27 février 2018

Chronique du transhumanisme : L’avenir est dans l’œuf

Chaque semaine, Jean-Marie Le Méné, président de la fondation Jérôme Lejeune, analyse pour Valeurs actuelles l'actualité du transhumanisme.

Les voies du transhumanisme sont mystérieuses. La réduction de l’homme à de purs phénomènes biologiques fait surgir une morale inattendue qui nous arrive par des chemins de traverse. Tout le monde sait que les transhumanistes sont antispécistes, c'est-à-dire qu’ils ne reconnaissent pas la prééminence d’une espèce vivante sur une autre. Pour être concret, l’homme ne l’emporte pas en dignité sur le homard par exemple. D’où l’injonction de ne jeter ni l’un ni l’autre dans l’eau bouillante sans estourbissement préalable. Le respect de la vie du homard avait pris beaucoup de retard. Cette époque cruelle est révolue. On note aussi des avancées intéressantes dans l’univers impitoyable des poules pondeuses. Il sera bientôt interdit de commercialiser les œufs de poules élevées en cage. Mais les contrevenants n’iront pas tout de suite en prison. Sur chaque œuf est inscrit un chiffre de 0 à 3 qui indique si la pondeuse était élevée en plein air, en volière ou en batterie. Le reste du code permet d’identifier le producteur qui pourrait être convié à un stage de rééducation au bien-être animal. D’ailleurs, au salon de l’agriculture, le Président de la République vient d’adopter Agathe, une poule codée 0, la meilleure note, qu’il va lâcher dans les jardins de l’Elysée. On voit que l’œuf est pris en considération au plus haut niveau.

L'homme et la femme préféreront, eux aussi, vivre en plein air plutôt qu’en batterie

Par effet de ruissellement, il n’est pas exclu qu’on finisse par tirer de ces progrès inespérés quelques bienfaits pour notre espèce. L’homme et la femme expérimenteront les secrets de l’engendrement selon un mode de production biologique. Cela leur permettra d’exprimer des comportements favorables à une naissance dans les meilleures conditions voire même d’y prendre plaisir. Débarrassée de ses odeurs de laboratoire, la procréation naturelle prendra des couleurs séduisantes. Les couples en viendront à concevoir eux-mêmes sans recourir à un incubateur sud asiatique et en s’abstenant de mesurer le QI de leurs enfants à l’aune de l’intelligence artificielle. Comme rien n’échappe à la science, des chercheurs éminents découvriront que l’instinct maternel est presqu’aussi développé dans l’espèce humaine que chez les gallinacés dont on connaît la réaction empathique déclenchée par les signes de détresse des poussins (lesquels sont doués pour le calcul mental d’après les plus grands spécialistes). Cette percée intellectuelle leur vaudra de faire la couverture des magazines féminins et d’être invités sur une radio chrétienne. Délivrés d’une vie vécue par procuration, par délégation, absente d’elle-même, l’homme et la femme n’admettront plus d’être mûs par d’autres. Ils préféreront, eux aussi, vivre en plein air plutôt qu’en batterie.

Bien sûr cette époque prometteuse viendra mais elle prendra un certain temps. Le temps que les transhumanistes achèvent leur démonstration ad absurdum du crime que constitue la complicité entre le scientisme et le marché. Pour cela, ils devraient encore s’adonner à quelques pratiques dont la prochaine loi de bioéthique pourrait être le temple. Il faudra sans doute accepter la PMA, voire la GPA, ce qui ne représente que la partie émergée de l’iceberg. On devra surtout accepter les chimères homme-animal, le clonage, la fabrication d’humains dotés de trois ADN, la modification de la lignée germinale avec son impact ignoré sur la descendance, la production de gamètes à partir de simples cellules de peau pour permettre une procréation affranchie de sexualité, de père, de mère et parfois de progéniture, le label « enfant » étant réservé à un produit sans malfaçon.

Entre le homard et l’homme il n’y a qu’un petit pas

Il suffit d’attendre avec patience que toutes ces folies précipitent leurs lots de désastres. Alors, au nom de l’égalité de toutes les espèces, les braves gens demanderont que les attentions délicates accordées aux poules et aux homards soient étendues à l’humanité. Heureusement, depuis Darwin et ses coreligionnaires, nous savons qu’entre le homard et l’homme il n’y a qu’un petit pas.

Et c’est ainsi que le transhumanisme est grand.

Jean-Marie Le Méné
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