14 mars 2017

La pente irrésistible du suicide


Nous accueillons avec un grand intérêt et empressement cet article du Saker US, qui nous dit que la Grande République est engagée dans une séquence ralentie d’un seppuku, ou hara-kiri si vous comprenez ce qu’il veut et ce que nous voulons dire, et que le seul mystère subsistant serait celui de savoir qui assumera le rôle du kaishakunin, c’est-à-dire la personne qui tranche cérémonieusement la tête du martyre qui vient de s’enfoncer le sabre traditionnel dans le ventre. Sur ce dernier point (l’identité du kaishakunin), le Saker US ajoute cette réserve qui est à notre sens essentielle, bienvenue et tout à fait justifiée, — « en admettant qu’il y en aura un », – car il doit bien être entendu que la susdite Grande République peut éventuellement fort bien se passer de quelque aide que ce soit pour faire ce qu’elle a à faire.

Notre intérêt et notre empressement vient simplement, d’abord du fait que cette analyse rencontre parfaitement notre sentiment depuis longtemps, sur cette hypothèse de la course suicidaire des USA, en le renforçant du concept d’autodestruction que nous connaissons si bien (« the Empire is pursuing a full-spectrum policy of self-destruction on several distinct levels ») ; et ce sentiment, bien entendu, qui ne cesse de se renforcer jour après jour. Depuis de nombreuses années, nous développons cette analyse de la tendance suicidaire des USA et nous l’accompagnons régulièrement, depuis la première fois où nous l’avons cité (14 avril 2008), de la citation fameuse d’Abraham Lincoln devenue ainsi une sorte de leitmotiv :

« ...Effectivement, seul le désespoir de l’américaniste répond à ces constats qui prennent acte d’un malaise qui vient du fond de l’histoire américaine, d’un malaise qui était sans doute une partie de la substance de l’Amérique dès son origine. Assez curieusement, ou bien d’une façon absolument révélatrice au contraire, cette idée rejoint celle d’un discours célèbre de Lincoln, rappelé récemment par Greil Marcus dans son livre ‘L’Amérique et ses prophètes’. C’est le premier grand discours du jeune (29 ans) Abraham Lincoln en tant qu’homme public, alors qu’il vient d’être élu Représentant de l’Illinois, discours du début de 1838 à Springfield: “A quel moment, donc, faut-il s’attendre à voir surgir le danger [pour l’Amérique]? Je réponds que, s’il doit nous atteindre un jour, il devra surgir de nous-mêmes. [...] Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant.” »

La chose est donc en bonne voie, constate le Saker, citant plusieurs domaines, – en fait l’essentiel de la vie publique et de la puissance des USA, – où cette même tendance autodestructrice se manifeste dans l’incohérence, le nihilisme, la corruption, l’aveuglement et le chaos des entreprises. Il est manifeste que l’administration du président Trump, que l’on ne savait pas si “lincolnien“, a poussé, directement et indirectement, cette dynamique à son comble... (Et certes, c’est pour cela que nous continuons à applaudir Trump d’une façon générale, quelles que soient ses erreurs, ses faiblesses, ses maladresses, etc., mais en souhaitant quasi-ouvertement qu’il ne réussisse pas, surtout pas, à tenir sa promesse de “America Great Again”, – ce qui nous semble bien parti.)

Le Saker estime que la ligne suicidaire des USA est suivie parallèlement dans quatre domaines essentiels... “Political suicide”, qui renvoie à la dégradation accélérée des institutions, de la fonctions présidentielle, des principales institutions du pouvoir, au travers de l’attaque sans merci que les extrémistes neocons/démocrates et gauchistes (à peu près ceux que nous désignons comme les progressistes-sociétaux) lancent sans discontinuer contre l’administration Trump. La délégitimation et une sorte de doctrine de l’“illégalisme” réduisent toutes ces structures en les minant, en les dissolvant, et ainsi détruisant méthodiquement ce qui fut sans aucun doute l’instrument le plus puissant et le plus efficace des USA, son pouvoir installé à Washington D.C.

Il y a ensuite le “Foreign Policy suicide”, déjà fortement entamé avec les présidence Bush et surtout Obama, et aujourd’hui devenu un spectacle extraordinaire d’incohérence, d’illogisme, de contradictions, en Syrie et alentour principalement, et particulièrement dans les relations des USA avec la Russie. Personne aujourd’hui n’est capable de comprendre ce qu’est la politique extérieure US, au point assez naturel qu’on en vient à conclure qu’il y a aujourd’hui en action une sorte d’antipolitique étrangère émergeant curieusement comme la perfection du nihilisme du désordre qui poursuit inexorablement sa progression. Tout cela est jalonné de menaces diverses de conflits, plusieurs à la fois d’ailleurs, contre l’Iran, contre la Corée du Nord, contre la Russie, etc., selon une perspective absurde que les USA sont absolument incapables d’accomplir, sans compter les risques de catastrophe militaire ou de catastrophe générale tout court qui l’accompagnent. Le Saker fait suivre cela d’un “Military suicide”, qui complète le domaine précédent et rendant complètement irresponsables les plans de menaces de vastes conflits dont sont pleins les discours et les articles US. Ce point concerne non seulement la surévaluation de l’outil militaire US, non seulement son usure, mais plus encore et d’une manière bien plus grave son incapacité ontologique à se renouveler et à se moderniser par l’impuissance catastrophique où conduisent les impasses technologiques mises à jour au prix de d’une catastrophique incontrôlabilité des budgets.

(Le JSF/F-35 est bien entendu l’archétype, l’exemple et le symbole de cette évolution, énorme trou noir de centaines de $milliards débouchant sur un instrument qui n’est d’aucun usage sérieux sinon de démonstration furtive par beau temps pour shows aéronautiques en petit comité ; le JSF, dont dix exemplaires F-35B du Corps des Marines entièrement “opérationnels” mettent sept jours [du 18 au 25 janvier 2017] pour faire la jonction entre les USA et le Japon, avec 250 ravitaillements en vol [25 par avions], les avions volant perche de prise de ravitaillement laissée sortie “par prudence”... L’article d’Aviation Week du 14 février détaille sans rire mais tout de même avec une certaine ironie amère cette randonnée épique où tout s’est “déroulé selon le plan prévu”, selon l’Air Force qui avait organisé cette performance.)

Après avoir observé que tout cela s'accompagne comme dernier domaine du suicidaire de cette tendance psychologique extraordiunaire du déni de la réalité, qui s'est affirmée avec tant de force depuis la crise de l'Ukraine et l'usage dément des narrative, le Saker termine en avançant la prévision que l’une des deux probabilités principales de suicide, selon lui, serait un conflit avec l’Iran où la puissance militaire US irait devant une catastrophe qui affecterait décisivement son statut et sa supériorité, laquelle ne subsiste qu’au niveau d’une perception faussaire que nul ne peut daigner aux USA, à cause de la puissance du système de la communication et de la fascination ainsi suscitée. Cette perspective est effectivement envisagée depuis plusieurs années, comme une des possibilités d’écroulement brutal de la puissance des USA, comme l’observait déjà en avril 2010 le néo-secessionniste du Vermont Thomas Naylor (« There are three or four possible scenarios that will bring down the empire... One possibility is a war with Iran... »). L’alternative à la destruction de l’“Empire” par une guerre, c’est la désintégration interne du système de l'américanisme, avec effets sur le Système, par la poursuite de l’actuelle guérilla qui détruit le pouvoir central... Nous avons toujours été de l’opinion, depuis que l’on parle de l’effondrement des USA, que cette alternative l’emporterait sur celle de la guerre, cet avis étant bien entendu teinté d’un fervent souhait qu’effectivement la chose se passe de cette façon. (« Should the AngloZionists succeed in triggering a war between Iran and the Empire, then Iran will end up being the Empire’s kaishakunin. If the crazies fail in their manic attempts at triggering a major war, then the Empire will probably collapse under the pressure of the internal contradictions of the US society. »)

Il existe, de plus en plus visiblement, un épuisement du commentaire pour tenter de distinguer et de caractériser ce qui, décidément, n’existe plus dans les agitations colossales de la puissance américaniste : un sens, une orientation, un dessein cohérent, quelque chose qui ne soit pas l’effet de ces mouvements convulsifs que dispense le pouvoir américaniste, après cette folle campagne USA-2016, et avec un nouveau gouvernement que toutes les pressions et toutes les dynamiques tendent à rendre impuissant autant qu’à le paralyser. Il est significatif que le Saker, ce commentateur qui s’est toujours attaché à déterminer un sens dans les situations politiques les plus complexes, semble ici baisser les bras et poser la plume pour simplement constater l’inéluctable. Le Saker semble juger le gouvernement et la politique des USA comme il juge le gouvernement et la politique de l’Ukraine ; le rapprochement est acceptable, ce qui est une bonne mesure du sentiment éprouvé devant la situation US, la différence étant bien entendu qu’une telle situation de l’Ukraine est sans conséquences décisives ni même importantes sur le reste, tandis qu’au contraire une telle situation des USA ne peut qu’avoir des répercussions considérables qui modifieront, qui sont en train de modifier de fond en comble la situation générale du monde.

Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’on approche du point où la politique ne peut plus être déterminée à partir de ce qu’on distingue des intentions, des intérêts et des impulsions humaines. Cela est conforme à ce que nous devinons tous, ce que nous ressentons de cette Grande Crise Général, ici dans sa phase américaniste, mais partout présente bien entendu.

Le texte du Saker est notamment sur UNZ.com le 12 mars, et sur le site de l’auteur le même 12 mars.


Source

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.