16 août 2019

La fusion nucléaire devient une priorité nationale pour la Russie

 
Lors d’un discours prononcé le 9 juillet au 2e Sommet mondial sur la production et l’industrialisation à Ekaterinbourg, en Russie, le Président Poutine a présenté une brillante intervention sur l’éthique anti-croissance – et anti-humaine – sans vision qui caractérise l’ordre mondial néo-libéral, faisant de la prépondérance pour la fusion nucléaire une priorité nationale russe.

S’adressant à 2.500 représentants des secteurs public et privé, le Président Poutine a exposé ce paradoxe du besoin de développement de l’humanité qui s’est souvent fait au détriment de la santé de la biosphère :

« La manière de combiner le développement à long terme et l’accroissement de la production, tout en préservant la nature, et un niveau de vie élevé n’est pas encore claire.»


S’attaquant aux technocrates anti-croissance qui font la promotion d’une halte du progrès et d’une diminution de la population mondiale, Poutine a déclaré :

« Il s’agit d’appels à renoncer au progrès qui permettront au mieux de perpétuer la situation et de créer un bien-être local pour quelques privilégiés. En même temps, des millions de personnes devront se contenter de ce qu’elles ont aujourd’hui – ou plutôt, de ce qu’elles n’ont pas aujourd’hui : l’accès à l’eau potable, à la nourriture, à l’éducation et à d’autres éléments fondamentaux de civilisation ».

 

Prenant ses distances avec cette vision cynique du monde, Poutine a ajouté :

« Il est impossible et vain d’essayer d’arrêter le progrès humain. La question est la suivante : sur quelle base peut concrètement s’appuyer ce progrès pour atteindre les objectifs de développement du millénaire fixés par les Nations Unies ? »

Répondant à sa propre question, il a exposé le rôle important de la fusion nucléaire comme fondement d’un accord entre le domaine de la nature – la biosphère – et le domaine de la raison créatrice – la technosphère :

« Des solutions scientifiques, d’ingénierie et de fabrication extrêmement efficaces nous aideront à établir un équilibre entre la biosphère et la technosphère. […] L’énergie produite par la fusion nucléaire, qui est en fait semblable à la façon dont la chaleur et la lumière sont produites dans notre étoile, le soleil, est un exemple de ces technologies calquées sur la nature. »

Poutine a décrit le rôle moteur de l’Institut Kourtchatov, qui a déjà lancé un projet de réacteur hybride fusion-fission qui sera opérationnel d’ici 2020, ainsi que son rôle dans la recherche avancée : il constituera une force motrice pour le programme ITER – International Thermonuclear Experimental Reactor – en France qui devrait créer son premier plasma d’ici 2025.

Le retour d’un paradigme oublié


Il y a bien longtemps, des discours comme celui de Poutine étaient monnaie courante en Occident alors que le progrès scientifique et technologique était reconnu comme fondation existentielle de la civilisation.

Mais ça, c’était avant que la « nouvelle morale » ne fût créée, dans le sillage de la contre-culture sex, drugs & rock’n roll de 1968. Le « vieux paradigme obsolète de la cellule famille fondatrice», que Woodstock cherchait à remplacer, reconnaissait la simple vérité que « puisque nous serons tous un jour morts, à quoi bon vivre si nous n’avons rien laissé de mieux à nos enfants et à ceux qui ne sont pas encore nés ? » C’est ce fondement de la foi dans le progrès scientifique et technologique qui motiva le combat de l’humanité contre le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale et le dépassement de ses limites à travers l’exploration de l’espace et des secrets de l’atome.

Lewis Strauss, président de la Commission de l’énergie atomique, a exprimé cette éthique avec brio en 1958 :

« J’espère vivre assez longtemps pour voir la force naturelle qui alimente la bombe à hydrogène domestiquée à des fins pacifiques. Une percée pourrait advenir demain comme dans une décennie. De nos laboratoires peut venir une découverte aussi importante que la domestication du feu par Prométhée.» 

Pourquoi ne sommes-nous pas encore parvenus à la fusion ?

Il reste cependant une question cruciale : si les hommes d’État et les responsables politiques les plus importants, pendant les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, croyaient si fermement au pouvoir de la fusion, pourquoi n’avons-nous pas atteint ces nobles objectifs fixés comme objectifs nationaux dans les années 1980 ou même avant ?

La façon la plus simple d’y répondre, c’est que les malthusiens ont gagné.


Les années 70 ont vu l’Occident subir un subtil coup d’État éliminant tous les dirigeants nationalistes engagés à protéger leurs populations contre le renouveau d’une oligarchie financière qui avait échoué encore récemment à atteindre la domination mondiale avec Hitler et Mussolini. Après que le dernier bastion de résistance à ce coup d’État eût été anéanti avec les assassinats de Bobby Kennedy et Martin Luther King en 1968, des organisations non gouvernementales ont été rapidement formées pour instaurer une nouvelle éthique sous la bannière du 1001 Club, du Club de Rome et du Fonds mondial pour la nature (WWF). Ces organisations étaient composées d’anciens eugénistes et impérialistes comme le prince Bernhard des Pays-Bas, fondateur du 1001 Nature Trust et du Bilderberg Group, son ami le prince Philip Mountbatten et sir Julian Huxley. Les trois oligarques furent d’ailleurs les cofondateurs du WWF.

Ces groupes financèrent une nouvelle « science des limites » afin de promouvoir l’idée que la plus grande menace de l’humanité était l’humanité elle-même, plutôt que la rareté, la guerre, la famine ou tout autre sous-produit de l’impérialisme, comme on l’avait cru auparavant. Le prince Philip incarnait explicitement cette éthique élitiste lorsqu’il déclara en 1980 :

« La croissance de la population humaine est probablement la plus grave menace à long terme pour notre survie. Nous sommes confrontés à une catastrophe majeure si elle n’est pas maîtrisée. […] Nous n’avons pas d’alternative. »


Un des premiers malthusiens à avoir pris le contrôle de l’élaboration des politiques aux États-Unis pendant cette période est Henry Kissinger, qui détourna les États-Unis d’une politique de soutien au désir de progrès industriel des anciennes colonies et les engagea dans une politique de « contrôle de la population » en vertu de son Rapport NSSM 200 de 1974 qui affirmait :

« L’économie américaine aura besoin de quantités importantes et croissantes de minéraux provenant de l’étranger, en particulier de pays moins développés. Ce fait augmente l’intérêt des USA. pour la stabilité politique, économique et sociale des pays fournisseurs. [Par conséquent,] là où une diminution des pressions démographiques par une diminution des taux de natalité peut accroître les perspectives d’une telle stabilité, une politique démographique devient pertinente pour l’approvisionnement en ressources et pour les intérêts économiques des États-Unis. […] Bien que la pression démographique ne soit évidemment pas le seul facteur en cause, ces types de mécontentements sont beaucoup moins probables dans des conditions de croissance démographique lente ou nulle. »

Kissinger fut rejoint par un autre malthusien nommé George Bush Sr., qui était alors membre du Congrès et présidait une certaine Task Force on Earth, Resources and Population (Groupe de réflexion sur la Terre, les ressources et la population). Bush déclara le 8 juillet 1970 :

« Il est presque évident en soi que plus la population humaine est nombreuse, plus la demande de ressources naturelles augmente. […] La question primordiale est celle d’une population humaine optimale. Combien y a-t-il de personnes surnuméraires par rapport aux ressources disponibles ? Beaucoup croient que nos problèmes environnementaux actuels indiquent que le niveau optimal a été dépassé. »

Alors que Sir Kissinger et Sir Bush, faits chevaliers respectivement en 1995 et 1993, reprogrammaient l’Amérique pour une politique étrangère agressive envers la croissance des pays du tiers monde, une politique de désindustrialisation était en cours en Amérique même, puisque le secteur de la machine-outil industrielle et le système agro-industriel de petite et moyenne dimension étaient en cours de démantèlement, en prévision d’une ère de mondialisation néo-libérale. Afin de s’assurer que la nouvelle éthique consistant à « s’adapter aux limites » plutôt que de tenter de les dépasser grâce à de nouvelles découvertes était maintenue, des programmes comme le programme spatial Apollo furent annulés pour «raisons budgétaires».

Peu de temps après, il y eut un affaiblissement délibéré des ambitieux programmes de fusion nucléaire qui avaient été lancés au cours des années 1950 et dont le budget est passé de 114 millions de dollars en 1958 à 140 millions de dollars en 1968. Le budget ne cessait d’augmenter en raison des records réalisés par le Laboratoire de physique des plasmas de Princeton qui, en 1978, avait crevé le plafond des 44 millions de degrés nécessaires pour initier la fusion et avait même battu les records internationaux en fabriquant un plasma de 200 millions de degrés en 1986. En collaboration avec la Fusion Energy Foundation, une organisation créée par l’économiste américain Lyndon Larouche, le député Démocrate Mike McCormack poussa l’adoption d’un projet de loi à la Chambre et au Sénat, qui faisait de la fusion une priorité nationale pour les États-Unis en 1979.

Plutôt que de financer la fusion et d’encourager la construction de nouveaux concepts et des prototypes absolument nécessaires à cette transformation de la société, c’est le contraire qui se produisit : un sous-financement systématique, et l’effondrement de la vision mena à une démoralisation des scientifiques nucléaires qui ne pouvaient plus réaliser leurs expériences. Au moment de quitter son poste de Directeur de la fusion du Département de l’énergie des États-Unis pour protester contre le sabotage, Ed Kintner déclara :

«[Ceci]… laissait le programme de fusion sans épine dorsale stratégique : il s’agit [dorénavant] d’un ensemble de projets et d’activités individuels sans objectif ou calendrier défini. […] Le plan visant à accroître la participation de l’industrie dans le développement de la fusion est reporté indéfiniment, et les bénéfices industriels et économiques des retombées de la haute technologie, certainement le sous-produit de plus en plus important d’un programme de technologie de fusion accéléré, seront perdus. »

 
Révélateur de la philosophie malhonnête utilisée pour justifier le rejet de la recherche sur la fusion aux États-Unis, l’un des pères du regain néo-marxiste, Paul Ehrlich, auteur en 1968 de La Bombe P – The Population Bomb, affirma dans une interview de 1989 que fournir une énergie bon marché et abondante à l’humanité était comme « donner une mitrailleuse à un enfant idiot ».

Un disciple et coauteur d’Ehrlich, le biologiste John Holdren, devenu « tsar des sciences » sous Barak Obama écrivait en 1969 :

« La décision de contrôler la population sera contestée par des économistes et des hommes d’affaires soucieux de croissance, par des hommes d’État nationalistes, par des chefs religieux zélés ainsi que par les myopes et bien nourris de toute nature. Il appartient donc à tous ceux qui perçoivent les limites de la technologie et la fragilité de l’équilibre environnemental de se faire entendre par-dessus ce refrain creux et optimiste, c’est-à-dire convaincre la société et ses dirigeants qu’il n’y a pas d’autre solution que l’arrêt de notre croissance démographique irresponsable, exigeante et consommatrice. »

La mort imminente du malthusianisme

Le président Poutine a récemment fait remarquer, lors d’un entretien du 27 juin avec le Financial Times, que l’ordre néolibéral qui a défini l’Occident au cours des dernières décennies est dorénavant obsolète. Avec son fort soutien à la fusion nucléaire et un retour à une politique de croissance industrielle mondiale aux côtés de l’initiative chinoise La Nouvelle route de la soie, le président Poutine a clairement identifié la vision néo-malthusienne du monde comme étant imbriquée dans le tissu du libéralisme occidental. Tout comme ce libéralisme nie les vérités objectives fondées sur des principes en faveur de l’opinion populaire, le néo-malthusianisme ne peut prospérer que lorsqu’un « consensus » pessimiste tente de cacher à ses victimes la vérité suivante : la capacité naturelle de l’humanité à faire en permanence des découvertes volontaires et à les traduire en nouvelles technologies qui amènent notre espèce dans des états de potentiel – matériel, moral et cognitif – toujours accrus.

Alors que l’animal malthusien croit que l’humanité a pour seule perspective de s’adapter à la rareté dans le cadre d’un système fermé de ressources fixes administrées par des élites privilégiées, des humanistes comme Poutine et Xi Jinping admettent que la nature de l’humanité ne se trouve pas dans la chair, mais dans les pouvoirs de l’esprit. Ces pouvoirs nous désignent comme une espèce unique, capable de faire des découvertes dans un univers de création permanente qui peut être caractérisée de la même manière que Beethoven décrivait sa musique : aussi rigoureuse que libre.

Cette affirmation toute simple reflète une vérité puissante que les libéraux et les malthusiens ne peuvent supporter : le pouvoir naturel du changement créateur dans l’univers, dévoilé par le pouvoir de la raison imaginative, permet la coexistence du cadre et de la liberté à la seule condition que nous harmonisions notre volonté et notre raison avec l’amour de la vérité et de nos semblables.

Matthew Ehret Note du traducteur C’est à une inversion de paradigme et une redistribution des concepts auquel Matthew Ehret nous invite. Le malthusianisme sous la forme d’une police écologique est dorénavant intégré à la pensée néolibérale - et nous rappelons que le terme anglais liberal peut aussi se traduire par progressiste. Par quel mystère le progressisme a-t-il pu devenir malthusien ? Pour expliciter cet apparent paradoxe sous un autre angle, voir cette vidéo : à partir de 51’30, le situationniste Francis Cousin présente l’écologie comme une « névrose capitaliste » développée pour que le « circuit de la servitude continue à fonctionner ».

Traduit par Stünzi, relu par Hervé pour le Saker francophone

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