01 juillet 2017

LGV Tours Bordeaux : derrière les inaugurations, des grimaces et des dettes colossales


La politique française est un art délicat de plomberie spécialisée qui consiste à assembler de fines et nombreuses tubulures chromées pour acheminer l’argent de la poche des contribuables (vous) vers la poche de certains électeurs, certains industriels et certains élus. Une méthode pratique pour la mise en place de ces tubulures consiste à construire des routes, des ponts, et, bien sûr, des lignes de chemin de fer.

Or actuellement, question lignes, la France est servie.

Il y a, bien sûr, ces innombrables lignes utilisées tous les jours par les Français pour (tenter de) retrouver leur lieu de travail, pour rejoindre parents, amis ou lieux de villégiature, entre deux grèves de l’un des paléo-syndicats qui gangrènent la société nationale plus ou moins en charge des infrastructures et des petits véhicules qui roulottent un peu dessus. Rien que ceci représente déjà des milliards d’euros en fonctionnement, en chiffres d’affaires et en gabegies diverses et variées qu’il serait oiseux de détailler ici (le billet n’y suffirait pas).

Mais il y a surtout ces nouvelles lignes qui poussent quasiment comme des champignons et visent à faire de la France un pays décidément plus ferroviaire. C’est ainsi que depuis quelques années, on assiste – un peu inquiet en tant que contribuable – à l’augmentation quasi-frénétique du rythme des lancements de projets et aux inaugurations de LGV, ces lignes à grande vitesse qui, d’ailleurs, défraient régulièrement la chronique par leur tracé, leurs rebondissements politiques et, bien évidemment, leurs dépassements budgétaires sans lesquels la délicate plomberie évoquée en introduction ne serait plus vraiment aussi féerique.

 
Sur le plan politico-économique, l’une de ces LGV se distingue déjà par un joli passif : la Ligne Grande Vitesse Tours-Bordeaux rentre dans l’Histoire aussi doucement qu’un petit papillon (aux effets proverbiaux) et aussi délicatement qu’une charge d’éléphants dans les finances publiques.

En 2008, j’évoquais déjà cette réalisation, alors que l’Etat se montrait réticent à participer à son financement et laissait alors la région Poitou-Charentes se dépatouiller pour trouver les fonds. Grossière erreur pour l’exécutif d’alors (sarkozien, je vous le rappelle) qui eut fort à faire pour batailler contre Ségolène Royale, alors présidente de la région, Éolienne Impériale remontée comme un coucou à l’idée que sa région puisse faire un gros chèque pour une telle prouesse technologique.

À l’époque, celle qui deviendrait la Reine des Neiges en 2017 entrait en campagne régionale et devait donc se rappeler aux électeurs locaux en proclamant la nécessité d’une rigueur budgétaire que cette LGV éloignait brusquement. Las. Le temps et la réalité ont bien vite rattrapé la Fossoyeuse d’Heuliez et même si, en 2011, elle remettait le couvert, la ligne fut belle et bien construite. Quant aux finances de la région Poitou-Charentes et la rigueur budgétaire dont se gargarisait alors Ségolène Royal, elles furent très vite oubliées.

Pourtant, dans le fond et aussi improbable cela puisse-t-il paraître, Ségolène avait raison.

Comme je le détaillais dans un article de 2015, plusieurs éléments permettent déjà d’affirmer que cette maâagnifique prouesse technique qui mettra Bordeaux à deux heures de Paris (et permettra donc à Juppé de venir tympaniser trop plus souvent les Parisiens) n’a que très peu de chance d’être un jour rentable : embarquée plutôt nolens que volens dans l’aventure et sur des prévisions de trafic trop optimistes puisqu’établies avant la crise et avant la hausse de TVA, la SNCF prédit déjà une perte de l’ordre de 200 millions d’euros par an au cours des premières années d’exploitations. Entre la concurrence de la route (covoiturage, cars « Macron ») et l’air, cette ligne semble déjà bien mal partie. À ceci s’ajoute évidemment la toxicité générale des montages financiers entre l’Etat et les collectivités, plus – bien sûr – les inévitables PPP, les « partenariats public privé », dont la recette reste invariablement la même et le résultat aussi désastreux.

 

Deux années et quelques gros milliards joufflus plus tard, c’est l’inauguration de ce chef-d’œuvre d’ingénierie financière et politique… qui semble se solder dans la douleur. À quelques jours de la mise en service (prévue le 2 juillet, au milieu d’un énième mouvement de grève SNCF national), les collectivités locales n’ont pas versé 350 millions d’euros sur les 1,3 milliards prévus pour financer le monstre.

Eh oui : la ligne n’a pas encore ouvert qu’on sent déjà que, comme prévu, ce sera un four financier calamiteux. D’ailleurs, le mot « faillite » est déjà susurré qui permettrait à Liséa, la filiale de Vinci gestionnaire des travaux, de s’en sortir malgré tout à bon compte de ce traquenard étatique.

L’avenir étant, par définition, assez difficile à connaître, il serait hasardeux de crier tout de suite défaite en rase campagne. Peut-être les prévisions de trafic, parfaitement fantaisistes à l’heure actuelle, se révéleront exactes dans quelques années, sauvant brillamment le projet. Peut-être les petites boutiques, les wagons-restaurant, l’attractivité naturelle de la région bordelaise, les horaires ciselés, les tarifs attractifs et les grèves surprises de la SNCF subjugueront plus de 20 millions de gogos touristes qui permettront aux régions et à l’État de rentrer dans leurs frais. Peut-être.

 

En attendant, difficile de ne pas voir l’avalanche de similitudes entre cette LGV et un autre projet pharaonique que les politiciens tentent de nous vendre à grand frais depuis des lustres.

L’aéroport Notre-Dame-Des-Landes correspond en effet assez bien au schéma illustré par cette LGV : de la grosse connivence capitalistique avec un acteur majeur du BTP, une réalisation amplement barbouillée de ces partenariats public-privé dont on sait déjà qu’ils terminent en catastrophes financières fumantes, une étude d’impact dont les chiffres sont si outrageusement favorables à la réalisation qu’on frise la pornographie politico-économique, et un besoin réel si éloigné de ce que prétend apporter le projet qu’on sait – avant même que le premier avion se soit posé sur la moindre piste de ce bidule – que le contribuable va, une nouvelle fois, se retrouver en slip pour de nombreuses années.

Si l’on y ajoute le mix improbable d’élus locaux qui trépignent d’impatience (depuis les années 70 !) pour qu’enfin soit lancé ce projet, qu’on sait pertinemment que les deux aéroports actuels de Nantes et de Rennes ne seront jamais fermés (trop d’emplois perdus, mon brave monsieur), on ne peut que voir se profiler un beau désastre que toutes les boutiques duty-free du beau projet ne pourront éponger.

Pourtant, on y va, guilleret. Comme la LGV Tours-Bordeaux, le contribuable français de toutes les régions sera mis à contribution pour ce magnifique gloubiboulga financier. Alors que l’Etat français croule sous les dettes, que les collectivités locales ploient sous les emprunts (parfois toxiques) et les échéances de remboursement de plus en plus salées, alors que le contribuable est déjà largement pressuré de toutes parts pour alimenter ces projets pharaoniques décidés unilatéralement par la classe politique, rien ne semble arrêter la marche du progrès.

Que voulez-vous, c’est aussi ça, le capitalisme de connivence, l’étatisme et le socialisme à tous les étages : des idées si géniales qui faut absolument les imposer. 

H Seize
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