12 juin 2017

Poutine, Trump et mon gars Macron


Le président français est applaudi pour son franc-parler envers son homologue russe, mais derrière les effets de communication, les signes d’un nouvel alignement sont perceptibles…

La rencontre face à face de trois heures entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron de Versailles a offert un exemple fascinant de théâtre d’ombres géopolitique.

Macron est allé jusqu’à dire : « Aucun problème majeur dans le monde ne peut être résolu sans la Russie. » Sur la guerre de Syrie, qui était au premier plan de leur rencontre, il a dit qu’elle demande « une solution politique inclusive ». Sur le terrorisme, son hôte disait pour sa part : « Il est impossible de détruire la menace terroriste par le démantèlement des structures étatiques de ces pays qui souffrent déjà de problèmes et de conflits internes. »

Cela ne ressemble pas vraiment au schéma habituel des élites occidentales. Plutôt à une légère variante de 300 ans de diplomatie franco-russe.

Poutine et Macron se sont réunis pour inaugurer une exposition au Grand Trianon de Versailles, en partenariat avec le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, qui célèbre le 300e anniversaire de la visite de Pierre le Grand en France – qui s’était avérée l’un des socles d’un brassage culturel et politique complexe.

Pierre ne s’était pas seulement inspiré du palais royal de Versailles pour sa nouvelle capitale, Saint-Pétersbourg, il avait également modernisé tout l’empire, à l’aide de nombre d’idéaux des Lumières qui avaient commencé à s’enraciner en France. C’est sous Pierre le Grand que les Russes ont pris l’empreinte indélébile d’une identité européenne.

Les liens avec la conjoncture géopolitique actuelle augmentent l’attractivité de la rencontre de Versailles.

Le forum économique de Saint-Pétersbourg – où quelques-uns des PDG de grandes compagnies européennes ont parlé de business avec la Russie – a eu lieu la semaine dernière.

Ces dernières semaines, un sommet de l’OTAN à Bruxelles et un sommet du G-7 à Taormine a dévoilé de profondes divisions sur le front occidental, en opposant ouvertement l’UE à Donald Trump.

Dire que la vaste bureaucratie de l’UE a été horrifiée est un euphémisme. Dans des endroits comme l’Egmont – L’Institut royal pour les relations internationales de Bruxelles – le consensus pouvait être résumé comme suit : les Européens n’auraient d’importance que s’ils plaçaient une commande de 100 milliards de dollars en matériel militaire américain (chacun, bien sûr), et arrêtaient de pleurnicher sur le climat.

Comme cela ne se produira pas, la lettre de la loi est que chaque membre de l’OTAN doit dépenser 2% de son PIB en défense militaire, et la « méchante, méchante » Allemagne doit cesser de vendre des voitures aux USA.

Rien d’étonnant si un point de vue commun à l’UE ne demande qu’à émerger après des discussions internes sérieuses, selon lequel la seule sortie pour l’UE consistera à se reprendre et à mettre de l’ordre dans ses affaires – politiquement, économiquement et militairement.

Et c’est au duo franco-allemand de montrer le chemin vers une réelle autonomie stratégique de la région.

C’est la signification de l’extraordinaire déclaration de la chancelière Angela Merkel : « L’époque où nous pouvions entièrement dépendre des autres est finie. Cela, je l’ai expérimenté au cours de ces derniers jours. Nous, Européens, devons prendre notre destin en main. »

Ceci suggère qu’il y a non seulement quelques icebergs qui bloquent les canaux atlantiques, mais que doit également se produire une réévaluation sérieuse de la relation de l’UE avec la Russie. (Aucun des plus gros entrepreneurs français ou allemands ne veut la poursuite des sanctions contre la Russie.)

Merkel n’aurait pas pu parler comme elle l’a fait, si elle n’était pas totalement soutenue à l’intérieur, et préparée à placer la puissance économique de Berlin à l’avant-garde de cette « réforme ».

C’est là que se situe la réelle importance de cette démonstration d’insignifiance qu’était le G-7 de Taormine.

Et c’est là qu’Emmanuel Macron entre en piste.

Tous saluent le philosophe roi

Les médias aux ordres français – qui sont largement contrôlés par une poignée d’intérêts bancaires, financiers et de télécoms – sont devenus gâteux sur la prise en main par Macron de ce qui est, de facto, une « monarchie présidentielle ».

Seuls les naïfs indécrottables nieraient que Macron était le candidat des élites atlantistes mondialisées, esclaves des diktats du système financier. En bonus, il suit aussi la ligne russophobe standard avec application – par exemple avec ses charges contre Moscou, qui poursuivrait « une stratégie hybride, en combinant l’intimidation militaire et une guerre de l’information ».

Macron a habilement été vendu comme « un outsider » – pourtant, il est soutenu par la liste A des insiders français. Ses membres comprennent les Rothschild, l’Institut Montaigne ; la Fondation Saint-Simon, le think tank Terra Nova, le géant des assurances AXA ; Jacques Attali ; Alain Minc ; le patron de LVMH Bernard Arnault (qui détient également des médias) ; et le milliardaire des médias et des télécoms Patrick Drahi.

C’est, selon un membre des élites cité par Le Monde, un fantasme devenu réalité pour les membres du Siècle – le principal club des élites de Paris : un gauchiste qui applique une politique pro-business.

D’autres traits rendent le « projet Macron » encore plus attractif. Parce qu’il a étudié la philosophie et qu’il était l’un des assistants du révéré Paul Ricoeur, Macron a été salué comme philosophe roi dans la tradition platonicienne. Et c’était avant sa première performance sur l’arène mondiale – oui, la Bataille entre Mâles Alpha de la Poignée de Main avec Trump.

De mieux en mieux : selon des intellectuels macronites en extase, il combinerait l’ambition brûlante d’un Alcibiade – un général athénien précocement doué, avec un penchant pour les manœuvres politiques – avec la sagesse de Socrate. Au moins, ils semble que Macron préfère lire, plutôt que tweeter et répéter des phrases lapidaires dictées par des sous-fifres.

Il est toujours éclairant de se souvenir que le philosophe roi, tel que Platon l’avait conçu, n’avait pas grand-chose d’un démocrate. Après tout, Platon considérait « le peuple » à peu près comme une « énorme bête », emplie de passions irrationnelles et indigne de comparaison avec la primauté du savoir adoptée par un amoureux des idées.

L’ambition débridée de Macron ne doit pas être sous-estimée. Poutine, un maître en matière d’astuce, l’a repérée à Versailles. Trump a tenté de le charmer, en l’appelant « mon gars » pendant la course présidentielle. Macron, décrit par son entourage comme suprêmement sûr de lui, est certain de charmer/entraîner Merkel – possiblement de toute façon une quantité dévaluée – dans un rôle de philosophe roi « Leader de l’Occident ».

Rien d’étonnant si Macron est une superstar de l’UE. Il est vu comme un sauveur, parce qu’il incarne leur vœu pieux numéro un : un jour, dans l’UE, dans l’ONU, dans le G-7, et même dans l’OTAN, les Européens mondialisés seront unis en matière de défense, de commerce, et d’affaires étrangères – et d’intérêts personnels respectifs.

Pepe Escobar

Traduction entelekheia.fr
Vu ici

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