17 mai 2017

L’ouverture des frontières est une atteinte à la propriété privée


Que nous parlions de l’immigration clandestine venue du Mexique ou d’Amérique centrale, de la nationalité par « droit du sol », ou encore des immigrés venus du Proche-Orient et d’Afrique, le sujet de l’immigration redevient d’actualité, et est très largement discuté depuis déjà plusieurs mois. C’est un problème aux conséquences potentiellement périlleuses, et il est donc particulièrement important pour les libertariens de le comprendre correctement. Ce Mises Circle, dévoué au chemin que nous devrions suivre aujourd’hui, semble être le moment opportun pour discuter de cette question importante.

J’aimerais tout d’abord préciser qu’en tentant de rechercher une réponse correcte à ce problème vexant, je n’ai pas l’objectif de faire preuve d’originalité. Bien au contraire, je tire une grande partie de ce qui suit de deux personnes dont le travail est indispensable à une bonne compréhension du principe de société libre : Murray N. Rothbard et Hans-Hermann Hoppe.

Certains libertaires sont d’avis que l’opinion libertaire correcte sur la question de l’immigration devrait être l’ouverture des frontières, ou la liberté totale de mouvements entre les peuples. Superficiellement c’est tout à fait correct : il est clair que nous souhaitions que les gens puissent se déplacer à leur gré.

Mais attendez une minute. Et réfléchissez à la liberté d’expression, un autre principe que les gens associent pour beaucoup aux libertaires. Croyons-nous vraiment en la liberté d’expression en tant que principe abstrait ? Cela signifierait que n’importe qui aurait le droit d’hurler dans une salle de cinéma, d’interrompre une messe ou de venir chez vous vous crier des obscénités au visage.

Ce en quoi nous croyons, ce sont les droits de propriété privée. Personne n’a de liberté d’expression sur ma propriété, puisque c’est moi qui y établi les règles, et qu’en situation de dernier recours, je suis en droit de chasser quelqu’un hors de chez moi. N’importe qui peut dire ce qu’il veut sur sa propriété, ou sur celle de n’importe qui daigne l’écouter, mais pas sur la mienne.

Le même principe est applicable à la liberté de déplacement. Les libertaires ne croient pas abstraitement en ce principe. Je n’ai aucun droit de pénétrer sur votre propriété, au sein de votre communauté murée, dans votre parc Disney, sur votre plage privée ou sur l’île privée de Jay-Z. Pour ce qui est de la liberté d’expression, la propriété privée est une fois encore un facteur clé. Je peux vivre sur n’importe quelle propriété qui m’appartient ou dont le propriétaire accepte de me recevoir. Je ne peux pas aller où je veux.

Si tous les terrains du monde étaient privés, la solution à l’immigration serait évidente. Il serait plus correct encore de dire qu’il n’y aurait pas de problème d’immigration. Tous ceux qui désireraient déménager quelque part devraient d’abord obtenir l’autorisation du propriétaire du nouveau terrain.

Quand l’Etat et sa fameuse propriété privée entrent en jeu, les choses peuvent se compliquer, et il faut aller plus loin encore pour comprendre la position libertaire. C’est ce que je tenterai de faire aujourd’hui.

Peu de temps avant sa mort, Murray Rothbard a publié un article intitulé Nations by Consent: Decomposing the Nation State, dans lequel il se penche sur l’idée que le libertarianisme nous soumette au principe de frontières ouvertes.

Il souligne par exemple le grand nombre de Russes que Staline a installés en Estonie. Cette immigration n’a pas eu lieu pour que les habitants des Baltiques puissent profiter des fruits de la diversité. Ce n’est jamais le cas. L’objectif de l’opération était la destruction d’une culture existante, une opération qui dans le même temps a rendu un peuple entier plus docile et moins susceptible de poser problème à l’Empire soviétique.

Murray s’est demandé si le libertarianisme nous impose de défendre ce genre d’évènements, ou même de les célébrer. Y-a-t’il plus encore derrière la question de l’immigration ?

Murray a présenté le problème comme je l’ai aussi fait : dans une société basée sur la propriété privée, les gens doivent être invités sur la propriété sur laquelle ils pénètrent ou s’installent.

Si chaque parcelle de terrain appartenait à une personne, à un groupe ou à une corporation, personne ne pourrait y entrer sans invitation préalable et sans autorisation d’acheter ou de louer. Un pays entièrement privatisé serait tout aussi fermé que le désireraient ses propriétaires particuliers. Il semble donc clair que le régime de frontières ouvertes qui existe de facto aux Etats-Unis et en Europe de l’ouest revienne à une ouverture organisée par l’Etat centralisé et en charge des routes et des lieux publics, et ne reflète pas les souhaits des propriétaires.

Dans la situation actuelle, les immigrants ont d’autre part accès aux voies publiques, aux transports publics, aux bâtiments publics et ainsi de suite. Combinez cela aux autres enfreintes à la propriété privée commises par l’Etat, et la conséquence en est des transformations démographiques artificielles qui ne se produiraient pas sur un marché libre. Les propriétaires sont forcés de s’associer et de faire affaires avec des individus qu’ils préfèreraient parfois éviter.

« Les propriétaires de domaines commerciaux tels que des magasins, hôtels et restaurants ne sont plus libres d’exclure ou de restreindre l’accès à leur propriété. Les employeurs ne peuvent plus recruter ou licencier qui ils veulent. Sur le marché de l’immobilier, les propriétaires ne sont plus libres d’expulser des locataires indésirables. De plus, ces contrats restrictifs s’engagent à accepter des membres et des actions susceptibles d’être en violation avec leurs propres règles et régulations. »

Hans continue :

En admettant quelqu’un sur son territoire, l’Etat autorise également à cette personne d’utiliser ses voies publiques et les lieux publics situés aux portes de la propriété de ses résidents domestiques, d’utiliser les services et infrastructures publics (hôpitaux et écoles, entre autres) et d’accéder aux établissements commerciaux, au marché de l’emploi et aux logements résidentiels, avec la protection d’une multitude de lois antidiscriminatoires.

Exprimer de l’inquiétude pour les propriétaires n’est pas chose à la mode, mais que ce principe soit populaire ou non, une transaction entre deux individus ne devrait pas avoir lieu sans le consentement de ces deux derniers. C’est là l’essence même du principe libertaire.

Afin de donner du sens à tout ça et d’en arriver à une conclusion appropriée, il nous faut observer de plus près ce qu’est réellement la propriété publique et qui peut être considéré son propriétaire de droit. Hans a dévoué une partie de son travail à la résolution de cette question. Deux positions doivent être rejetées : l’idée que la propriété privée appartienne au gouvernement, et l’idée que la propriété privée n’appartienne à personne et soit donc comparable à une terre dans son état naturel, avant que la propriété humaine ne soit établie.

Nous ne pouvons certainement pas dire que la propriété publique appartient au gouvernement, puisque le gouvernement ne peut pas légitimement posséder quoi que ce soit. Le gouvernement acquiert sa propriété par la force par l’intermédiaire des impôts. Un libertaire ne peut pas accepter ce genre d’acquisition de propriété comme étant moralement légitime, puisqu’elle implique l’usage de la force (l’extraction de taxes) contre des personnes innocentes. Ainsi, les prétendus titres de propriété gouvernementaux sont illégitimes.

Nous ne pouvons pas non plus dire que la propriété publique n’appartient à personne. Une propriété en possession d’un voleur appartient à quelqu’un, même si à ce moment précis, elle n’est pas entre les mains de son propriétaire de droit. La même chose peut être dite de la propriété publique, qui a été achetée et développée grâce à la monnaie saisie aux contribuables. Ils en sont les propriétaires véritables.

(C’est là la manière la plus correcte d’approcher la désocialisation des anciens régimes communistes d’Europe de l’est. Toutes ces industries étaient la propriété de ceux qui ont été pillés pour les construire, et ces gens auraient dû en recevoir des parts proportionnelles à leur contribution, si tant est qu’elle ait pu être déterminée).

Dans un monde anarcho-capitaliste, dans lequel toutes les propriétés appartiendraient à quelqu’un, l’immigration dépendrait du bon vouloir du propriétaire de chaque terrain. Aujourd’hui, en revanche, les décisions relatives à l’immigration sont prises par une autorité centrale, et les désirs des propriétaires sont ignorés. La manière la plus correcte de procéder est donc de décentraliser la prise de décisions relatives à l’immigration jusqu’à l’échelle la plus locale possible, afin que nous puissions prendre une position plus libertaire et donner aux propriétaires la possibilité de consentir aux mouvements des autres.

Ralph Raico, notre grand historien libertaire, a un jour écrit ceci :

L’immigration libre entre dans une catégorie différente des autres décisions politiques, dans le sens où ses conséquences altèrent radicalement et de manière permanente la composition du corps démocratique politique responsable de ces décisions. L’ordre libéral, au degré auquel il existe, est le produit d’un développement culturel hautement complexe. On pourrait par exemple se demander ce qu’il adviendrait de la société libérale qu’est la Suisse sous un régime de frontières ouvertes.

La Suisse est effectivement un exemple intéressant. Avant la naissance de l’Union européenne, les politiques d’immigration de la Suisse étaient très proches du système décrit ici. En Suisse, les localités décidaient de la question de l’immigration, et les employeurs avaient à payer pour recruter un immigrant. De cette manière, les résidents pouvaient s’assurer à ce que leur communauté soit peuplée de gens susceptibles d’apporter de la valeur à la société et qui ne les forcerait pas à régler leur facture d’aides sociales.

Bien évidemment, dans un système aux frontières ouvertes, les Etats-providence occidentaux se retrouveraient pris d’assaut par des étrangers à la recherche d’aides sociales. En tant que libertaires, nous devrions évidemment célébrer la chute de l’Etat-providence. Mais nous attendre à une adoption soudaine du laisser-faire comme conséquence directe de l’effondrement de l’Etat-providence est naïf.

Pouvons-nous en conclure qu’un immigrant devrait être considéré comme invité du simple fait qu’il ait été accepté par un employeur ? Non, nous dit Hans. Son employeur ne porte pas tout le poids de la responsabilité associée à son nouvel employé. Il externalise partiellement le coût de cet employé aux contribuables :

Équipé d’un permis de travail, l’immigrant a le droit de faire usage des infrastructures publiques : routes, parcs, hôpitaux, écoles. Et aucun propriétaire, chef d’entreprise ou associé privé n’est autorisé à discriminer contre lui en termes de logement, d’emploi et d’association. Même si cet immigrant a été invité par le biais d’un apport substantiel offert non pas par son employeur, mais par les autres propriétaires domestiques et contribuables qui n’ont pas eu leur mot à dire au cours du processus.

Ces migrations ne sont en clair pas les fruits du marché. Elles n’auraient pas lieu sur un marché libre. Ce dont nous sommes témoins, ce sont d’exemples de mouvements subventionnés. Les libertaires qui défendent ces migrations de masse comme si elles étaient un phénomène de marché ne font que contribuer à la destruction du marché libre.

En plus de cela, comme l’explique Hans, l’idée d’immigration libre n’est pas analogue au libre-échange, comme le pensent certains libertaires. Pour le cas des biens échangés depuis un lieu vers un autre, il y a toujours besoin d’un acheteur volontaire. La même chose n’est pas vraie pour l’immigration.

Aux Etats-Unis, il est de coutume de rire au nez de ceux qui nous mettent en garde face à l’immigration de masse. Certains politiciens ont fait des prédictions concernant l’immigration, nous dit-on, et nous avons tous que ces prédictions ne se sont pas concrétisées. Mais les vagues d’immigration dont il était alors question étaient toutes suivies d’une réduction substantielle de l’immigration, au cours de laquelle la société a pu s’adapter à ces mouvements pré-providence. Aucune réduction de ce type ne peut être attendue aujourd’hui. Il est une idée fausse de penser que parce que certaines personnes se sont trompées en prédisant une conséquence particulière, cette conséquence est aujourd’hui improbable, et tous ceux qui émettent des messages de précaution sont de simples idiots.

Le fait est que le multiculturalisme forcé par l’Etat présente des antécédents assez déplorables. Le XXe siècle est truffé d’échecs prévisibles. Qu’il s’agisse de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie, de l’Union soviétique, du Pakistan ou du Bengladesh, ou encore de la Malaisie ou de Singapour, ou des pays où minorités ethniques et religieuses se divisent jusqu’à ce jour, les preuves suggèrent quelque chose de bien différent du conte universel de la fraternité qui n’est en réalité qu’un élément du folklore gauchiste.

Il ne fait aucun doute que certains des nouveaux arrivants seront des personnes parfaitement décentes, malgré le manque d’intérêt du gouvernement à encourager l’arrivée d’immigrants capables et éduqués. Mais d’autres ne le seront pas. Les trois grandes vagues de crime de l’Histoire américaine – 1850, 1900 et 1960 – ont coïncidé avec des périodes d’immigration de masse.

La criminalité n’est pas la seule raison pour laquelle les gens pourraient légitimement vouloir s’opposer à une immigration de masse. Si quatre millions d’Américains se présentaient aux portes de Singapour, la culture du pays et sa société toute entière s’en trouveraient transformées. Il n’est pas correct de dire que le libertarianisme impose aux citoyens de Singapour de hausser des épaules et de dire que bien que leur société leur plaisait, toutes les bonnes choses ont une fin. Personne à Singapour n’accepterait un tel scénario, et tout le monde s’y opposerait activement.

En d’autres termes, être pillé, espionné et abusé par l’Etat est déjà suffisamment grave. Devrions-nous également payer pour le privilège du destructionnisme culturel, une conséquence que la vaste majorité des contribuables ne souhaitent absolument pas et s’efforceraient de contrer s’ils vivaient dans une société libre qui le leur permettrait ?

Les cultures avec lesquelles les immigrants viennent nous enrichir n’auraient pas pu se développer si elles avaient été constamment bombardées de vagues d’immigration venues de contrées aux cultures radicalement opposées. L’argument du multiculturalisme n’a aucun sens.

Il est impossible de croire que les Etats-Unis ou l’Europe seront des régions plus libres après des décennies d’immigration de masse ininterrompue. Au vu des tendances encouragées par l’Europe et les Etats-Unis, les conséquences de long terme seront le développement des circonscriptions jusqu’à une échelle si large qu’elles deviendront irrépressibles. Les libertaires qui soutiennent l’ouverture des frontières se gratteront la tête et décrèteront ne pas comprendre pourquoi leur promotion du marché libre a eu si peu de succès. Tous les autres connaîtront la réponse.

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