25 novembre 2017

Surveiller et punir les hommes


Philosophe, essayiste, auteur de la Théorie du genre ou le Monde rêvé des anges, Bérénice Levet explique pourquoi cette grande entreprise de délation, loin de servir la cause des femmes, jette les bases d’un monde invivable où la guerre des sexes sera la norme.

Chaque matin, du haut de leur chaire, les journalistes travaillent à fabriquer de la mauvaise conscience. Transformés en prédicateurs, ils délivrent un nouveau sermon. Il y a un mois, à la suite des événements de Charlottesville, au motif qu’il était à l’origine du Code noir, nous étions sommés de déboulonner les statues de Colbert présentes dans nos villes et de débaptiser les établissements scolaires portant le nom de notre grand homme. La semaine suivante, à l’occasion de la sortie du film Gauguin à Tahiti, il nous fallait nous laver du péché de pédophilie dont, à l’exemple du peintre, nous nous serions rendus coupables dans nos colonies du Pacifique en convolant avec des jeunes filles âgées de treize ou quatorze ans. Et depuis le 10 octobre, dans le sillage de l’affaire Weinstein, les femmes sont appelées à « balancer leur porc » et la société tout entière exhortée à faire son examen de conscience, à reconnaître ses complaisances, ses aveuglements, ses silences face à des exactions masculines prétendument généralisées.

La question des violences faites aux femmes est de ces sujets qui intimident. Quiconque prend ses distances avec ce déferlement, cette furie, cette hystérie collective devient ipso facto suspect d’indifférence, voire de complicité. Mais est-on bien sûr que dans cette campagne de délation, ce soit la violence faite aux femmes qui mobilise ? On peut sérieusement en douter.

La forme, ou plutôt, précisément, l’absence de forme du mot-clef « balance ton porc », est assurément ce qui a fait mouche – souvenons-nous que ce mot de « porc », Marcela Iacub avait déjà tenté de l’introduire dans le contexte de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, sans véritable succès alors. L’esprit fielleux et inquisiteur de notre temps ne s’en était pas saisi. « Qui dit vulgaire dit populaire », se flatte la journaliste qui est à l’origine de cette objurgation à l’universelle délation. Populaire ? En tout cas, auprès d’un certain peuple, celui des réseaux sociaux. « Balancer » est sans doute ce qu’aime et fait le mieux l’adepte des tweets. L’expression, réduite à quelques signes, est une excitation à la vocifération.

Avec cette injonction, la chasse à l’homme, aux hommes est déclarée ouverte. Il s’agit de jeter la suspicion sur la gent masculine dans son entier. Que les hommes tremblent, tous - non pas tous d’ailleurs, seulement les mâles blancs hétérosexuels – tous, parmi ceux-ci, étant susceptibles de se retrouver accrochés au tableau de chasse de ces dames ! Libre à chacune de définir ses critères. Vous croyez que la condition des femmes s’est améliorée ? Que nenni ! L’homme est par nature – notons que cette nature partout congédiée retrouve ici son empire - et par culture – car en dépit des apparences, notre société demeurerait une société de type patriarcal - un prédateur et la femme son éternelle victime. Tel est l’enjeu de ce grand déballage, de cette nauséabonde curée : convaincre, grâce à cette caisse de résonnance incomparable qu’est l’Internet, que loin d’être une exception, Weinstein est la vérité du mâle autrement dit, asseoir dans les esprits que l’équation homme/porc serait parfaite. Quelle délectation, jubilation de pouvoir ainsi jeter en pâture les hommes, et ce à une échelle inédite. En comparaison, les lettres de délation sous l’Occupation, c’était de l’artisanat !

Haine des hommes, ressentiment, vengeance, les passions les plus viles sont ici réunies. Jamais l’internet n’a si bien porté son nom de poubelle de l’histoire. Parler, avec Brigitte Macron, du « courage de ces femmes qui témoignent », est une mascarade : quel courage faut-il quand on a avec soi le pouvoir médiatique, politique, culturel ?

La planète entière sera en outre informée, ce point n’est pas à négliger dans ce grand mouvement d’hystérie collective, que la France n’est pas, contrairement à sa réputation, ce pays qui, ainsi qu’on le disait encore après les attentats islamistes de novembre 2015 qui avaient décimé les terrasses des cafés parisiens des Xe et XIe arrondissements, se distingue par son art de la mixité des sexes. Au contraire, et l’accusation s’était déjà amplement répandue à la faveur de l’affaire DSK, la galanterie comme spécificité française serait à l’origine du mal, et de notre servitude volontaire. Ce vent, cette tempête, cette furie nous vient des Etats-Unis – de la même façon que la sommation à déboulonner nos statues de Colbert et à débaptiser nos établissements scolaires s’inspirait des événements de Charlottesville – l’objectif est bien de convertir la France aux mœurs américaines en matière de relation homme/femme.

Hélas, l’opération semble réussir, combien se dise frappé par le caractère « massif » du phénomène. Tant de femmes victimes de harcèlements et d’agressions sexuelles, qui l’auraient soupçonné ? Mais, précisément, de quoi parle-t-on ?

Il ne s’agit pas de nier, ni même de minimiser la réalité du viol, des agressions ou du harcèlement sexuels, mais il convient de ne pas tout confondre. Or, tout confondre est très exactement ce que recherche ce féminisme qui ne vit plus aujourd’hui que de la criminalisation des hommes. Si la notion de harcèlement, comme celle de sexisme, jouit d’une telle faveur, c’est qu’elle est une nébuleuse à l’enseigne de laquelle peuvent loger les réalités les plus floues.

Ce fameux chiffre qu’on ne cesse d’agiter «Harcèlement : 100% des femmes en ont été victimes». Si l’on se penche attentivement sur les articles et rapports qui conduisent à une telle conclusion, que constate-t-on ? La réalité est que 100% des femmes ont fait l'expérience d'un regard suggestif, d'une apostrophe flatteuse, d'un sourire enjôleur. Or, et c’est ce qui fâche au plus haut point les féministes et spécialement le Haut Conseil à l'Egalité, les femmes n'identifient pas spontanément et nécessairement ces signes à du harcèlement, ni l'homme sensible à leur charme à un agresseur.

Naïves que nous sommes, nous interprétons comme un hommage à notre féminité ce que nous devrions ipso facto identifier comme une offense!

Et c’est cela qu’il faut corriger. L'objectif de cette prétendue lutte est très exactement d’amener les femmes à voir dans ces actes des « comportements inappropriés », à prendre conscience qu’elles sont victimes – victimes, vous entendez, Mesdames ! – d’agressions. Corrélat : que les hommes, eux aussi, se l’entendent dire, qu’ils remisent au placard le jeu du désir, les hommages à la féminité, qu’ils ne regardent plus ni à gauche ni à droite, ignorent méprisent les êtres de chair (féminine) qui les entourent et se concentrent sur leurs écrans de smartphones et n’accordent plus leur(s) attention(s) qu’aux créatures virtuelles.

Bref, comprenons bien que tout cela vise à surveiller et punir les hommes en tant qu'ils s'obstinent à voir dans les femmes des femmes et à n'y être pas indifférents.

Et il est pathétique de voir certains hommes faire amende honorable, notamment pour le compte de la gent masculine à laquelle ils s’accusent d’appartenir. L’on songe au personnage de Basil Ramson dans les Bostonniennes de Henry James, roman qu’il faut absolument lire dans le contexte qui est le nôtre : « Vous m’avez convaincu. J’ai honte d’appartenir au sexe masculin ; mais je suis un homme, je n’y peux rien, et je ferai pénitence de la façon que vous voudrez »

Dans sa croisade contre le « harcèlement de rue », le gouvernement envisage de créer un nouveau délit sanctionné par la loi, « outrage sexiste ». Or où commence, où finit le sexisme ? Toute perception, toute pensée, toute exaltation de la dualité sexuelle est susceptible de tomber sous le coup de cette accusation. Il n'est pas inutile de rappeler que le mot de sexisme a été forgé sur le modèle du terme racisme. Il n'est donc pas fortuit qu'il en partage les dérives. De la même façon que se trouve assimilé à une attitude raciste tout attachement à la nation, à ses mœurs, à son histoire, à sa singularité et la hantise de la voir se dissoudre ; se trouve rangé sous le vocable de sexisme, toute attitude qui témoigne de l'attachement à une certaine idée du masculin, du féminin.

Aux Etats-Unis, l’anti-racisme a eu raison de la projection de Autant en emporte le vent Qui se hasarderait aujourd’hui à programmer en France, L’homme qui aimait les femmes de Français Truffaut ? Un homme qui passe son temps à reluquer les jambes des femmes mais, et c’est la magnifique scène d’ouverture, à l’enterrement duquel il n’y a que des femmes !

Les grandes consciences médiatiques osent espérer qu’à la faveur de ce grand déballage, on assiste à une « prise de conscience » ? Mais de quoi convient-il de prendre conscience ? Qu’un homme qui regarde une femme, un homme qui s’y risque auprès d’elle par quelques mots, quelques gestes est déjà coupable de harcèlement ? Arrêtons d’être les dupes de cette rhétorique. Dans quel monde veut-on nous faire vivre ? Celui annoncé par Vigny afin de mettre un terme à cette « lutte éternelle » entre l’homme et la femme dans La Colère de Samson:

« Se retirant dans un hideux royaume,

La femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome

Et se jetant, de loin, un regard irrité,

Les deux sexes mourront chacun de son côté ».

Notre temps est au puritanisme, il semble bien que le désir que l’homme et la femme s’inspirent réciproquement épouvante. La différence des sexes en est le ressort, en neutralisant cette différence, en criminalisant son exaltation, on escompte en venir à bout. Le rêve secret, de moins en moins secret, de notre temps, n’est-il pas de pouvoir se passer des hommes ? L’extension de la PMA aux couples de femmes et aux célibataires, ce que l’on requalifie non sans raison, de PMA sans père, ne s’inscrit-elle pas dans ce triste horizon ?

Cette idéologie puritaine trouvera bientôt sa traduction juridique, on ne peut que le déplorer. Toutefois, la vie des hommes (au sens générique que ce mot recèle encore pour moi, la vie des hommes et des femmes donc) n’est pas seulement ordonnée par la loi écrite, elle est également réglée par cette loi non écrite que sont les mœurs d’une nation. La galanterie est un des très grands charmes de la civilisation française. Alors, soutenus par Montesquieu, gardons espoir : « Un peuple, disait le philosophe, connaît, aime et défend toujours plus ses mœurs que ses lois. »

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