Six des sept salariés de l'hôpital psychiatrique du Rouvray en grève de la faim, à Sotteville-lès-Rouen, le 29 mai 2018. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)
Depuis 15 jours, sept salariés de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), ont entamé une grève de la faim. Parmi eux, quatre ont été hospitalisés entre lundi et mardi 5 juin 2018. Ils dénoncent leurs conditions de travail et réclament le recrutement de 52 aides-soignants et infirmiers pour traiter plus dignement leurs patients.
Pour le Dr Jean-Pierre Salvarelli, psychiatre au Centre hospitalier Le Vinatier à Bron (Rhône), interrogé mardi 5 juin sur franceinfo, la situation à l’hôpital psychiatrique du Rouvray est "reproductible dans beaucoup d’hôpitaux de France". Il réclame plus de moyens pour parvenir à compenser "l’augmentation exponentielle de la demande" en psychiatrie en France.
franceinfo : La grève de la faim à l’hôpital du Rouvray est-elle représentative des problématiques rencontrées par le secteur psychiatrique aujourd’hui en France ?
Jean-Pierre Salvarelli : Oui, je pense, mais ce qui n'est pas représentatif c'est le côté exceptionnel de la grève de la faim. Ces personnes font la grève de la faim pour quelque chose qui n'est pas une problématique personnelle, mais pour leur outil de soin. C'est paradigmatique de ce qui se passe aujourd'hui en France, mais la situation qui est décrite est reproductible dans beaucoup d'hôpitaux psychiatriques de France. Aujourd’hui, il y a deux courbes qui se croisent : il y a une baisse des moyens parce que même s’il y a une augmentation des budgets par une mécanique financière, tous les ans, tous les hôpitaux baissent de moyens, baissent de personnels, d'infirmiers, de médecins et il y a une augmentation exponentielle de la demande. La demande croît de deux à trois pourcents par an. Il y a 20 ans, la psychiatrie publique soignait un million de personnes, aujourd'hui, elle en soigne deux millions, avec des lits qui ont diminué de moitié. Il y avait 120 000 lits, il y a vingt ans, il y en a dans la psychiatrie publique 45 000 aujourd'hui.
Comment expliquez-vous cette demande qui augmente de façon aussi significative et comment décririez-vous la situation actuelle dans les hôpitaux psychiatriques ?
Je pense qu'il y a une banalisation de la question psychiatrique aujourd'hui, c'est-à-dire que pendant très longtemps n'avaient accès aux soins psychiatriques que les réputés plus "fous". Aujourd'hui, la souffrance psychique est reconnue, quand elle se manifeste du côté de la pathologie, elle est prise en charge de manière régulière. On a développé des tas de prises en charge spécifiques, pour l'alcool, pour les troubles divers du comportement, pour les troubles addictifs divers et variés. On démultiplie les prises en charge, on continue à prendre en charge la population en proximité par le déploiement du secteur qui est une formidable réussite soignante mais les moyens ne suivent pas à hauteur et ce sont là nos difficultés. Il y a aujourd’hui une certaine désespérance dans les hôpitaux psychiatriques. Pour être soignant en psy, il faut être engagé personnellement, dans des soins qui sont longs, qui sont relationnels. La question de la relation, elle est importante du côté du patient, mais elle l’est aussi du côté du soignant, c'est un investissement, les soignants sont investis. C'est le cas dans la médecine en général, mais aussi en psychiatrie, la discipline que je pratique. Ne pas pouvoir exercer son art, son métier, ne pas pouvoir aider les gens qui nous sont confiés, c'est une difficulté terrible. Il manque des infirmiers, il manque des médecins. Aujourd'hui, je suis aux urgences de l'hôpital Le Vinatier, parce qu’il manque des médecins alors que je ne devrais pas y être, voilà, on est vraiment en difficulté.
Comment en sommes-nous arrivés à une situation aussi alarmante et comment pourrons-nous en sortir ?
Je vous donne un exemple, l'an passé dans mon établissement, on a supprimé 52 postes. Cette année on nous propose de supprimer 15 postes de praticiens hospitaliers et une cinquantaine de postes d'infirmiers, et ça c'est tous les ans. Chaque année, le renouvellement des budgets nous amène à devoir supprimer des postes. Quand l'Etat augmente le salaire des infirmiers, des aides-soignants, ce dont on est ravis parce que les aides-soignants c'est quand une catégorie sous-payée, cela coûte 2 millions et demi à mon hôpital et ces 2 millions et demi ne sont pas budgétés. Donc pour pouvoir assurer les augmentations de salaire des agents de l'hôpital, on va être obligé de supprimer des postes. On en est là aujourd'hui. Pour sortir de cette situation, la question du financement va être primordiale : l'Etat est-il prêt à financer la santé ou pas ? S’il n’est pas prêt à financer la santé, alors qu'on nous dise ce qu'il s'agit de soigner et de ne pas soigner.
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