrême-gauche autonome agir librement pour décrédibiliser le mouvement auprès de l’opinion publique. Parfaits dans le rôle d’idiots utiles, les éléments autonomes comme le sous-prolétariat des cités venus pour le pillage sont facile à manipuler pour l’Etat qui entretient au sein de ces deux milieux des indicateurs et des agents de renseignements. On a parlé de policiers en civil agissant au sein des Gilets Jaunes. Leur rôle était-il de créer des situations explosives en excitant les plus malléables des manifestants néophytes ? De provoquer par la casse la riposte des forces de l’ordre contre les manifestants ? À cette occasion, personne ne reparle de Benalla et de la police parallèle qu’il avait mis en place au service de Macron, il est probable que d’autres aient pris sa suite dans le secteur de la barbouzerie.

Mais cette tentative de créer une tension supplémentaire au sein du peuple français est vouée à échouer si le mouvement arrive à prendre une autre dimension. Il doit le faire avant qu’on ne le piège dans une escalade de violence qui le rendrait stérile.

Désormais les lignes de fractures sont claires au sein de la société française. Le rideau se lève sur une scène nouvelle et terrible, nul ne connait la fin de cet acte mais on la pressent palpitante et surprenante.

Louis Alexandre


Notes 

La révolte des « bonnets rouges » contre les « portiques » de l’écotaxe du gouvernement Hollande était largement soutenue par le réseau des petits patrons et des élus de l’Ouest de la France et les syndicats agricoles.
Présent, en première ligne lors des différents actes de la mobilisation, il fut révolté par les scènes qu’il verra. Gazage, tabasage en règle, tirs de flashball directs, arrestations musclées … et les médias qui ne parlent jamais des centaines de manifestants blessés. Il a foncé dans le tas et a affronté avec ses poings nus des « robocops » qui barraient sa route. Son geste, il l’assume et l’explique. Ce qui le rend noble et respectable !

Source : http://rebellion-sre.fr/gilets-jaunes-colere-noire/

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