02 juin 2017

D’Alexandre Soljenitsyne à Michel Onfray


Les étudiants de Harvard ont eu droit à un pitoyable discours du fondateur de Facebook sur le confort, plutôt que sur l’audace, l’aventure et le courage.

Chaque époque se fabrique les héros qu’elle peut. Et le choix de ceux-ci en dit long sur la nature et les travers des temps que nous vivons. Tous les ans, à la fin du cursus scolaire, l’université Harvard fait venir une personnalité exceptionnelle afin de prononcer un grand discours avant la remise des diplômes aux étudiants qui vont entrer dans la vie active. Il y a soixante-dix ans, c’était George Marshall, le ministre des Affaires étrangères américain, qui avait été choisi par le doyen de l’université. Et il avait profité de cette tribune pour dessiner les contours de son plan, devenu fameux, destiné à reconstruire l’Europe. Il y a dix ans, c’était Bill Gates, le fondateur de Microsoft, qui avait fait un long plaidoyer pour la lutte contre les injustices sur la planète. Cette année, c’est Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, qui a été choisi pour donner aux diplômés de cette prestigieuse université, dont il a été l’étudiant dissipé, une sorte de leçon de vie. Pour tous ceux qui ont encore en tête le merveilleux discours qu’Alexandre Soljenitsyne fut invité à prononcer sur ce campus, en 1978, le décalage entre les deux textes est tellement impressionnant qu’il en dit long sur l’état moral de l’Amérique.

Un discours digne d’un Benoît Hamon de petit calibre

Il n’est pas question ici de nier le talent de Mark Zuckerberg, 33 ans, qui a construit un empire numérique lui conférant une fortune de 56 milliards de dollars. Facebook, son entreprise, qu’il a créée alors qu’il était encore à Harvard, est désormais un phénomène planétaire qui permet à un quart de la population mondiale d’échanger des informations, de converser ou de partager des photographies. Cela étant, le discours de Mark Zuckerberg à ses jeunes congénères a été d’une pauvreté intellectuelle et morale dramatique. Au lieu de les inciter à prendre tous les risques, comme l’avait fait Steve Jobs, le patron d’Apple, plutôt que de leur parler des vertus de l’imagination comme J.K. Rowlings, la créatrice de Harry Potter, il leur a demandé de se battre afin que chaque Américain ait droit au confort, à un revenu minimum universel et à une couverture santé étendue. Son discours digne d’un Benoît Hamon de petit calibre — c’est dire ! — a été accueilli avec une certaine froideur par les étudiants, qui attendaient qu’on leur parle d’audace, d’aventure et de courage.

Quel contraste avec le magistral discours de Soljenitsyne prononcé à Harvard, il y a presque quarante ans. Tellement remarquable qu’il a été publié sous le titre le Déclin du courage. L’auteur de l’Archipel du goulag s’était attaqué d’emblée au confort de la société américaine : « Le désir permanent de posséder toujours plus et d’avoir une vie meilleure, et la lutte en ce sens, ont imprimé sur de nombreux visages à l’Ouest les marques de l’inquiétude et même de la dépression. » Et lui qui venait de trouver refuge aux États-Unis de déclarer, à l’inverse d’un Zuckerberg aujourd’hui, que la recherche du confort tue la part d’humanité qui est en nous :

Si l’homme, comme le déclare l’humanisme, n’était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette terre n’en devient que plus spirituelle.

Et de conclure : « Ce n’est que par un mouvement volontaire de modération de nos passions, sereine et acceptée par nous, que l’humanité peut s’élever au-dessus du courant de matérialisme qui emprisonne le monde. » Tout ce discours est aujourd’hui remis à l’honneur par la philosophe Bérénice Levet, qui dénonce le progressisme et démontre l’importance des traditions pour n’importe quel être humain. Et la tiédeur des étudiants de Harvard à l’écoute des banalités prononcées par Mark Zuckerberg nous montre heureusement que la jeunesse d’aujourd’hui recherche davantage l’idéalisme que le matérialisme ou le progressisme. Comme en témoigne Michel Onfray, dans l’entretien qu’il nous a accordé, c’est là que se joue l’avenir de notre civilisation.

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