11 février 2017

Âme grise et éminence damnée


Nous nous sommes déjà arrêtés sur le sujet et, depuis, nous avons réuni d’autres indications qui permettent de l’explorer d’une façon plus enrichissante. Dans un texte à peine précédent et que nous prolongeons et renforçons ainsi, PhG dans son Journal-dde.crisis nous avertit de la chose en nous ouvrant la voie. Il y écrit :

« Un dernier point est qu’il faut remarquer que Trump possède une aide capitale dans la personne de celui qu’on désignerait par les clichés habituels (“éminence grise”, “âme damnée”), Steven Bannon, élevé à un poste essentiel et sans aucun doute le plus proche et le plus influent auprès de Trump. On ne cesse de le dire et de le chuchoter à haute voix à Washington, Bannon est le seul dans l’administration à avoir un accès constant à Trump, il est constamment avec le président et son avis prime sur tout le reste. Je ne sais si cet attelage durera, combien de temps il durera, etc., tout comme je ne sais si Trump durera, etc., mais il existe pour l’instant et il a des effets dévastateur. Il est reconnu que Bannon a une conception extrême, qu’il estime nécessaire une guerre civile aux USA, comme quatrième événement fondamental pour les USA après les trois essentiels de l’histoire des USA (la Révolution/l’indépendance de 1776-1788, la Guerre de Sécession de 1861-1865 et la Grande Dépression/Deuxième Guerre mondiale de 1929-1945)... »

Il est vrai que cette situation est devenue un sujet d’inquiétude majeur “dans les chancelleries” comme il est coutume de dire. Au reste, les circonstances favorisent cette préoccupation, la personnalité et le style de Trump autant que ses lignes si inhabituelles (sa position anti-UE) constituant presque un blocage psychologique à cet égard. En général, les ambassades des pays du bloc-BAO, et particulièrement les européennes (pays-membres et institutions), n’ayant réussi à établir que des liens très superficiels avec l’administration Trump quand seulement elles tentaient sérieusement de le faire, se sont curieusement enfermées dans une sorte de semi-“opposition” boudeuse qui dédaigne d'élargir ou d'enrichir ces relations de de pure forme qu’il est inévitable d’établir avec l’administration en place. Cette semi-“opposition” boudeuse consiste notamment à recevoir avec empressement les doléances des fonctionnaires d’un rang significatif des ministères, agences et autres qui restent encore en place du temps de l’administration Obama, soit qu’on ne les ait pas encore remplacés, soit qu’ils sont destinés à rester en place quelle que soit l’administration ; une source remarquait ironiquement que la situation des ambassades de ces pays européens à Washington « ressemble à la situation entre l'ambassade des USA à Moscou en 2011-2012, du temps d'Obama et de l'ambassadeur McFaul, entre des liens formels avec l'administration Poutine et des liens comploteurs avec les diverses ONG et oppositions russes, éventuellement subventionnés par les USA... » On ne s’étonne donc pas que ce soit surtout de ces sources que viennent les récriminations et les craintes concernant la manière de gouverner de Trump et la façon dont il s’appuie sur Bannon et lui donne une place complètement privilégiée.

Pour autant, et ceci se conformant au cycle désormais classique de l’enferment déterministe-narrativiste au niveau de la communication, ces “sources” ne font que reprendre la déjà très-abondante littérature publiée dans les gazettes-Système, de tendance hyperlibérale/hyper gauchistes, avec les diverses plumes confirmées qu’il faut. Cette littérature reprend les mêmes alarmes, les mêmes suggestions et accusations de type fachistes/racistes préparées à la sauce alt-right par l’équipe Clinton en août-septembre 2016, lorsque le danger-Trump se fut avéré comme bien réel après sa nomination. Il s’agit d’une diffusion par réseau, passant par les mêmes plumes de l’internationale hyperlibérale-hypergauche, qui prospèrent dans le même déterminisme-narrativiste depuis le début de la crise ukrainienne.

(Comme exemple de cette diffusion en réseau, lisez par exemple, dans le même canard qui constitue un excellent relais pour la diffusion des consignes, le Guardian pour ne pas le nommer bruyamment : successivement de Lawrence Douglas et de Paul Mason, les 31 janvier [« Steve Bannon is calling the shots in the White House. That's terrifying »] et 6 février [« Trump’s advisers want a new civil war – we must not let them have it »], deux articles de type copié-collé, reprenant les mêmes thèmes développés depuis l’offensive de relations publiques type-idéologique de l’équipe-Clinton tout au long de la campagne USA-2016.)

Mais au-delà de ces manifestations que nous dirions assez classiques dans le chef du Système, avec ses habituels porte-plumes porteur-d’eau, d’autres interventions nous signalent que la chose doit être prise au sérieux et échappe au seul cercle de la paranoïa anti-Trump courante. Ainsi en est-il de l’article de l’amiral Mullen le 6 février 2017 dans le New York Times.

Mullen fut président du comité des chefs d’état-major de 2007 à 2011 et montra à l’époque (en 2007-2008, lors de la crise iranienne de l’époque) un comportement assez éclairé par rapport aux sottises politiques qui marquèrent cette époque, tout en prenant garde de ne jamais prendre position publiquement. Manifestement, dans cet article, Mullen se présente au contraire comme un représentant très orthodoxe de ce qu’on a désormais coutume de nommer l’“État profond”. Ce qui choque particulièrement Mullen, c’est qu’il soit prévu que Bannon devienne un membre de plein droit du Conseil National de Sécurité qui réunit autour du président les principaux responsables des matières de sécurité nationale, tandis que, par exemple mais exemples révélateurs, en sont écartés le président du comité des chefs d’état-major (JCS) et le directeur national du renseignement (DCI)

« In his first weeks in office, President Trump has outlined plans to reorganize the White House’s National Security Council. This is in keeping with tradition: New presidents regularly reconfigure the council to fit their management style and national security priorities. Some of Mr. Trump’s plans, such as including the director of the C.I.A. as a full voting member of the council, are welcome. But some of Mr. Trump’s other plans are unsettling and should be remedied as soon as possible — in particular the role he has given to his top political adviser, Stephen K. Bannon.

» What’s more, according to Mr. Trump’s plans for the National Security Council, neither the chairman of the Joint Chiefs of Staff, the nation’s highest-ranking military officer and the president’s primary military adviser, nor the director of national intelligence, the president’s primary intelligence adviser, will be a permanent member of the council’s “principals committee,” a core group responsible for formulating policy. [...]


» But those decisions were made outside the confines of the Situation Room, where the security council meets. I cannot remember a single instance during my four-year stint as chairman of the Joint Chiefs where it was otherwise. That’s the way it should be. Every president has the right and the responsibility to shape the security council as he sees fit. But partisan politics has no place at that table. And neither does Mr. Bannon. »

On peut considérer que l’article de Mullen a été pris avec sérieux du côté de Trump, ou dans tous les cas du côté de Bannon, puisqu’un article très critique lui a été consacré dès le lendemain dans Breitbart.News, sous la plume d’un des collaborateurs les plus huppés du site, Joel B. Pollack. L’article de Pollack est particulièrement sévère, notamment pour tout ce que l’appareil miliaire et du renseignement a laissé faire aux deux précédents présidents sans tenter de s’y opposer d’une quelconque manière, et malgré leur présence marquée au Conseil National de Sécurité.

En admettant avec bien des arguments qu’un tel article, sur un tel sujet, à un tel moment, n’a pas paru sans au moins la concertation entre Pollack et Bannon, et l’assentiment de Bannon, en raison des liens entre Bannon et Breitbart.News, on observera qu’il s’agit d’une attaque extrêmement ferme contre la caste des chefs militaires à laquelle Pollack reproche de n’avoir rien fait, à aucun moment, pour tenter de contenir les dérives du pouvoir civil, aussi bien sous GW Bush que sous Obama, et encore plus sans doute sous la présidence du second. Selon cette logique, Pollack observe que Bannon est, à la Maison-Blanche, un “stabilisateur”, bien plus que ne furent jamais les chefs militaires qui songent essentiellement à leurs positions, aux privilèges attachés à ces positions et ainsi de suite...

« Where Adm. Mullen’s argument really begins to take on water is when he worries that Bannon’s presence would disrupt what is supposed to be a “nonpartisan” institution. It is hard to imagine a more partisan security apparatus than that which emerged on Adm. Mullen’s watch, when the military undertook politically-driven changes such as the end of “Don’t Ask, Don’t Tell.”


» And though generals asked for more troops in Afghanistan, the president gave them less than they needed — along with a self-defeating timeline that ended, conveniently, in time Obama’s re-election. And the disastrous 2011 pullout from Iraq flew in the face of Adm. Mullen’s own recommendation to Congress, in 2007, that success required a long-term commitment there.

» Bannon’s official job title is not political adviser, but “Chief Strategist.” That undoubtedly involves some political advice, but it also points to a role in maintaining the coherence of Trump administration policies. That is crucial in a White House led by a political outsider with a wide-ranging mandate for change. Bannon’s own naval experience, and his immersion in history and foreign policy, qualify him for the role. And speaking as his former colleague at Breitbart News, I can testify to his level-headedness in moments of crisis. I feel more secure knowing Steve is advising our president — and I believe others should, as well. In a “disruptive” presidency, he is a stabilizing influence, as he was on the campaign trail. President Trump seems to agree.

» Adm. Mullen says he worries about “a blurring of presidential responsibilities — Republican Party leader and commander in chief.” But the Constitution recognizes no such distinction, and the time for worrying about that began in January 2009, when for the first time, the U.S. military was led by a commander-in-chief who placed his own political fortunes ahead of the safety and security of the American people. The morning after the Benghazi attacks in 2012, for example, President Obama flew to Las Vegas for a political fundraiser. None of his predecessors — not even President Jimmy Carter — would have done that. »


Comme on voit, les appréciations sur le rôle et la qualité de l’influence de Bannon, si elles divergent sur le jugement moral, convergent notablement sur son importance, et il devient ainsi manifeste que Bannon est désormais une cible aussi recherchée que Trump pour la vindicte et la haine qu’exsudent l’establishment et le Système. De même, le camp représentant Bannon et Trump est loin d’être sur la défensive, mais se tient au contraire dans une position d’accusateur du comportement de ceux qui ont précédé, particulièrement de l’administration Obama et du comportement de ce président dans les affaires de sécurité nationale. Cela marque la profondeur de la rupture toujours grandissante entre les trumpistes dont Bannon est la tête pensante, et les représentants-en-cours du Système qui se regroupent dans le camp progressiste-sociétal soutenant Obama et sa politique globaliste et multiculturelle.

Ainsi tout converge-t-il pour nous faire penser qu’il existe véritablement un couple Trump-Bannon, avec l’énorme influence de Bannon qui pourrait conduire à transformer Trump en un président à l’idéologie très marquée. A cet égard, on en saura plus dans les quelques mois qui viennent : selon ce que Trump fait de ses relations avec Bannon, et notamment s’il les confirme. D’un autre point de vue, il n’a guère de choix : pour lui, l’abandon des liens avec Bannon et de l’idéologie prônée par Bannon signifierait rien de moins qu’une capitulation devant l’establishment et le Système, et de la plus éclatante des façons tant Bannon est devenu un symbole extrêmement puissant de l’orientation idéologique du trumpisme. De ce point de vue, on mesure encore mieux la position de puissance qu’occupe Bannon vis-à-vis du président

A ce point, nous sommes conduits à revenir sur notre jugement initial qui accordait la plus grande importance au général Flynn, dans l’entourage de Trump, pour admettre que c’est sans le moindre doute Bannon qui tient cette position. Peut-on comparer le couple Trump-Bannon à, par exemple, le couple Nixon-Kissinger, autour duquel nous avons parfois disserté comme étant une référencer de la forme du pouvoir de la présidence Trump ? Techniquement et méthodologiquement, ce pourrait bien être le cas, par la manière dont les duos considérés tendent à concentrer le pouvoir entre leurs mains et, notamment, à écarter les personnalités qui peuvent prétendre, dans leurs branches, à l’exercice d’une concentration du pouvoir (dans le cas de Trump-Bannon, le président du JCS et le DCI qui ne font par partie du Conseil National de sécurité).

Par contre, dans le cas de Nixon, l’influence de Kissinger était notablement équilibrée par l’influence de deux autres hommes de la Maison-Blanche, le chef de cabinet Haldeman et le chargé des affaires intérieures Ehrlichman. Avec Trump, rien de pareil, le chef de cabinet Priebus est un personnage assez neutre qui ne peut prétendre concurrencer Bannon. D’autre part, l’influence de Kissinger n’avait rien d’idéologique et n’impliquait nullement de projet révolutionnaire ; il s’agissait de s’accaparer tout le pouvoir pour activer la diplomatie classique de la façon la plus autonome, et la plus réaliste possible, sinon la plus cynique. Il n’y avait aucun sentiment pouvant être interprété comme antiSystème chez eux, particulièrement chez Kissinger.

Le cas Nixon est un peu différent et certains épisodes ont marqué qu’il y avait chez lui certaines tendances antiSystème, exacerbées par cette autre similitude avec Trump que fut pour lui une hostilité radicale et viscérale de la presse-Système. (S'il n’avait été torpillé par un “coup d’État bureaucratique” menant au Watergate, Nixon aurait pu être un partenaire pour une direction soviétique faisant une perestroïka-glasnost en URSS quinze ans avant Gorbatchev.) A cet égard, Trump est proche de Nixon, mais pour des entreprises potentiellement beaucoup plus profondes, dont Bannon est l’illustration. Il est évident que le couple Trump-Bannon est, pour le Système, beaucoup plus dangereux que le couple Nixon-Kissinger. Il est évident que Bannon, s’il est un “stabilisateur” de l’exercice du pouvoir à la Maison-Blanche, il l’est contre le Système et il est porteur de projets extrêmement déstabilisants et dangereux pour le Système. Il est vrai qu’il y a dans ses vues, lui qui se compare à Lénine pour son activité de destructeur des forces en place, un radicalisme destructeur qui rend assez crédible les accusations portées contre lui, selon lesquelles il ne lui serait pas indifférent de déclencher des événements s’apparentant à une “guerre civile”. Au reste, il est bien aidé par des adversaires, ceux de l’aile marchante progressiste-sociétale financée par Soros, qui cherchent la même chose que lui mais dans l'autre sens idéologique, lorsqu’ils affirment vouloir rendre les États-Unis ingouvernables en y installant une “climat de violence”.

En s’installant dans ses habitudes de pouvoir, la direction de l’administration Trump ne perd aucune des potentialités déstabilisatrices qu’on devinait chez elle. Elle s’installe et prend ses aises, certes, mais elle n’abandonne aucune de ses orientations idéologiques de type-antiSystème qui se font plus sentir au niveau de la communication et de l’influence qu’au niveau des politiques elles-mêmes. Il s’agit d’une situation explosive dont l’issue, beaucoup plus que tel ou tel avatar en politique extérieure, pourrait bien être une “guerre civile”, ou American civil war 2.0, comme on l’a lu, écrit par Paul Mason le 6 février dans le Guardian, renversant complètement les rôles pour faire des manifestants et contestataires de l’hypergauche des victimes, et en plaidant l’argument étrange qu’en provoquant des troubles qui ressemblent à s’y méprendre aux prémisses d’une guerre civile, on évite la guerre civile (« Trump’s advisers want a new civil war – we must not let them have it »).

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