« Celui qui s’est engagé vraiment dans le jihad sait que ce n’est rien d’autre que violence, cruauté, terrorisme, terreur et massacres (je ne parle que du jihad et du combat, pas de l’islam qui ne doit pas être confondu avec ça). Et il ne sait pas qu’il ne peut continuer à se battre et à progresser d’une étape à l’autre si l’étape initiale ne passe pas par un stade de massacres et de terrorisme à l’égard de l’ennemi», écrit Abou Bakr Naji dans Management de la Sauvagerie, ouvrage de référence pour les tenants de l’islam de combat. Publié aux éditions Ars Magna, ce traité précédemment connu sous le titre de Gestion de la Barbarie surprend par sa froide logique. Le Management de la Sauvagerie apporte un démenti cinglant à ceux qui imaginent l’hydre jihadiste constituée de bêtes frustes, inaptes à déployer une stratégie, uniquement capables de penser quelques coups tactiques.
Le Management de la Sauvagerie apporte un démenti cinglant à ceux qui imaginent l’hydre jihadiste constituée de bêtes frustes, inaptes à déployer une stratégie, uniquement capables de penser quelques coups tactiques.
Se doublant d’un manifeste politique largement inspiré par le Frère musulman Sayyid Qutb, cité à plusieurs reprises, le Management de la Sauvagerie se veut une méthode rationnelle de rétablissement du Grand Califat. Le Management de la Sauvagerie représente une étape politique et militaire que l’auteur définit précisément comme étant « la gestion du chaos sauvage », soit le moment où les masses populaires islamiques sont en demande matérielle de l’aide des groupes jihadistes, préalable nécessaire à la création d’un État. Abou Bakr Naji donne des précédents historiques où des minorités agissantes et décidées ont eu à « manager la sauvagerie », citant les guérillas gauchistes d’Amérique centrale, le début de l’État islamique à Médine ou les talibans comme source d’inspiration : « Avant d’être soumise à notre administration, la zone de sauvagerie sera dans une situation similaire à la situation de l’Afghanistan avant son contrôle par les talibans, une zone soumise à la loi de la jungle dans sa forme primitive, où les bonnes gens et même les plus sages parmi les mauvaises gens appellent de leurs vœux quelqu’un capable de gérer cette sauvagerie.»
Afin qu’un groupe jihadiste soit appelé à gérer ces zones de «sauvagerie», il s’emploiera d’abord à créer un environnement propice en humiliant, en harassant et en épuisant ses ennemis, les «hypocrites» et autres «apostats» de l’islam, mais surtout les «infidèles». Une organisation comme al-Qaïda sélectionnera avec le plus grand soin des États en passe de faillir, minés par des divisions politiques ou ethniques, dans lesquels se trouvent de nombreux «misérables de l’Oumma» susceptibles de rejoindre le combat. Il s’agira donc, prioritairement, de pays musulmans où les pouvoirs politiques ne sont pas en mesure de garantir un Ordre public efficient, où les injustices sont grandes. En effet, les groupes terroristes se nourrissent du ressentiment des masses populaires, d’où la réalisation d’«opérations qualitatives», frappant de manière humiliante des cibles dûment choisies, sidérant les opinions publiques. Seront donc privilégiés, au départ, les intérêts occidentaux les plus majeurs, les clubs de vacances, etc.
Al-Qaïda sélectionnera avec le plus grand soin des États en passe de faillir, minés par des divisions politiques ou ethniques, dans lesquels se trouvent de nombreux «misérables de l’Oumma» susceptibles de rejoindre le combat.
Preuve d’une véritable profondeur de réflexion, Abu Bakr Naji jugeait, dès le début des années 2000, que l’affrontement frontal avec les États-Unis au Moyen-Orient serait bénéfique pour les jihadistes, se fondant sur l’idée que «l’éloignement des champs de bataille par rapport au centre décisionnel américain empêche les Américains de pouvoir terminer une guerre». On l’a constaté en Irak, les États-Unis ont été en guerre contre les masses populaires, renforçant de facto le prestige et la légitimité des islamistes. Il faut bien comprendre que l’objectif le plus important des organisations terroristes est de casser toutes les barrières entre les religieux et les peuples majoritairement musulmans, de supprimer tous les intermédiaires associatifs, laïques ou professionnels. Une stratégie mise en œuvre en Europe dans les années 2010, s’appuyant sur les fortes minorités musulmanes présentes ici, essayant de soulever une élite dans la jeunesse de l’Oumma, des leaders qui pourraient être amenés à administrer les zones de conquête.
Face à nous, un ennemi qui ne procède pas par logique d’intérêt, mais qui est animé par une foi inexpugnable, qui considère l’assassinat d’innocents comme un geste miséricordieux, mal nécessaire pour établir un monde meilleur, une utopie religieuse dans laquelle «l’acte se justifie par l’acte lui-même», fondement de la pensée islamique.
Dès que nos États faiblissent, ils organisent des «forces supérieures» dans toutes les «zones périphériques de l’État». Ainsi dans les banlieues de l’immigration, investies par les religieux fondamentalistes quand l’État fait défaut. Plus surprenant encore, Abu Bakr Naji avait prédit l’ascension et la chute de l’État islamique en Irak et en Syrie dans une sous-partie sur le «soulèvement militaire», l’installation d’un État par des individualités rendant «difficile la continuité de cet État dans sa forme intégralement islamique»
Si l’on pourra regretter une traduction parfois grossière, le Management de la Sauvagerie est un must read pour qui veut saisir la stratégie militaro-politique de l’islam de combat dans le monde.
P-S : Certains experts avancent en privé que Management de la sauvagerie serait l’œuvre d’un faussaire, un écran de fumée qui aurait pu servir d’outil de contre-propagande à une puissance occidentale, à l’Iran ou à l’Arabie saoudite. Certes minoritaire, la thèse n’en est pas moins réelle. Management de la sauvagerie est toujours cité en référence par les jihadistes eux-mêmes ou des spécialistes de l’étude des mouvements islamistes, tels Maajid Nawaz (fondateur du think tank Quilliam) et Hasham Dawod (anthropologue et chercheur au CNRS).
Gabriel Robin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.