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25 juin 2019

Fin programmée de l'assurance chômage ?


Avec sa destruction programmée de l’assurance-chômage, présentée mardi 18 juin, le gouvernement a réussi l’exploit de s’attirer à la fois les foudres de l’ensemble des partenaires sociaux, que ce soit les organisations syndicales ou patronales. Les premières leurs reprochent le durcissement des conditions d’indemnisation dans un contecte économique catastrophique, qui concentre d’ailleurs une grosse partie des 3,4 milliards d’euros d’économies attendues par le gouvernement sur la période 2019-2021. Les seconds l’instauration d’un bonus-malus sur les contrats courts, même si la mesure a finalement été restreinte aux sept secteurs qui en abusent le plus.

Mais derrière les mécontentements des partenaires sociaux, que l’on pourrait aussi élargir au monde politique, ce sont des demandeurs d’emplois qui, d’une manière ou d’une autre, vont perdre considérablement en indemnisation avec cette réforme, voire ne plus être indemnisés du tout, que ce soit du fait du durcissement important des règles d’ouverture des droits au chômage ou de la dégressivité sur les hauts revenus, qui ont pourtant cotisé comme les autres. Pour vous aider à mieux percevoir ces changements, Capital a, avec l’aide de Pierre Warin et Florence Mohr, avocats spécialistes du droit social et membres du cabinet Melville Avocats, défini quatre profils différents de personnes qui seront des perdants de la réforme. Dans certains cas, le pourcentage de perte en indemnisation a été calculé, même si les règles ne seront définitivement fixées qu’au moment de la publication de décrets de la réforme, ce qui devrait arriver dans le courant de l’été.

1. Le “permittent” : son indemnisation pourra diminuer

La permittence, c’est le fait d’alterner de manière régulière périodes de travail et de chômage, ce qui est souvent la norme pour survivre. Prenons le cas d’une personne qui travaille en moyenne dix jours par mois. Appelons le Mathieu, trentenaire, employé, qui a souvent du mal à joindre les deux bouts. Aujourd’hui, son indemnisation chômage, appelée allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), est calculée à partir d’un salaire journalier de référence brut (SJR), lui-même calculé notamment en fonction du nombre de jours travaillés sur la période donnée. “Demain, l’ARE sera calculée sur le revenu mensuel moyen (RMM), quel que soit le nombre de jours travaillés sur la période donnée”, expliquent Pierre Warin et Florence Mohr. Conséquence ? Mathieu, notre permittent, verra tout simplement son indemnisation baisser. Pourquoi ? Parce que si l’on vous répartit quelque chose initialement perçu sur 10 jours sur un mois entier, votre indemnisation baisse forcément. Dans le cas où notre permittent était rémunéré à hauteur de 1.000 euros brut pour 10 jours travaillés chaque mois, “nous avons calculé que sur chaque mois, cette personne pourrait subir une perte d’allocation chômage comprise entre environ 23% et 50%”, indiquent Florence Mohr et Pierre Warin.

2. Le saisonnier : il pourra ne plus toucher le chômage

Mathilde, 28 ans, habite en bord de mer, dans une station balnéaire réputée de la côte d’Azur. Ayant quitté le lycée avant d’avoir le baccalauréat, elle vit depuis chez ses parents. Le seul gagne-pain qu’elle ait trouvé, sans diplôme en poche, c’est de travailler chaque été, au mois de juillet et d’août, dans un hôtel de sa ville, ce qui lui fait deux mois de travail par an. “Avec le régime actuel, si elle a travaillé quatre mois sur les 28 derniers mois - ce qui est son cas - elle peut accéder à l’indemnisation chômage”, notent les deux avocats. Mais demain, elle devra avoir travaillé au minimum six mois sur les 24 derniers mois pour ouvrir ses droits à l’allocation chômage. Conséquence ? Mathilde perdra son indemnisation chômage - ou devra travailler plus longtemps, alors qu'elle ne trouve pas d'autres emplois. Elle devra donc, si elle en remplit les conditions, se reporter sur le revenu de solidarité active (RSA) pour espérer avoir un minimum de revenu.

3. Le jeune de moins de 25 ans qui travaille peu : chômage et RSA lui seront refusés

On vient donc de le voir, il faudra désormais travailler plus longtemps, malgrès le manque chronique de travail, et sur une période de référence plus courte, pour ouvrir ses droits à l’indemnisation chômage. Un changement qui va encore plus lourdement handicaper les jeunes de moins de 25 ans qui trouvent peu d'emplois ou pour des périodes très courtes. Prenons l’exemple de Thomas, 21 ans, le bac en poche mais qui n’a survécu à l’université que quelques semaines, avant d’enchaîner les petits boulots à droite à gauche, que ce soit dans le BTP ou la restauration. Jusqu’à présent, il arrivait à justifier des quatre mois nécessaires sur les 28 derniers mois pour toucher le chômage. Mais demain, il n’est pas certain d’aligner six mois de travail sur les deux dernières années pour être éligible. Conséquence(s) ? “Il pourra être privé à la fois des allocations chômage et du RSA”, résument nos deux avocats. À noter : le RSA peut être accessible avant 25 ans, mais uniquement pour les parents isolés (célibataires, séparés ou divorcés avec au moins un enfant à charge) ou les personnes ayant travaillé au moins deux ans à temps plein sur les trois dernières années, ce qui n’est pas possible pour l’exemple de Thomas.

4. Le cadre de moins de 57 ans : son indemnisation va diminuer au bout d’un certain temps

Dominique, 52 ans, était cadre supérieur dans un grand groupe automobile. Il vient d’être licencié après une vingtaine d’années passées chez le même employeur. Quand il était encore en poste, il bénéficiait d’un salaire plutôt confortable puisqu’il gagnait plus de 4.500 euros brut par mois. Avec le régime actuel, Dominique bénéficie d’un niveau d’allocation chômage constant sur toute la période d’indemnisation. Après l’entrée en vigueur de la réforme, les demandeurs d’emploi de moins de 57 ans et qui gagnaient plus de 4.500 euros brut par mois verront leur indemnisation diminuer à partir du septième mois d’indemnisation, diminution qui sera en principe de 30%, mais qui sera atténuée par l’instauration d’un plancher fixé à 2.261 euros nets d’indemnisation par mois. ”Selon nos calculs, avec ce plancher, l’impact sur l’indemnisation sera donc bien différent suivant le niveau de revenu. Ainsi, une personne qui gagnait 4.600 euros brut par mois, devrait subir une baisse d’environ 9%. À l’inverse, un salarié qui gagnait 7.500 euros brut par mois verra son indemnisation réellement baisser de 30%, le seuil maximal fixé par le gouvernement”, décryptent Pierre Warin et Florence Mohr, les deux spécialistes du droit social du cabinet Melville Avocats. Ils tiennent tout de même à préciser que, compte tenu des différents différés d’indemnisation applicables (délai d’attente de 7 jours incompressible, différé lié au paiement des congés acquis et non consommés à la date de départ de l’entreprise, différé lié aux indemnités conventionnelles ou supralégales de rupture), les effets de la mesure pourront être atténués. “A titre d’illustration, un salarié concerné par la dégressivité et qui serait par ailleurs soumis à un différé d’indemnisation total de 5 mois à compter de sa perte d’emploi et qui retrouverait un nouvel emploi et serait embauché au bout de 12 mois à compter de la perte de son emploi précédent ne sera en réalité impacté par la diminution de son indemnisation chômage que sur 1 mois”.

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