06 mars 2017

Goràn Avaltàtric


Il est, tout au fond du bistrot, dans un recoin obscur jouxtant la porte des chiottes, une petite table bancale tristement accompagnée d’une seule et unique chaise, grisâtre et abandonnée comme un Fillon en liquidation judiciaire. C’est la place attitrée de Goran Avaltatric, le plus sombre et le plus solitaire des ivrognes du pourtour méditerranéen et de ses dépendances. Un Serbe, le mec, enfin d’origine. Arrivé ici en 63, évadé du chouette paradis marxiste de Tito…mais non, pas Titof, enfin, Tito, le Maréchal, quoi ! Comment, que dites vous ? Le Maréchal Pétain ? Oh pétain de la Bonne Mère, mais ce n’est même plus de l’ignorance, ça, vous frisez la paraplégie cérébrale, faites gaffe ! Bon, allez coucher ! Laissez nous donc entre vieux, au moins, à nous autres, les souvenirs tiennent lieu de culture !
Il vient de temps en temps, Goran. Lorsqu’il débarque, sans jamais en décoincer une, il se traîne jusqu’à sa table personnelle, toujours vacante et disponible; nul ne songerait à la lui contester, non plus qu’un roturier-paroissien le prie-dieu de Madame la Comtesse à l’église du village… enfin, là aussi je vous parle d’un temps quasi-proustien où diversité et mondialisation n’existaient même pas à l’état de concept embryonnaire… je veux dire avant les smartphones, Twitter, Facebook et tout le toutim, pour ceux qui s’en souviendraient.
Une fois le Serbe assis (et non le serbassis(1), il s’agit juste d’un ablatif absolu, rien de plus) Thérèse lui apporte sa bouteille, également personnelle, de slivovitsa(2) avec un verre à moutarde, après quoi on l’oublie jusqu’à la fermeture. Il suffit alors de le réveiller et Goran se tire, du même pas traînassant et toujours dans le silence le plus hermétique. Un hochement de tronche en guise de salut et il disparaît dans la nuit, le mec, jusqu’à la prochaine; nul ne sait quand, y a pas de règle! Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché les indices d’une quelconque logique, d’une routine algorythmée, d’une coïncidence directe ou pas avec les phases de la Lune, le retour des saisons, les apparitions périodiques de sauterelles, tampons ou autres termites… que dalle! Il revient quand il revient, le sieur Avaltatric, quand ça lui prend, voilà, aléatoirement… ou alors en vertu d’une horloge biologique réglée sur les ondulations telluriques Belgradoises, un truc dans ce goût-là…allez savoir…

Bref, ce matin, à l’heure du pastaga dominical, nous voilà tous réunis Derrière Napoléon histoire de commenter agréablement une actualité qui ressemble à un mur de pissotière tant elle se couvre d’obscénités au fur et à mesure des jours qui passent.
Et c’est en pleine péroraison de Maître Jean Trentasseur, scandalisé comme un curé du siècle dernier à qui on aurait conchié les burettes, par le culot des Fillonistes résiduels, lesquels osent mettre en doute l’impartialité des Juges, qu’une voix pâteuse au fort accent balkanique se fait soudain entendre depuis le fond crépusculaire de la grande salle.
-« Demande humble pardon, ces Monsieur…moi difficile comprendre situation à la con politique…juste plus savoir faire quoi pour voter dans bordel pas possible érection président… »
Nom de dieu, y cause! Nous voilà tous estomaqués par le scoop! Avaltatric qui rompt des décennies de mutisme! Vous vous rendez compte! Décidément depuis le Brexit et l’élection du camarade Donald, il se passe des trucs qu’on n’aurait même pas osé imaginer en rêve. On va finir par ne plus s’étonner de rien: on verrait la reine d’Angleterre esquisser un streap-tease, Jacques et Bernadette nous danser un tango torride ou François Bayrou devenir subitement intelligent, on n’y prêterait quasiment plus attention, je vous jure! Blasés, impassibles, indifférents à tout, pareils au stoïcien de ce brave Horace « si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruinae » (3)!
Encore plus stoïque que nous autres tous, c’est cependant Jean Foupallour qui se ressaisit le premier:
» Caisse vous en avez à foute, M’sieur Goret, ça touche pas la Yougoslavie nos merdiers politiques, vous pouvez continuer à picoler tranquille, bilez vous pas… »
-« Goràn, scusez…et puis Yougoslavie fini depuis gros paquet temps, savoir vous? Maintenant Serbie libre et indépendant même si écrabouillé par Occidentaux amis des Musulmans…mais tout ça fini, oublié, on parle plus…sauf saloperie pour nous Kosôvo, mais bon, pas possible fabriquer goulash sans zigouiller bestiaux, pas vrai? Seulement aussi nationalité française 1982 depuis, moi, savoir pas? Alors vote comme citoyen d’ici et pas plus con qu’autre! Un homme une voix, comme dire chez nous…mais là comprends plus peau de balle, alors demande à vous, très forts analyse politique, je toujours entendre même si pas souvent capter cinq sur cinq.
« Impossible voter Marine, anticommuniste viscéral moi, beaucoup morflé quand jeune, dans pays mon… Et puis pas du tout apprécier Islam non plus, connaître oiseaux, dangereux comme pas soupçonner vous, couper couilles, arracher foie, crever zyeux, baiser femmes chrétiennes comme gorilles en rut avec plein foutre pour mettre enceinte…alors pas possible voter Macron, Hamon, Méchancon tout ça copain des Muz. Idée à moi, donc, Monsieur Fillon, bien élevé, propre sur lui, joli président comme tout! Et puis maintenant, tout le monde y pisse dessus pourquoi fait bosser gonzesse, Belsalope…enfin nom comme ça… Moi jamais vu couillonnade énorme comak, plus savoir quoi faire dans isoloir républicain! Vous comprendre, non? »

Nous comprendre en effet. Le doute l’habite comme nous tous. A l’exception toutefois de Maître Trentasseur, lequel, drapé dans sa dignité socialiste, fait l’article pour le petit Macrouillon.
-« Laissez donc tomber vos inquiétudes, Monsieur Bouftabite, venez rejoindre la jeunesse et le dynamisme alliés à la ferme clairvoyance qui caractérise le candidat du progrès bien compris. Votez Macron et oubliez vos haines! Nous combattrons à la fois le capitalisme borné et l’islamisme fanatique, en interdisant simultanément aux plus farouches des gauchistes tout accès à la moindre parcelle de pouvoir. Voilà ce que je vous propose et qu’il convient de faire. N’écoutez pas, s’il vous plaît, tous ces réactionnaire ici présents: ils n’ont à vous proposer que le renoncement et le chaos. Tandis que moi je vous dis: à votre santé, cher Monsieur Gorille! Thérèse, remettez donc une bouteille de vodka à mon ami et de la meilleure, c’est pour moi! »
-« Remercie très beaucoup excellence vôtre, rétorque l’interpellé…mais pas boire vodka moi! Vodka russe, je Serbe! En plus m’appelle pas je Gorille Bouftabite, nom à moi Avaltàtric Goràn, pas confondre…et puis petit trou de cul pédé pas du tout aime-je, grand piège à cons me semble et je pas assez idiote pour laisser niquer moi, scuzémoi! »

Il l’a vexé, dites donc, ce connard de Trentasseur! Sans compter qu’il a ses idées l’ex-taciturne, on ne la lui fait pas! Et du coup c’est le vieux Maurice qui reprend le crachoir au vol.
-« T’as raison, Goran, te laisse pas faire! En politique ou on se fait sa propre idée ou on se fait couillonner… Tu me diras, l’un n’empêche pas l’autre. Tiens, moi par exemple, voilà soixante ans bien sonnés que je vote et autant que je l’ai dans le pétrus. Soit que le peigne-cul pour qui j’ai voté m’a pris pour un con, soit qu’il s’est fait battre à plate couture. Alors j’ai fini par me faire une raison, je vote pour celui -ou celle- qui emmerde un max de monde…tout en sachant très bien que ce faisant je marche encore dans une combine visant, l’air de rien, à en faire élire un autre. Mais que veux tu, mon pauvre vieux débris, c’est la démocratie, ça, personne n’y peut rien!
« Et là, tu vois, l’esprit de contradiction qui me caractérise, me conduit à soutenir l’autre pignouf de Fillon. Moi, les mecs qui se retrouvent seuls contre tous, ça m’a toujours branché, surtout quand ils possèdent un minimum de burnes. Il en trimballe deux grosses le type! Faut dire aussi qu’il n’a plus rien à perdre. Seulement, face aux rats qui s’échappent en hordes du navire, face aux ennemis qui se marrent doucement en assistant au naufrage, il fait front, il résiste. Pendant que ceux qui lui léchaient goulûment tous les accessoire y a pas un mois, le poussent dehors à grands coups de pompe dans le derche, lui il fait venir une chiée de couillons pour remplir l’esplanade du Trocadero et il essaie de donner l’impression qu’il résiste avec l’énergie d’un désespoir bien maîtrisé.
« Alors quand je vois ce gus, ni plus ni moins malhonnête que n’importe lequel de ses collègues, pourchassé par les juges rouges qui ont décidé de lui faire la peau -au même titre que Sarko lorsqu’il était encore dans la course et à qui ils foutent maintenant une paix ségolènesque- quand je vois ses anciens potes qui veulent lui substituer Mohamed Ali, là, le bordelier de Bordeaux dont personne ne veut, hé bien je marche avec lui, voilà! Je vote Fillon s’il est encore là en Avril, ce dont je doute, malheureusement… En tout cas si les Ripoublicons ont le culot de remplacer un mis en examen par un repris de justice, non seulement ils vont se rétamer la gueule mais encore ils se déconsidèreront totalement vis à vis des quatre millions et demi de gogos qui ont raqué quatre Euros pour s’emmerder à aller voter à leur primaire de mes baloches! Après, tu fais ce que tu veux, camarade Sustapine, mais moi je vois les choses comme ça. »
-« Je pas Sustapine, fait le Serbe un peu saoûlé, appelle je Avaltàtric Goràn! »

Bon qu’est-ce qu’on y peut, me dis-je en finissant mon ultime Ricard, nous devrions selon toute probabilité nous farcir un quinquennat Macron -deux dans le pire des cas- tout a été combiné pour et je ne vois pas comment l’affaire pourrait louper. Comme dit Maurice chacun fera un peu comme il voudra. En tout cas nul ne saurait blâmer le citoyen pêcheur du 23 Avril prochain vu que mettre ce jour là un bulletin dans l’urne ça revient à souffler dans un violon, et je reste poli. Et la France dans tout ça? Eh bien elle continue de plus belles à partir en couilles… c’est la démocratie qui le veut, pas vrai?
Au fond, il se complique la vie pour pas grand chose, Goran Avaltatric, en réalité il n’y a rien à comprendre, il y a juste à subir.

Amitiés à tous.

Et merde pour qui ne me lira pas.

NOURATIN

(1)Serbassis: démon chef de légions, une sorte de centurion des Enfers.

(2)Slivovitsa: alcool de prune des campagnes serbes, la vraie cogne 80°!

(3) »Si fractus illabatur orbis impavidum ferient ruinae » vers d’Horace qui prétend que le stage stoïcien resterait impassible même si le ciel lui tombait sur la gueule. Pour nous faire marrer mon vieux prof traduisait par « il n’est pas vide, il ne fait rien qu’uriner », c’est sans doute pour cela que je m’en souviens encore.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.