16 mars 2017

Les singes meurent par milliers au Brésil


En seulement deux mois, plusieurs espèces de primates ont disparu des forêts atlantiques du littoral brésilien, emportées par le virus de la fièvre jaune. La déforestation et la pire catastrophe écologique qu’ait connue le Brésil pourraient avoir favorisé cette épidémie sans précédent.

Sao Paulo (Brésil), correspondance

Les visiteurs et les scientifiques qui connaissent bien la réserve biologique de Santa Lucia, dans l’État d’Espirito Santo, ne retrouvent plus la forêt telle qu’ils la connaissaient il y a encore quelques mois : bruyante et animée des rires des titis, des petits singes sauteurs appelés « sauás » en Amérique du Sud. Les cris étranges et gutturaux des alouates, une autre espèce endémique de la région, eux aussi, se sont tus.

Depuis le mois de janvier, une équipe d’une vingtaine de chercheurs de l’université fédérale d’Espirito Santo « patrouille » dans les sous-bois de la forêt tropicale afin d’évaluer l’ampleur de l’épizootie. Sur leur chemin, ils se retrouvent impuissants devant les corps morts ou agonisants au pied des arbres des singes hurleurs. Le primatologue Sérgio Lucena, interviewé par le journal O Globo, rapporte que 600 carcasses ont été retrouvées en un mois dans la réserve et que cela ne constitue que 10 à 20 % du nombre réel d’animaux touchés par la maladie. Seuls ceux tombés à terre peuvent être comptabilisés, une grande partie restant cachée dans les hautes branches.

  
Les États d’Espirito Santo et Minas Gerais sont situés dans l’Est du Brésil (leur nom est souligné de rouge).

« Les singes sont plus vulnérables que les humains, car il n’existe pas de vaccin pour eux », explique le scientifique, qui a déjà pu observer des épisodes infectieux par le passé, « mais rien de comparable à ce à quoi nous assistons aujourd’hui ».

Victimes de la maladie, les singes sont aussi la cible de l’ignorance des hommes

Dans les régions centrales du Brésil, de la côte jusqu’à Brasilia, la peur de la fièvre jaune a entraîné une ruée vers les postes de vaccination. Le ministère de la Santé a annoncé fin février que depuis le début de l’année, 1.200 cas de fièvre jaune ont été recensés et qu’une centaine de personnes en étaient mortes. Bien qu’une grande partie de la population vivant dans les régions tropicales soit vaccinée, le ministère a fait livrer 14 millions de vaccins aux régions touchées. 

Les biologistes de l’université d’Espirito Santo procèdent à des relevés sanitaires.

Mais pour les singes, il est déjà trop tard. Victimes de la maladie, importée d’Afrique tout comme l’Aedes aegypti, le moustique tigre vecteur du virus, ils sont aussi la cible de l’ignorance des hommes. Par peur de la contamination, les locaux s’en prennent parfois aux primates en les chassant au fusil. « Les singes ne sont pas des vecteurs, ce sont les moustiques qui propagent la maladie », rappelle Sérgio Lucena, également professeur de biologie de la conservation des vertébrés à l’université fédérale d’Espirito Santo.

C’est le deuxième désastre en un an que connaît la forêt atlantique, entre les États de Minas Gerais et de l’Espirito Santo. Dévastée une première fois par une coulée de boue qui a emporté des arbres et détourné des rivières, la forêt tropicale est désormais désertée de ses habitants. Pour certains scientifiques, l’irruption de la maladie pourrait être liée à la catastrophe minière de novembre 2015, car elle aurait pu favoriser la prolifération de moustiques.

Toute la forêt est menacée de déséquilibre

« L’environnement a subi des changements très brusques qui ont un impact sur la santé des animaux, dont les primates », affirme la biologiste Marcia Chame, de la fondation Oswald-Cruz, l’Institut fédéral de recherches sur la santé publique. « Avec le stress de la catastrophe, le manque d’aliments, ils sont plus vulnérables aux maladies. C’est une des raisons possibles, mais c’est aussi une conjonction de facteurs. La déforestation oblige aussi les animaux à migrer, et cela augmente les risques de transmission », explique la scientifique au journal Estadão.

Les biologistes sont très préoccupés pour l’avenir des espèces de la région. « Celles qui sont déjà en danger vont être réellement menacées d’extinction. On l’observe déjà localement. Mais notre plus grande préoccupation est que l’épizootie se répande aussi dans les zones de préservation, qui devrait être normalement des refuges pour ces espèces », s’inquiète Sérgio Lucerna.

 Un singe hurleur (Alouatta guariba)

Les singes hurleurs (Alouatta guariba) sont les animaux les plus touchés, mais les capucins (Supajus nigritus) et les ouistitis à tête blanche (Callithrix geoffroyi), sans oublier les titis (Callicebus personatus) ne sont pas épargnés. Les muriquis (Brachyteles hypoxanthus), les plus grands singes d’Amérique du Sud et qui ne vivent que dans ces forêts du Brésil, semblent mieux résister à l’épidémie.

La vitesse de propagation de la fièvre jaune est aussi une grande inquiétude. Il est impossible de vacciner les animaux, et donc de freiner son expansion. Ainsi, c’est toute la forêt qui est menacée de déséquilibre, car les mammifères jouent un rôle important dans l’écosystème sylvestre. À l’heure actuelle, les scientifiques n’ont aucune idée des proportions dans lesquelles les animaux ont été atteints et de quand la maladie arrêtera son œuvre mortifère.

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