14 juin 2017

Sécheresse en Ethiopie


La hutte est minuscule et délabrée, le vent chaud passe au travers. Bisharo Choukiri n’a presque plus rien. De maigres possessions et cinq chameaux. Et la cinquantaine d’autres, les quatre cents chèvres et les quarante moutons ? Morts, « les uns après les autres. Avant, j’étais riche. Maintenant, je n’ai plus rien », soupire cette grande dame maigre, mère de neuf enfants, le visage entouré d’un foulard.
Autour d’elle, des centaines de huttes et de tentes recouvertes de plastique et de bouts de tissu forment le camp de Yohob dans la région Somali, dans le sud-est de l’Ethiopie, où s’entassent des milliers de déplacés de la sécheresse en ce printemps.

La région Somali, qui compte plus de 5 millions d’habitants, n’a pas toujours été une terre d’accueil. Frontalière de Djibouti et de la Somalie, elle a longtemps été le théâtre d’une insurrection sanglante menée par le Front national de libération de l’Ogaden (FNLO). Ce groupe séparatiste, aujourd’hui qualifié de « terroriste » par le gouvernement éthiopien, s’est constitué après la guerre de l’Ogaden, vieille de quarante ans, qui opposait la Somalie du président Siad Barre à l’Ethiopie de Mengistu Haïlé Mariam, finalement victorieuse.

Sédentarisation forcée

La situation sécuritaire dans la région, troublée ces derniers mois par des affrontements entre les ethnies Somali et Oromo, à la frontière des deux régions éponymes, a entraîné le déplacement de milliers de personnes. Mais c’est la sécheresse, touchant toute l’Afrique de l’Est, qui est désormais la cause principale de la sédentarisation forcée des éleveurs nomades. Ceux-là seraient 300 000, dispersés dans des camps de la région Somali, l’une des plus touchées, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Au début de l’année, 5,6 millions d’Ethiopiens avaient besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Ils sont désormais près de 7,8 millions.

Dans le camp de Yohob, « il y a trop de gens, pas assez de matériel, de couvertures, d’assiettes », déplore un voisin de Bisharo, Adjir Abdi, qui a vu mourir ses bêtes les unes après les autres. Il lui faudra des années pour reconstituer son troupeau. « Avant, je n’étais dépendant de personne. Maintenant, je suis dépendant de l’aide du gouvernement », dit-il recroquevillé sous sa tente, l’air désabusé.

Après des années d’échec et de famines meurtrières, l’Ethiopie a pris la mesure du désastre. Certains de ses voisins peinent à gérer la catastrophe humanitaire à laquelle ils font face, comme le Soudan du Sud, la Somalie ainsi que l’une de ses provinces, le Somaliland, qui a déclaré son indépendance il y a plus d’un quart de siècle, mais n’est toujours pas reconnu par la communauté internationale. Le gouvernement éthiopien, lui, est en première ligne de la réponse à la sécheresse.

Malnutrition sévère

Chaque année, et depuis douze ans, 8 millions de personnes vulnérables obtiennent des denrées ou de l’argent en échange de travaux communautaires, dans le cadre d’un programme de filet de sécurité productif financé notamment par la Banque mondiale. En 2016, lors de la sécheresse liée au phénomène climatique El Nino, la « pire depuis trente ans » selon l’ONU, le gouvernement a alloué 766 millions de dollars (710 millions d’euros) de son budget pour aider plus de 10 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire à travers le pays. Mais cette année, le gouvernement n’a plus les mêmes moyens : il n’a débloqué que 47 millions de dollars. Au total, le pays a besoin de 742 millions de dollars.

A l’hôpital de Werder, une bourgade poussiéreuse en plein cœur de la région Somali, le directeur général Omar Osmane n’a « jamais vu autant d’enfants malnutris. Chaque année, c’est pire », dit-il. Les soignants ont dû installer des tentes supplémentaires pour répondre à l’afflux de patients. Sous l’une d’elles, les mères ont le regard vide. Des bébés crient, d’autres somnolent sous des moustiquaires. Assise sur un tapis, Faria Korane, 30 ans, porte sur ses cuisses sa petite fille d’un an et demi, Bisharo, qui souffre de malnutrition sévère, et dont la sœur jumelle est déjà « morte du choléra ». « J’ai peur, elle est faible », dit-elle. Au total, plus de 300 000 enfants éthiopiens de moins de 5 ans présentent un risque de malnutrition aiguë sévère en 2017, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). 

« Une crise de régime »

Malgré la gravité de la situation, l’information est passée quasi inaperçue, éclipsée par d’autres crises humanitaires qui frappent la région, où l’Ethiopie semble plus résiliente. Le gouvernement n’aime pas non plus s’épancher sur le sujet. « L’Ethiopie a peur de voir son image entachée par la sécheresse », affirme un diplomate européen. A l’étranger d’abord, où elle soigne sa réputation de puissance économique et d’allié stratégique dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Est. Dans son propre pays aussi, où les manifestations qui ont eu lieu de novembre 2015 à octobre 2016, date de l’instauration de l’état d’urgence, toujours en vigueur, ont sérieusement écorné son image de stabilité. Le moindre faux pas, la moindre faiblesse pourraient conduire à « une crise de régime », analyse un observateur avisé de la politique éthiopienne. Alors, l’information est sous contrôle.

Deux employés d’agences du gouvernement nous ont accompagnés lors de ce reportage, nous sommant de prendre en photo les distributions de vivres. S’aventurer dans les villages plus reculés, et moins accessibles, ne faisait en revanche pas partie du programme. Officiellement, parce que notre lettre de mission – souvent requise hors de la capitale – n’était pas assez précise à leurs yeux. Officieusement, parce que s’y rendre aurait contrarié la rhétorique du « tout est sous contrôle » ?

Le gouvernement éthiopien n’a qu’une obsession : montrer un Etat fort capable de nourrir son peuple. Car les visages émaciés, la famine « biblique » des années 1980, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts, ne sont plus à l’ordre du jour, s’obstinent à rappeler les autorités. Même les humanitaires rechignent à s’éloigner du discours officiel. Par crainte de subir des pressions, et de voir ainsi leur travail sur le terrain entravé, ont confié plusieurs d’entre eux. Difficile donc de savoir combien de personnes ne bénéficient pas de l’aide dans ce vaste territoire. 

« Détérioration rapide de la situation »

Début avril, les autorités ont toutefois admis qu’une épidémie massive de « diarrhée aqueuse aiguë » frappe la zone de Dolo, à la frontière avec la Somalie. Il s’agit d’un symptôme du choléra, un mot considéré tabou par les autorités qui l’ont banni de leur vocabulaire. Depuis le début de l’année, 16 000 personnes ont été touchées, et 3 500 nouveaux cas sont enregistrés par mois, d’après les autorités locales. Lors d’une conférence de presse mi-avril, le ministre éthiopien de la santé a confirmé qu’il y avait eu « des morts », sans en préciser le nombre. Le transport d’eau par camion-citerne, le moyen de distribution le plus usité, fait désormais l’objet d’une vigilance accrue.

D’autant qu’après plusieurs saisons consécutives sans une goutte d’eau, la pluie est finalement tombée dans certaines zones de la région Somali, pouvant constituer « un terrain propice à la propagation » d’une telle épidémie, d’après Susanne Carl, directrice de programme adjointe chez Oxfam. « Tous les acteurs concernés doivent suivre de près la situation », prévient-elle.

Pour Samir Wanmali, directeur adjoint du Programme alimentaire mondial (PAM) en Ethiopie, ces chocs climatiques n’en sont plus. « Ils sont devenus la norme », alerte-t-il. « Sans une injection urgente et importante de financements internationaux, l’Ethiopie verra une détérioration rapide de la situation », a alerté son agence début mai. Malgré ce cri d’alarme, la commission éthiopienne chargée de la gestion des risques de catastrophes a de son côté affirmé disposer de « réserves suffisantes » pour couvrir les besoins des populations touchées jusqu’à la fin du mois de juin. Cette fois encore, « tout est sous contrôle ».

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