24 mars 2019

La cause ouïghoure, coqueluche de l’Occident


Reprise en boucle par les médias occidentaux, l’accusation portée contre la Chine s’est répandue comme une traînée de poudre : dans sa province stratégique du Xinjiang, Pékin aurait « emprisonné un million de Ouïghours dans des camps d’internement et contraint deux millions d’entre eux à suivre des cours de rééducation ». Les Ouïghours sont l’une des 54 nationalités minoritaires reconnues par la Constitution de la République populaire de Chine. Située à l’extrémité occidentale de la Chine, la Région autonome ouïghoure du Xinjiang a une population composite de 24 millions d’habitants, dont 46% de Ouïghours et 39% de Han.

Si les allégations de la presse occidentale sont exactes, la population ouïghoure, qui est estimée à 10 millions de personnes, aurait donc subi un monstrueux coup de filet ! Pour interner un million de personnes, en effet, il faudrait capturer pratiquement la moitié de la population adulte masculine de cette malheureuse ethnie. Curieusement, aucun témoignage ne mentionne cette disparition massive dans les rues d’Urumqi, de Kashgar et des autres cités de la région autonome. 

Outre cette invraisemblance factuelle, le procès fait à Pékin souffre aussi de la partialité et de l’unilatéralité des sources d’information mentionnées. Croire sur parole le discours officiel est complètement idiot, mais tomber dans l’excès inverse en épousant aveuglément le discours oppositionnel ne vaut guère mieux. Or la narration médiatique relative à cette répression massive s’appuie sur un rapport rédigé par une organisation composée d’opposants au gouvernement chinois et financée par le gouvernement des Etats-Unis.1

Cette organisation qui a pignon sur rue à Washington, le « réseau des défenseurs chinois des droits de l’homme » (CHRD en anglais), est présidée par une fervente admiratrice du dissident chinois nobélisé Liu Xiaobo. Condamné à 11 ans de prison en 2009, puis décédé d’un cancer en 2017 peu après sa libération, ce dernier approuvait avec enthousiasme les interventions militaires US et appelait à la colonisation de son pays par les puissances occidentales afin de le « civiliser ». C’est ce réseau d’opposants en exil aux USA qui orchestre la campagne médiatique contre Pékin en présentant sa politique au Xinjiang comme une entreprise d’asservissement totalitaire.

Comme par hasard, l’une des principales sources citées dans le « rapport accablant » du CHRD n’est autre que « Radio Free Asia », une station de radio gérée par le « Broadcasting Board of Governors », agence fédérale supervisée par le Département d’État et destinée à promouvoir les objectifs de la politique étrangère des Etats-Unis. Une autre source importante est le Congrès mondial des Ouïghours. Organisation séparatiste créée en 2004, elle est considérée comme terroriste par les autorités chinoises qui l’accusent d’être à l’origine des sanglantes émeutes d’Urumqi qui, en 2009, donnèrent le signal d’une déstabilisation de toute la région. Installée aux USA, sa présidente avait obtenu le soutien officiel de George W. Bush en 2007. 

Naturellement, cette organisation est financée par le « National Endowment of democracy », une émanation du Congrès des Etats-Unis qui constitue la cheville ouvrière des politiques de « changement de régime » et sur laquelle plane le soupçon d’une proximité douteuse avec la CIA. Comme le notent Ben Norton et Ajit Singh dans une étude récente, « la dépendance quasi totale à l’égard de sources liées à Washington est caractéristique des reportages occidentaux sur les musulmans ouïghours en Chine, comme sur ce pays en général, et ils présentent régulièrement des allégations sensationnelles ».2

En publiant un « Livre Blanc sur la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme et la protection des droits humains au Xinjiang », le 18 mars 2019, le gouvernement chinois a répondu à ces allégations.3 Peu commenté en Occident, le terrorisme djihadiste qui a frappé durement la Chine dans les années 2009-2014 a créé dans ce pays un véritable traumatisme. Depuis le carnage qui fit 197 morts à Urumqi en mai 2009, les attentats commis par les séparatistes se sont multipliés : Kashgar en mai 2011 (15 morts), Hotan en juillet 2011 (4 morts), Pékin (sur la place Tiananmen) en octobre 2013 (5 morts), Kunming en mars 2014 (31 morts), puis à nouveau Urumqi en avril (3 morts) et en mai 2014 (39 morts). Encore cette énumération ne mentionne-t-elle que les attentats les plus sanglants perpétrés sur le sol chinois. 

Confrontées à un phénomène semblable à la terreur importée en Syrie, les autorités chinoises ont réagi sans mollir. Dans le « Livre blanc » précité, Pékin affirme que, depuis 2014, 2 955 terroristes ont été arrêtés, 2 052 explosifs saisis et 30 645 personnes sanctionnées pour 4 858 activités religieuses illégales. Le document indique aussi que 345 229 copies de textes religieux illégaux ont été confisquées. Contrairement à ce qu’affirme la presse occidentale, il ne s’agit pas du Coran, mais d’une littérature wahabite takfiriste qui transpire la haine à l’égard des musulmans n’appartenant pas à cette obédience sectaire. Dans un pays où le pouvoir politique est jugé sur sa capacité à garantir la stabilité, il va de soi que toute tentative de déstabilisation – a fortiori par le terrorisme aveugle – est combattue sans pitié. 

On peut juger cette politique particulièrement répressive. Elle l’est, et les autorités chinoises ne s’en cachent pas. Un cap a sans doute été franchi lorsque la terreur s’est répandue hors de la province du Xinjiang. La perspective d’un embrasement général du pays a fait planer le spectre d’un scénario à la syrienne. Cette crainte était d’autant plus justifiée que la principale organisation séparatiste ouïghoure, le parti islamique du Turkestan, sévit en Chine comme en Syrie, où les Ouïghours (qui seraient encore au nombre de 15 000, familles incluses) sont particulièrement appréciés au sein de la mouvance djihadiste.4 Mais les défenseurs de cette noble cause oublient généralement de mentionner que cette organisation – qu’ils considèrent sans doute comme une association philanthropique - est la branche locale d’Al-Qaida. 

Frappant à l’aveugle, ses attentats ont fait des centaines de morts. Devant cette vague de violence, que devait faire le gouvernement chinois ? Contrairement aux Etats occidentaux, la Chine n’expédie pas ses extrémistes chez les autres. Elle combat vraiment le terrorisme, elle ne fait pas semblant. La surveillance est généralisée, la répression sévère, la prévention systématique. La presse occidentale fustige les camps de rééducation chinois, mais elle observe un mutisme complice lorsque la CIA offre des camps d’entraînement aux terroristes. En Chine, la répression des activités extrémistes est massivement approuvée par la population, et cette politique a eu pour résultat de faire cesser la violence armée depuis plusieurs années. 

Mais les adversaires irréductibles du régime chinois font feu de tout bois : ils vont désormais jusqu’à incriminer son hostilité présumée à l’égard de l’islam. Or cette accusation repose sur du vent. La presse occidentale a cité des internautes qui auraient stigmatisé la religion musulmane et dénoncé la pratique du « halal ». Dans un pays où 300 millions de personnes tiennent un blog sur Internet et où la liberté de parole est beaucoup plus grande qu’on ne croit, des propos de toute nature sont tenus. Malheureusement, il y a des islamophobes en Chine comme ailleurs. Mais contrairement aux affirmations de la presse occidentale, le gouvernement chinois, de son côté, n’a jamais lancé de campagne contre la religion musulmane. 

Car l’islam fait partie des cinq religions officiellement reconnues par la République populaire de Chine au côté du taoïsme, du bouddhisme, du catholicisme et du protestantisme. Les mosquées sont innombrables (35 000), et elles constituent parfois des joyaux du patrimoine national attestant l’ancienneté de la présence musulmane. Aucune discrimination légale ne frappe les musulmans, qui sont libres de pratiquer leur religion dans le respect des lois. Comme les Ouïghours, les musulmans Hui disposent également d’une région autonome, le Ningxia. Les femmes Hui portent souvent le hijab, et rien ne l’interdit. On trouve des restaurants halal à peu près partout, notamment dans les gares et les aéroports. A l’intérieur de la Chine, l’islam fait partie du paysage. A l’extérieur de ses frontières, la RPC coopère avec des dizaines de pays musulmans dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie.

Ceux qui soutiennent les séparatistes ouïghours et accusent Pékin de persécuter les musulmans commettent une triple erreur. Ils calomnient un pays qui n’a aucun contentieux avec le monde musulman et dont la politique a été saluée par l’Organisation de la Conférence islamique. Ils prennent parti pour des extrémistes affiliés à une organisation criminelle (Al-Qaida) dont la majorité des victimes sont de confession musulmane. Enfin, ils croient défendre les musulmans alors qu’ils servent les intérêts de Washington, qui est leur pire ennemi. Le problème du Xinjiang, ce n’est pas l’islam et sa prétendue persécution par les autorités chinoises. L’origine des troubles qui agitent cette partie du territoire chinois n’est pas religieuse, mais géopolitique : c’est l’instrumentalisation du religieux par des organisations sectaires qui doivent l’essentiel de leur nocivité à des complicités étrangères. 

Le problème du Xinjiang n’est pas davantage celui de la nation ouïghoure, intégrée dans la République populaire de Chine depuis sa fondation en 1949. Le Xinjiang faisait déjà partie de l’empire des Qing (1644-1912) et la présence chinoise y remonte à la dynastie Tang, il y a 1300 ans. Qu’il y ait des difficultés de cohabitation entre les uns et les autres n’est guère étonnant, s’agissant d’un problème auquel n’échappe aucun pays au monde. L’accroissement du peuplement han a sans doute nourri un sentiment de frustration chez certains Ouïghours. Mais cette situation paraît difficilement réversible. Le brassage multiséculaire des populations et la fixation progressive des frontières ont uni une multitude de nationalités au sein de la République populaire de Chine. Elle a hérité de son prédécesseur impérial sino-mandchou l’essentiel de son assise territoriale. Il se trouve que les Ouïghours en font partie, et cet héritage historique ne saurait être balayé d’un trait de plume. 

Les détracteurs de la Chine affirment que les Han (90% de la population) sont dominateurs. Mais s’ils avaient voulu dominer les nationalités minoritaires, Pékin ne les aurait pas exemptées de la politique de l’enfant unique infligée à l’ethnie han de 1978 à 2015. Ce traitement de faveur a stimulé l’essor démographique des minorités, et notamment des Ouïghours. Utiliser le langage servant à décoder les pratiques coloniales pour expliquer la situation des nationalités en Chine n’a aucun sens. Depuis Mao, aucune discrimination ne frappe les minorités, bien au contraire. Malgré son éloignement et son aridité, le Xinjiang se développe au bénéfice d’une population multi-ethnique. Encouragé par des opposants inféodés à l’étranger et des droits-de-l’hommistes sans cervelle, le séparatisme ouïghour est une folie que vient redoubler une autre folie : celle du djihadisme planétaire parrainé par Washington depuis quarante ans. 

De même que le gouvernement des Etats-Unis a poussé les feux du djihad contre l’Union soviétique en Afghanistan, puis armé ses « proxys » du Moyen-Orient contre la Syrie, il instrumentalise aujourd’hui la cause ouïghoure pour déstabiliser la Chine sur son flanc occidental. Ce n’est pas un hasard si le Département d’État a annoncé en septembre 2018 qu’il étudiait la possibilité de sanctions contre la Chine pour sa politique au Xinjiang. Comme d’habitude, le discours humanitaire des chancelleries occidentales et de leurs ONG satellisées est la face émergée de l’action clandestine visant à organiser la subversion par la terreur. Loi du genre, les pays visés sont ceux dont l’indépendance et le dynamisme constituent une menace systémique pour l’hégémonie occidentale.

La propagande djihadiste ouïghoure, aujourd’hui plus que jamais, cible la République populaire de Chine. Pour ses prédicateurs, la « nation du Turkestan » (c’est sous ce nom qu’ils désignent la majeure partie de l’Asie centrale turcophone) subit une oppression insupportable sur son versant oriental (Chine) comme sur son versant occidental (Russie). Lançant un appel au boycott de la Chine, ils fustigent les sévices historiques qui auraient été infligés par les Chinois aux Ouïghours, mentionnant des choses aussi absurdes que « le viol des musulmanes » ou « l’obligation de manger du porc ». Désenchanté par la tournure des événements au Proche-Orient, poussé par les services de renseignements turcs, le mouvement djihadiste du Turkestan a réorienté son combat : désormais, il entend frapper à nouveau l’ennemi proche (la Chine) plutôt que l’ennemi lointain (la Syrie).5

Il serait naïf de croire que la coïncidence entre cette propagande djihadiste, la fébrilité des opposants chinois et la stigmatisation de la Chine par les médias occidentaux est fortuite. Si l’on fait pleurer dans les chaumières sur le peuple ouïghour opprimé, ce n’est pas pour rien. Le moment est bien choisi. Alliée de la Russie, la Chine a fourni une aide précieuse à la Syrie dans sa lutte contre les « proxys » de l’Occident. Marginalisant les USA, elle participe activement à la reconstruction du pays. En Amérique du sud, elle soutient le Venezuela en lui achetant son pétrole, mettant en échec l’embargo occidental. La guerre commerciale avec Pékin est au mieux un jeu à somme nulle, et Washington en perçoit les limites. La réalité, c’est que la Chine est la puissance montante, les USA la puissance déclinante. Lorsque les deux courbes se croisent, tout est bon, du point de vue des perdants, pour tenter d’enrayer le cours des choses.

Bruno Guigue

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