«Avec mes trente ans de carrière en tant que surveillant pénitentiaire, j’ai pu assister à une dégradation que je n’aurais jamais crue possible en rentrant dans cette administration.»
Jérôme Massip, secrétaire général du syndicat pénitentiaire des surveillants, porte un regard sans concession sur la situation des prisons françaises. Le 14 mai dernier, nos confrères de La Croix lâchaient une bombe: «Avec 71.828 détenus pour 61.010 places opérationnelles, la densité carcérale s’établit à 117,7%, sensiblement en hausse par rapport au mois précédent (116,7%). Elle est supérieure ou égale à 200% dans sept établissements pénitentiaires et dépasse les 150% dans 44 (sur 188 au total).»
Pour soulager un peu la pression, le gouvernement s’est engagé, à travers sa réforme de la Justice promulguée le 23 mars, à créer 7.000 places de prison avant la fin du mandat d’Emmanuel Macron. Une multiplication des alternatives en milieu ouvert est également sur les rails. En attendant, la réalité se mue en cauchemar pour les surveillants de prison.
«Sur un étage de 120 à 130 détenus, vous pouvez n’avoir qu’un seul surveillant. Il devient impossible de composer avec les missions qui nous incombent ainsi que les différentes activités. On a toujours plus de droits pour la population carcérale et de moins en moins de devoirs. Nous parlons toujours des premiers, mais rarement des seconds», explique Jérôme Massip.
Alors, la colère monte. Plus d’un an après la grève massive des surveillants pénitentiaires, de nombreux établissements ont subi des blocages ces dernières semaines, comme le 9 mai à la maison d’arrêt de Nice où des membres du syndicat UFAP UNSA ont bloqué les portes et ont brûlé des palettes. L’attaque terroriste du 5 mars à la prison de Condé-sur-Sarthe a ravivé la colère des personnels pénitentiaires. C’est dans cet établissement, l’un des plus sécurisés de France, qu’un détenu et sa compagne s’en sont pris à deux surveillants en les blessant au couteau, avant que le premier ne soit interpellé et sa compagne abattue par le RAID lors d’un assaut.
«Nous avons l’impression de n’être absolument pas entendus par les autorités. Tout ceci n’est que de la poudre aux yeux. Il s’agit de calmer l’opinion publique. L’administration pénitentiaire et notre ministère de tutelle sont bien embêtés par la situation, alors ils multiplient les effets d’annonce telle que la création d’une unité dédiée aux détenus violents, qui ne résoudra pas le problème. Il y a tellement de détenus violents que ce ne sont pas quelques unités réparties sur le territoire qui vont changer la donne. Sans parler des détenus qui ont des profils psychiatriques très dangereux. Ils ne seront pas tous mis à l’écart. Le problème demeure. Les agressions vont perdurer et elles seront de plus en plus graves. De l’agression physique, nous en arrivons à des tentatives d’homicide.»
La toute première Unité pour détenus violents (UDV) a récemment ouvert ses portes au centre pénitentiaire de Sequedin, dans le Nord. Selon nos confrères du Figaro, «Chaque détenu sera suivi par une équipe composée d’un psychologue, de deux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) et encadré, au quotidien, par trois surveillants. Outre des activités sportives, il participera à des ateliers comme de la médiation animale avec des chiens, suivra des séances de photolangage (une technique de médiation dans laquelle on utilise des photos pour amener la personne à s’exprimer), voire de yoga.»
Pas de quoi convaincre Jérôme Massip. Selon lui, le nerf de la guerre se trouve dans les effectifs de surveillants:
«La priorité concerne les effectifs et le ratio détenus/surveillants. C’est ce qui prime pour assurer la sécurité dans l’établissement, qu’il s’agisse des détenus ou du personnel. Aujourd’hui, nous sommes face à une concentration de délinquants au mètre carré qui rend impossible le maintien de la sécurité et l’acquittement de nos missions.»
Le problème, c’est que l’administration pénitentiaire a toutes les peines du monde à recruter. L’objectif de 2.400 surveillants embauchés par an est difficile atteindre pour un métier qui ne fait plus envie. Les dernières promotions en 2019 comptaient respectivement 496 et 418 élèves sur 600 places disponibles. Alors, l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) tente de miser sur la communication. En septembre dernier, le célèbre Youtubeur Tibo InShape s’est rendu au sein de l’école pour y tourner une vidéo. Elle cumule aujourd’hui plus de 4 millions de vues. De là à savoir si elle a eu un impact sur les candidatures, il faudra un peu patience.
Mais la situation presse. L’administration pénitentiaire a recensé 4.314 agressions physiques contre des agents en 2018. Elles étaient au nombre de 3.923 en 2017. Par ailleurs, 8.883 actes d’agression physique entre détenus ont été recensés l’année dernière.
Le 22 mai, deux surveillants du centre pénitentiaire de Baie-Mahault (Guadeloupe) ont subi les assauts d’un détenu. Selon LCI, l’agresseur a utilisé «un pic artisanal» pour s’en prendre à ses victimes. L’une d’entre elles, «sérieusement touchée au thorax», a été conduite à l’hôpital, mais elle est hors de danger. Quant à son collègue, il a été «légèrement touché aux mains et au front». Toujours d’après LCI, l’assaillant souffre de «graves troubles du comportement» et aurait agi en quasi-état de «transe».
Récemment, un autre surveillant, cette fois à la prison d’Avignon-Le Pontet, a été violemment agressé par un détenu. «Lundi 20 mai, dans la matinée, notre collègue s’est rendu dans une cellule pour faire une notification à un détenu. Le détenu a malencontreusement fait tomber son téléphone portable. Notre collègue a voulu le saisir, mais ce voyou s’est jeté sur lui et l’a étranglé sauvagement. Heureusement, des agents sont intervenus rapidement et ont empêché qu’un drame ne se produise!», peut-on lire dans un communiqué de Force Ouvrière.
«Cela peut aller de l’agression verbale, des menaces de représailles jusqu’aux menaces de mort, ensuite jusqu’à l’agression physique et la tentative de meurtre», s’alarme Jérôme Massip.
Selon l’Observatoire international des prisons, qui se base sur les chiffres de l’administration pénitentiaire, les «agressions graves» sont «beaucoup plus rares». «Le nombre le plus important relevé ces dix dernières années est 170 (en 2012), le plus bas: 45 (en 2015)», affirme l’organisation. Des chiffres éloignés de la réalité pour Jérôme Massip:
«Il faudra qu’ils nous expliquent comment ils font leurs statistiques. Que comptabilisent-ils dans les agressions? Je pense qu’elles ne sont pas toutes recensées. De notre côté, nous contestons totalement ces chiffres.»
L’Observatoire international des prisons, encore lui, assure que la «la violence est gérée essentiellement par une approche coercitive dite de “sécurité passive” et des réponses disciplinaires et judiciaires», avant de poursuivre: «Bien que de nombreuses études et expérimentations menées en France et à l’étranger attestent qu’une autre approche, dite de sécurité “dynamique”, privilégiant l’instauration d’espaces de médiation et de dialogue, est plus efficace pour prévenir et gérer les tensions.»
Une vision trop «bisounours» pour Jérôme Massip qui, en plus d’effectifs supplémentaires, réclame plus de pouvoir pour les surveillants:
«Il faut donner plus de pouvoir aux surveillants en matière législative. Il faut que ayons plus de latitude pour fouiller détenus et visiteurs. Nous réclamons haut et fort l’obtention de l’habilitation d’agent de police judiciaire afin de pouvoir constater délits et crimes qui se passent quasi quotidiennement dans l’univers carcéral.»
L’attaque de Condé-sur-Sarthe a remis la problématique des fouilles sur le devant de la scène. Le Premier ministre Édouard Philippe a estimé qu’il y avait «probablement eu une défaillance dans la fouille des visiteurs». «Nous allons faire en sorte que le contrôle des fouilles des visiteurs puisse être élevé de façon à ce que ces défaillances ne se reproduisent plus», a-t-il ajouté.
Autre problème majeur dans les prisons françaises: la radicalisation islamiste. En décembre dernier, France 2 avançait le chiffre de 1.500 détenus surveillés pour radicalisation en prison. Selon Jérôme Massip, les techniques utilisées actuellement pour lutter contre ce fléau ne fonctionnent pas:
«Ce problème ne date pas d’aujourd’hui. La nouveauté se situe dans le traitement médiatique qui en est fait. Nous, cela fait longtemps que nous y sommes confrontés. Il y a eu l’expérimentation d’unités dédiées aux détenus radicalisés. Mais dans les faits, ces quartiers sont situés au sein d’établissements classiques et qui ne sont pas totalement isolés du reste. Des détenus radicalisés peuvent très bien discuter à travers les fenêtres avec le reste des pensionnaires et s’adonner au prosélytisme. De plus, on tarde toujours trop à les séparer des autres détenus. Nous réclamons donc des structures à part entière pour ces détenus repérés comme radicalisés, où ces derniers suivraient des programmes pour tenter, je dis bien tenter, de les déradicaliser.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.