11 mars 2019

Péril jaune


Qui s’en souvient encore? Quelques vieux de mon espèce, peut être…même pas sûr, les grosses vedettes laissent des marques indélébiles dans les tronches du populo, les petites, plus confidentielles, finissent toujours dans les oubliettes du temps qui fout son camp avec une constance méprisante. Celui-là je l’aimais bien, il m’amusait beaucoup avec son air de ne pas y toucher. Il racontait des histoires un peu loufoques mais pas tant que ça, désopilantes, en tout cas, et en français, qui plus est, de quoi estomaquer tous les humoristes à la flanc de notre époque de merde! Écoutez moi donc la panse de brebis farcie vous m’en direz des nouvelles! Jacques Bodoin possédait une inestimable richesse qui s’est bel et bien perdue depuis un bon demi-siècle: l’esprit au sens ou, alors, on employait ce mot. Il a beaucoup d’esprit disait-on de quelqu’un qui savait faire rire avec élégance, sans en rajouter ni basculer dans cette vulgarité odieuse qui se vend si bien de nos jours. On ne parle plus ainsi, forcément, vous imaginez prononcer, à propos de Djamel Deux Bouses « il a de l’esprit« ? Totalement antinomique, pas vrai? Et ce que je vous sors là, ce ne sont pas des souvenirs de bourge, quand j’étais petit la classe moyenne parlait un français plutôt châtié et l’écrivait sans fautes -ou presque- parce que l’École de la Répupu parvenait encore, tant bien que mal , à enseigner le plus gros . Je vous parle des années cinquante/soixante… après, Soixante-Huit à accompli son œuvre et le regroupement familial a fait le reste.
En voilà encore un qui s’en est allé bouffer les pissenlits par la racine, comme on disait au temps dont je vous parle. Il avait traversé un sacré désert, le brave Jacques Bodoin, depuis quarante ans -au bas mot- on n’en n’avait plus du tout entendu parler… passé de mode, que voulez vous, et probablement pas en odeur de sainteté auprès des nouveaux patrons du PAF, pas baptisé au sécateur, plus bankable sans compter qu’on ne capte rien à ce qu’il raconte le vieux boloss, allez, poubelle, y a Arthur qui attend! Et voilà qu’on apprend sa mort, enfin la vraie, l’autre c’était déjà un peu fait. Remarquez, il s’apprêtait à entrer dans sa quatre vingt dix neuvième année, en pareil cas il est de bon ton de s’éclipser, d’aller se reposer pour de bon.
Cependant, son petit Philibert, victime expiatoire des adultes, de même que Chausseillon , son cancre à l’accent de Montélimar, superbe et inspiré, désormais septuagénaires, doivent se sentir un peu abandonnés, c’est le sort commun des anciens qui voient leur monde partir en quenouille, tout doucement, sans faire de bruit, comme le temps sépare ceux qui s’aiment dans les « Feuilles Mortes », mais sans pitié, sans rémission… Quand Robert Lamoureux, voilà déjà quelques années, passa discrètement l’arme à gauche, j’eus à peu près la même impression, le train de la vie qui laisse les gens sur le quai; on les voit un moment, puis on ne les voit plus, ils disparaissent et bientôt on les oublie, on passe à d’autres gens, à d’autres choses… Ça vaut pour tout le monde mais parfois c’est plus douloureux, parce qu’il s’agit de petits morceaux de nous mêmes qui tombent et qui ne reviendront jamais.

Jean Foupallour, lui, cette sorte de considération, il s’en balance comme de sa première paire de sandales à lanières, celles qui s’accordaient si bien à ses jolies chaussettes à rayures rouges et jaunes. Son problème, à Jeannot, consiste pour le moment à essayer d’apercevoir la petite culotte de Pompy. Cette dernière, perchée sur un haut tabouret devant le comptoir de Thérèse, sirote un chouette cocktail à base de jus de fruits variés additionnés de tout un panel d’alcools divers avec une dominante gin bien marquée. Il l’a attirée au bistrot par ce moyen, Jeannot, la trouvaille du breuvage divin qu’il ne faut surtout pas louper et hop, embarquée la nana! Sauf que, bien sûr, elle n’en a rien à foutre du camarade Foupallour, qu’il le sait lui aussi pertinemment…et c’est pourquoi son plaisir consistera à mater, avec l’espoir que ce soit le jour du string transparent, voire de rien du tout. En attendant, il bave, le brave garçon, Dieu merci dans son verre de pastaga, ça fait tout de même moins négligé que sur le zinc.

Grauburle, en revanche, très attentif à l’actualité politique internationale, prononce en ce moment même une conférence sur la nécessité absolue, selon lui, d’arrêter les Chinois dans leur avancée irrésistible vers la domination universelle.
-« Vous comprenez -annonce-t-il en dévorant une poignée de cacahuètes dont la majeure partie finit, du coup, dans la tronche de Blaise Sanzel qui, en face, déguste son Martini sans rien demander à personne- si on les laisse faire, ces magots, ils vont carrément nous bouffer jusqu’à l’os! Ils sont partout, vous savez, tenez, regardez donc ce machin là, fait-il en brandissant un rutilant smartphone, figurez vous qu’il est piégé! Là bas à Pékin ils savent tout ce que je fais, à tout moment, vous vous rendez compte? »
-« Ben oui, admettons, réplique le vieux Maurice, mais qu’est-ce qu’ils en ont à foutre les Pékisnoient? En quoi ça pourrait les concerner, les Jaunes, les aventures fantastiques de Marcel Grauburle? Faut pas déconner tout de même, c’est pas parce que tu t’es payé un téléphone de jeune à bon marché que ça va leur faciliter la guerre commerciale avec Trump, ni même la conflagration nucléaire, si jamais ça leur prenait! Tu peux dormir sur tes deux oreilles, ma poule, s’ils doivent s’intéresser à quelqu’un, faudrait qu’ils soient devenus complètement abrutis pour que ça tombe sur toi…ou alors des spécialistes du comportement animal, peut être, histoire de comparer avec les pandas… »
-« Oui, fous toi bien de ma gueule, rétorque Marcel, vexé, en attendant, vous verrez ce que je vous dis, ils grouillent de partout, ces magots, ils rachètent à tours de bras tout ce qui leur tombe sous la pogne! Un jour, si ça se trouve, on voudra venir boire un canon chez Thérèse et ça s’appellera « Derrière Mao » et on y bouffera des nems arrosés à l’alcool de jasmin, ce qui doit probablement se révéler dégueulasse! »
Même si l’éventualité fait marrer la brave Thérèse qui a du mal à se voir céder l’affaire à des bistrotiers venus d’extrême-orient, il y en a au moins un qui prend la menace très au sérieux: Goràn Avaltàtric!
-« M’escuse demander pardon vous, Massieurs, fait le Franco-Serbe en décollant deux secondes le cul de sa vieille chaise tout au fond de la salle, vous parler vrai quand dire Chinetoques très redoutables dangereux saloperie. Communistes à la con avec méthodes capitalistes dures comme pines de négros, terrible péril jaune, finir partout, même ici, et nous autre baisés en canard, pas voir venir sale coup, comme Russes après guerre d’avant dernière de merde! Très malins, vous pas savoir, vous l’introduisent tout doucement, avec vaseline et quand vous réaliser, trop tard, l’avez où ça que je pense et très profond! Peut être Madame Patronne, jamais vendre à sales mandarins, peut être pas…des fois on croive commercer à chrétiens et puis, derrière c’est autre, pas savoir souvent se cachent derrière homme blanc et après il sort le jaune, sans crier aérogare! Devez méfier, tous, un seul il a raison faire gaffe, Trump! Lui pas fou, construire murs pour protéger pays…encore idée sortie de Chinois, à la base, Grande Muraille extraordinaire, vingt et un mille kilomètres et pas besoin bloquer administration avec shutdown! Vu hier soir sur Arte, moi; très vieux Empereur Chine grand précurseur et pas emmerdé par démocratie, pareil que successeur d’aujourd’hui Xi Jinping, fait quoi il veut, personne rien dire…et nous autre foutus, un jour l’autre! Vous croire moi, nécessité habituer petit à petit, bientôt nous autres colonisés et devoir bosser esclavage, jusque crever comme cochons! »
Et ces paroles définitives prononcées de sa voix de mêlé-cass galvanisée, comme disait San Antonio, l’ivrogne des Balkans retombe dans son mutisme habituel, baigné par la Slivovitsa (1).

Alors personne ne moufte. Médusés, tels un radeau delacroixien, les habitués du rade! Il faut dire qu’en tout et pour tout on l’aura entendu deux fois, le Goràn en question, mais on ne l’attendait pas sur la dénonciation des visées hégémoniques de l’Empire du Milieu.
Pompy ayant, pendant ce temps, décroisé et recroisé les cuisses, Foupallour, satisfait semble-t-il de la qualité du spectacle et soudainement inspiré en raison d’une absence manifeste de tout sous-vêtement, trouve illico la conclusion.
-« Bon ben alors, si je comprends bien, le danger à ç’t’heure c’est le smartphone Chinois…faudrait quand même pas oublier de se méfier aussi du téléphone arabe, vous croyez pas? Et, regardant avec insistance son verre de Ricard, juste avant de se l’envoyer dans le corgnolon… parce que vous savez, le péril jaune ça n’a pas que des mauvais côtés! »

Amitiés à tous.

Et merde pour qui ne me lira pas.

NOURATIN

(1)Alcool de prune balkanique.

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