23 août 2018

Le «mariage pour tous» aux États-Unis ouvre un marché de niche de mères porteuses à Tbilissi, en Géorgie


Il y a toujours un revers à tout. Le mariage homosexuel aux États-Unis, très moqué par la droite religieuse, est aussi devenu un nouveau créneau commercial et donc rendu acceptable par défaut au sein de cette même droite religieuse en satisfaisant aussi les principes du libre marché.

Dans le pays post-soviétique de Géorgie, un pays plus authentiquement conservateur que ne le seront jamais les États-Unis, un secteur important qu’est la maternité de substitution s’est développé. Beaucoup de femmes assurent ce service plus d’une fois. Comme les mères porteuses gagneraient au moins 15 000 dollars pour le processus, cela en fait une des possibilités les plus lucratives à la portée des femmes géorgiennes économiquement désavantagées.

Il appartient aux futurs parents non biologiques, qui sont généralement des étrangers, de rencontrer ou non la femme. Dans de rares cas, la mère porteuse peut passer sa grossesse dans un autre pays. Les raisons sont diverses, mais le but est souvent de contourner diverses lois ou d’empêcher la mère biologique de changer d’avis à la naissance de l’enfant.

Chaque contrat de maternité de substitution comporte également des conditions spécifiques, qui répondent à la question « que se passe-t-il en cas de fausse couche ou de problème de santé ? » Divers fournisseurs affirment (ce serait apparemment écrit dans l’accord, mais pas toujours) que le client étranger de la mère porteuse serait tenu pour responsable de ces frais. Les Géorgiens ont une longue histoire de dépendance à l’égard des étrangers pour leur subsistance, et maintenant ils réagissent, mais ce n’est pas vraiment la meilleure façon de faire.

On m’a récemment demandé de l’aide pour raconter la suite de cette histoire. Mon contact m’a demandé : « Ne connaissez-vous pas quelqu’un qui pourrait m’aider à raconter une partie de cette histoire ? Nous recherchons surtout les dilemmes, les récits de ce qui ne va pas, ou les demandes déraisonnables/illégales des mères porteuses. » Dans le cadre d’une enquête plus approfondie, Ucha Nanouachvili, l’ancien défenseur public et le plus haut responsables des droits de l’homme en Géorgie, m’a fait part de ceci : « J’ai rencontré plusieurs fois Tamar Khachapuridze, propriétaire d’un des centres de maternité de substitution. Elle a parlé de la criminalité dans ce business, etc. »

C’était suffisant pour commencer ma quête de la vérité. Depuis, j’ai trouvé d’autres sources et, d’après les histoires racontées et des discussions avec plusieurs intervenants dans ce business, il est devenu clair que c’est différent de ce que l’on nous raconte.

Vampires légalisés

Premièrement, il y a une grande différence entre les cliniques dans les taux de réussite annoncés. On pourrait s’attendre à certaines variations – des échantillons différents produisent des résultats différents. Mais les variations ne semblent pas exister en Géorgie parce que les soins de santé privés sont une industrie en pleine croissance, avec divers aspects cartellaires (comme dans les prix des médicaments) et personne ne veut suivre les chiffres de trop près par crainte de nuire aux moyens de subsistance.

Certains fournisseurs affichent un taux de réussite de 40% à 45% chez les femmes de moins de 35 ans. Au-dessus de cet âge, le taux de réussite ne sera que de 15% environ parce que la qualité de l’embryon diminue. Mais ils éludent la question de savoir qui veut ces services, et pourquoi.

La législation géorgienne est très favorable à ce marché de niche. Les couples qui recourent à ce service n’ont pas besoin d’être mariés, ce qui permet à certaines cliniques reproductives de s’occuper spécifiquement des clients LGBT.

Prenons par exemple une publicité en ligne, qui présente la Géorgie et d’autres pays moins développés comme des terrains fertiles pour les Occidentaux plus raffinés et plus méritants :

« Les couples appartenant au même sexe rêvent eux aussi d’avoir leurs propres enfants. Surrogacy Abroad, Inc. a maintenant transformé ce rêve en réalité en fournissant des services qui aident les couples homosexuels et les célibataires à avoir leurs propres enfants biologiques grâce à la maternité de substitution. Aujourd’hui, les personnes appartenant à la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT) peuvent aussi avoir leurs propres enfants. C’est ce que nous croyons à Surrogacy Abroad. »

Surrogacy Abroad se présente comme « une agence internationale de maternité de substitution basée à Chicago, détenue et dirigée par Benhur Samson, Indien d’origine et entrepreneur. Benhur s’est installé à Chicago en 1987 (…) Benhur a vu dans cette industrie une occasion de combler le fossé entre des futurs parents de tous les styles de vie et la maternité de substitution.

Cette clinique se consacre au service des futurs parents partout dans le monde en facilitant le processus de maternité de substitution avec ses cliniques partenaires d’élite en Inde. Elle s’occupe aussi des mères porteuses et des donneuses d’ovules (donneuses caucasiennes et indiennes). « Nous sommes une agence à ‘guichet unique’ pour tout futur parent (ouverte aux LGBT) et nous pouvons nous adapter à tous les aspects du parcours vers la parentalité par la maternité de substitution. »

Lorsqu’elle a insisté sur ces détails, la société a tout d’abord affirmé qu’elle ne travaillait pas en Géorgie et a tenté d’évacuer le sujet en disant : « Si vous avez d’autres questions, vous pouvez vous adresser au ministère géorgien de la Santé et ils vous expliqueront tout en détail. Tout ce que je peux dire c’est que la maternité de substitution et le don d’ovules et de sperme sont légaux en Géorgie. »

Lorsque le médecin impliqué a été contacté personnellement, sa première réponse a été : « Je suis la docteur Tamar et vous devez savoir que la Géorgie n’aide pas les couples homosexuels car c’est interdit en Géorgie. »

Elle a ajouté : « Pour dire la vérité, chaque personne a peut-être le droit d’avoir des enfants mais moi, comme médecin et personne ordinaire, je ne suis pas prête à accepter que les couples homosexuels, sauf les lesbiennes, puissent avoir des enfants. Je pense que cet avenir n’est que celui du droit de négliger les enfants.

Alors êtes-vous de leur côté ? Je pense que vous ne l’êtes pas… Il y a trop de sociétés américaines, indiennes, chinoises qui veulent faire des profits dans ces pays où la maternité de substitution et les dons sont légaux.

Je ne veux pas faire de FIV [fécondation in vitro] pour les couples homosexuels même si c’est autorisé ; pour les lesbiennes j’y réfléchirai à deux fois parce qu’au moins les deux sont des femmes et les enfants peuvent dire maman à des femmes. »


Une loi pour l’une, pas de loi pour l’autre

On commence à oublier que ceux qui recherchent une fécondation in vitro en Géorgie sont des couples homosexuels actifs. Certains sont infectés par le HIV. Les centres de maternité de substitution affirment que le virus du HIV peut être lavé pendant le traitement du sperme et que le risque d’infecter la mère porteuse est inférieur à 0.1%. Ce chiffre extrêmement bas ne peut pas être correct car il y a des périodes de latence pendant lesquelles les anticorps ne peuvent même pas être détectés. Soit celles-ci ne sont pas prises en considération soit les chiffres sont falsifiés d’une manière que la vraie profession médicale n’accepterait pas.

Les personnes infectées par le HIV sont également souvent infectées par l’hépatite B et C, qui peut aussi être transmise par les fluides corporels. Elles présentent aussi un risque pour les médecins et les travailleurs de laboratoire, qui en sont conscients mais doivent gagner leur vie d’une manière ou d’une autre. Les épreuves et les tribulations qu’ont traversées Woodward et Bernstein pour obtenir les informations qui ont déclenché le scandale du Watergate étaient de la petite bière par rapport à ce qui est nécessaire pour faire parler les médecins géorgiens ouvertement de tout ce qui a trait à leur profession. La ligne officielle est la seule, même pour ceux qui savent qu’elle est absurde.

Informe-t-on au moins les mères porteuses des risques inhérents à la procédure ? Sont-elles au courant des maladies que le donneur de sperme peut transmettre ? On prétend que les mères porteuses exigent des montants plus élevés lorsqu’on leur demande de prendre des risques supplémentaires. Du coup, on ne leur en parle pas lorsqu’elles signent les documents du consentement éclairé ou on leur donne de fausses informations si c’est le cas.

Cela revient à ne pas poser de question. Comme une source l’a écrit : « Le couple peut-il être masculin/masculin ou féminin/féminin ? Nous n’avons pas besoin de poser la question ici. En Géorgie les mariages entre personnes du même sexe sont impossibles. Ils sont interdits par la loi. » Les cliniques médicales géorgiennes sont donc tenues de n’offrir des services qu’à des couples entre hommes et femmes – mais si les parents se présentent comme un couple, ils sont traités comme la définition qu’en donne la Géorgie.

Le meilleur des mondes

Certaines cliniques contournent la législation en acceptant des dons de sperme ou d’ovules en provenance d’Amérique à des fins de cryoconservation, c’est-à-dire la conservation d’embryons congelés. Si la paperasse est remplie, personne ne se soucie de ce qu’il advient ensuite de ces dons. C’est depuis longtemps une norme dans l’industrie du transport nucléaire que 1% de tous les chargements sera perdu au cours du transit et ne sera pas comptabilisé à la réception. On se demande ce qu’est cette norme dans l’industrie de la cryoconservation.

Ces transferts posent des problèmes légaux parce que les donateurs et les bénéficiaires sont liés par différents codes juridiques. Ceux-ci sont contournés par l’octroi d’une procuration. Le patient identifie une « personne de confiance » (un étranger payé qui peut lire l’anglais et le géorgien), qui signe l’accord avec eux chez un notaire, en leur nom. Si aucun accord notarié n’est en place le jour du transfert de l’embryon, le donneur supporte les coûts supplémentaires en cas de mort du bébé.

Après la naissance du bébé, le donneur doit venir en Géorgie parce que le Palais de justice traite tous les documents. Les parents doivent y recevoir le certificat de naissance et le passeport étranger. Cela prend environ un mois et demi pour obtenir ces documents puis un visa pour que le nouveau-né puisse repartir avec eux.

Le personnel du Palais de justice et par conséquent celui des centres de maternité de substitution savent évidemment qui sont les parents de ce bébé issu de la gestation pour autrui. Tant le Palais de justice que les centres, et généralement les parents eux-mêmes, savent que le service fourni est illégal sous la législation géorgienne.

Mais bienvenue dans la société géorgienne créée par Édouard Chevardnadze et Mikhaïl Saakachvili ! La seule valeur est ce qu’on peut en tirer, et l’argent étranger détermine ce que c’est – tout est une question d’argent. Tout est à louer ou à vendre, comme dans le cas des utérus géorgiens ou des bébés réels.

Le diable est dans les détails

Une grande partie de l’information qui précède vient d’une entrevue avec une agence de maternité de substitution dirigée par le révérend Michael R. Vanderpool, Association de la presse américaine, Eurasia Surrogacy & Egg Donation International. Plus l’entretien et l’enquête progressaient, plus cela devenait pénible, et je suis allé à des sources de première main pour vérifier la plus grande partie de ce qui était ouvert.

Par exemple :

– « D’accord, pour clarifier les choses : si je vous fournis, ou plutôt si le patient vous fournit une procuration, ils peuvent faire livrer le sperme et/ou les ovules (par courrier postal express) ? »

– « Oui, ils peuvent généralement envoyer n’importe quel échantillon biologique. La plus grande partie des envois sont des embryons, parce que dans certains pays et dans certaines parties mêmes des États-Unis, la maternité de substitution et les mères porteuses sont interdites, donc peut-être qu’ils font des embryons ; ils ne peuvent cependant pas les transférer à une mère porteuse ; ils peuvent envoyer ces embryons ici et nous pouvons effectuer les procédures de transfert ici en Géorgie. Mais selon la législation américaine, à ce que je sais, l’un des parents doit être génétiquement lié au bébé, que ce soit la mère ou le père. »

« D’accord. Dans ce cas, lorsqu’ils ont signé la procuration et envoyé le sperme ou les ovules du donneur en Géorgie, quand le bébé va naître ou est né, combien de temps prend le processus légal, en général – vous avez environ un mois ? »

« Environ un mois, au maximum deux mois. »

« Doivent-ils rester en Géorgie pendant ce temps ? »

« Ils ne doivent pas. Ils doivent venir ici, mais s’occuper du bébé. La plupart du temps nous payons des infirmières, ou ils peuvent rester ici s’ils en ont la possibilité et prendre soin du bébé eux-mêmes. »

Mais une vie bien remplie est très compliquée et les couples sont très occupés. Il est impossible à la plupart d’entre eux de séjourner dans un autre pays pendant deux mois, n’est-ce pas ? Donc nous payons des infirmières pour s’occuper des bébés. Mais après l’accouchement, ils doivent être ici.

Parfois ils arrivent et veulent même assister à l’accouchement, et si nous avons prévu une césarienne – certains patients demandent et veulent uniquement une césarienne pour la mère porteuse. Certains n’ont aucun problème si la mère porteuse accouche de manière naturelle, mais c’est au patient de décider. »

« Ils peuvent choisir entre naissance naturelle et césarienne ? »

« Oui, si c’est une césarienne, nous pouvons la planifier et informer le patient une semaine avant, mais si c’est un accouchement naturel, nous ne pouvons prédire avec certitude la date de la délivrance, donc parfois les parents viennent ici et ce n’est pas un problème. Cela signifie que tout le processus prendra deux mois au maximum, ou peut-être moins, parce que le bébé est accouché au nom de la mère porteuse et après l’accouchement, l’hôpital envoie tous les documents au Palais de justice, qui met le bébé sous le nom des vrais parents. »

« Donc en théorie, ils pourraient arriver à peu près au moment de la naissance attendue ou effective de l’enfant ? »

« Ou après l’accouchement. »

« Et s’ils sont occupés, ou s’ils ont un problème, ils peuvent retourner dans leur pays, les États-Unis dans cet exemple, puis revenir dans un mois ou deux ? »

« Oui. Oui. »

Les gays ne peuvent pas avoir de bébé dans la plus grande partie des États-Unis ni en Géorgie. Mais les homosexuels américains qui veulent des bébés peuvent les avoir en Géorgie. Cela vous dit tout ce que vous devez savoir sur les relations internationales, style étasunien. La droite religieuse américaine est très favorable au « droit à la vie ». Voici quelques informations pour ses membres : les Géorgiens ont aussi droit à des vies meilleures que celle-ci.

Jeffrey Silverman

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone

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