15 janvier 2017

Le modèle Stuart-Patton versus presse-Système


La conférence de presse de Trump du 11 janvier, par sa forme extraordinaire d’une “bataille de chiens” (“dogfight”) et par l’incontestable victoire par KO du président-élu, ne cesse d’être analysée et disséquée. La plus grande surprise dans une situation, – notre époque invertie et catastrophique de la postmodernité, – qui demande à ne plus s’étonner de rien, et surtout d’aucune surprise, c’est de lire dans The Weekly Standard une foudroyante et admirative analyse du comportement tactique quasi-militaire de Trump vis-à-vis de la presse-Système, le vénérable et semblait-il intouchable Fourth Estate que le président-élu ne cesse d’envoyer à terre et de mettre régulièrement KO.

Pourquoi “surprise” ? Parce que l’analyse, remarquable, est sans nul doute admirative, alors que le Weekly Standard est historiquement le porte-drapeau des neocons qui n’ont cessé d’animer et de manipuler la presse-Système dans le sens d’un soutien inconditionnel à l’interventionnisme échevelé de la “politique” extérieure des USA depuis 9/11, et récemment contre Trump qui est identifié comme un adversaire de cette politique-Système. Certains y verraient-ils une connivence, une sorte d’entente objective et de complot qui ferait de Trump un imposteur ? Nous certainement pas, et nous parlerions plus simplement et candidement d’une connivence chaotique, animée beaucoup plus par les gestes furieux du chaos trumpiste qui agite Washington, où l’on ne sait plus qui fait quoi, qui est avec qui et qui est contre qui, qui parmi les membres de l’État-profond sait encore ce que fait l’État-profond et qu’est-ce que c’est que l’État profond, et ainsi de suite. Ainsi Fred Barnes fait-il l’apologie de Trump-“le-contrepuncheur”, l’homme qui frappe plus vite que ses poings, qui n’attend qu’une chose qui est de pouvoir frapper, c’est-à-dire d’être constamment à l’offensive comme d’autres sont constamment sur la défensive.

Barnes décrit un Trump, notamment à l’aide de plusieurs citations de Newt Gingrich qui le connaît bien, en des termes qui s’apparentent à l’art de la guerre, et plus précisément à l’art du mouvement tactique. Les références viennent aussitôt à l’esprit : George Patton bien sûr comme on l’a déjà dit plusieurs fois, gentleman au langage de charretier (“sonavabitch”, ou “fils de pute” dit affectueusement, notamment à l’attention de Rommel qu’il admirait tant, était sa formule favorite), cavalier motorisé sans égal avec sa IIIème Armée, venue d’une illustre famille virginienne avec deux ancêtres qui s’illustrèrent dans les rangs sudistes ; et, autre référence, le général Jeb Stuart, le magicien de la cavalerie sudiste qui faisait des raids si profonds dans les États nordiste avec des détachements considérables, qui réussit avec ses 1.200 cavaliers à “encercler” une armée nordiste vingt fois supérieure en nombre rien qu’en tournant autour d’elle comme une nuée de feux-follets avant de s’en retourner avec 165 soldats et 250 chevaux pris à l’ennemi. (Cela se passait en juin 1862 lors de la bataille de Williamsburg, et l’ironie tragique de la guerre civile voulut que le chef de la cavalerie de cette armée nordiste, que Stuart mystifia avec tant de verve et d’élégance, était le colonel Cooke, son propre beau-père qui avait choisi de rester dans l’armée de l’Union.) Ces deux hommes, Patton et Stuart, répondent à la description de Barnes : l’offensive, encore l’offensive, toujours l’offensive, aujourd’hui bien plus qu’hier et bien moins que demain, “un plan médiocre aujourd’hui vaut mieux qu’un plan parfait dans une semaine”.

(Les deux analogies militaires, Stuart et Patton, valent aussi pour le caractère. Trump peut évidemment être identifié comme un caractère extraverti, ce qui est plus intéressant à noter que les multiples variations pseudo-psychanalytiques autour du narcissisme ; et cela correspondant parfaitement, en termes de tactique militaire comme de comportement politique et de communication, à l’état d’esprit offensif. Patton est connu pour son caractère extraverti, – également tendance narcissique bien entendu, – avec ses diverses extravagances et quelques solides faux-pas, ses originalités voyantes d’uniforme [les deux Colt six-coups aux crosses nacrées]. Jeb Stuart était de la même veine, estimant que son comportement militaire ressuscitait l’esprit de la chevalerie, portant un uniforme original, voyant, avec une plume à son chapeau, etc. L’un des meilleurs amis d’un autre des grands généraux sudistes, Stonewall Jackson, au caractère introverti et extrêmement austère, il était réputé, selon l’historien James I. Robertson, comme “le seul homme de la Confédération qui pouvait faire rire Jackson, – et qui osait le faire” [« the only man in the Confederacy [who] could make Jackson laugh—and who dared to do so »].)

Dans sa tactique contre la presse-Système, Trump est toujours sur l’offensive dans le mode contre-offensif : il doit attendre le premier coup, par situation même puisqu’il s’agit de réagir à des écrits, ou à des questions, venus des journalistes ; et là, il réagit toujours d’une façon inattendue, imprévue, inhabituelle, complètement en-dehors des normes. « Il est en permanence sur le mode offensif, dit Gingrich qui précise que Trump a appris ce comportement lors de sa carrière de businessman à New York. Il se réveille chaque matin en se demandant : “Comment est-ce que je vais m’arranger pour rester sur l’offensive aujourd’hui ?” » Il est d’autant plus dans cet état d’esprit avec la presse-Système, c’est-à-dire qu’il attend avec impatience de recevoir le premier coup pour pouvoir déployer son offensive, qui est sa façon d’être, notamment avec le tweet qui est évidemment son arme favorite. Bien entendu, comme dans les analogies Stuart-Patton, le caractère essentiel de cet état d’esprit est la vitesse en toutes choses, – vitesse de décision, vitesse d’exécution, évaluation assez pauvre des conséquences selon l’idée que l’effet de l’offensive et de sa rapidité modifiera radicalement les conditions générales de l’environnement qu’on envisagerait pour en deviner les conséquences, – offensive et vitesse créant des conditions nouvelles, un “monde nouveau” qui élimine de facto toutes les objections qu’une réflexion préliminaire prolongée peut soulever.

Du coup, on se trouve renforcés dans l’idée que Trump est en train d’introduire effectivement une phase révolutionnaire dans la bataille continuelle du système de la communication qui est l’un des deux piliers du Système avec le technologisme, à l’intérieur du système de la communication, pour se saisir de la communication à son avantage. Cette “phase révolutionnaire” se définit avec l’observation que Trump n’est pas passé par le filtre d’une carrière politique où l’une des injonctions les plus systématiques, et en général sine qua non pour toute carrière politique dans le Système, est le respect absolu des règles de réserve et du decorum des relations avec la presse-Système ; c’est-à-dire, l’acceptation d’un double langage qui oblige l’homme politique à un simulacre permanent face aux représentants de la presse-Système, pour à la fois leur marquer un respect simulé et manœuvrer pour tenter de les prendre sous son influence tout en respectant les diktat du Système. Cette attitude conduit à un emprisonnement réciproque qui n’est concevable effectivement qu’à l’intérieur des diktat du Système, l’homme politique prisonnier de son respect pour le Fourth Estate, le journaliste prisonnier de l’influence du politicien.

Trump ne connaît rien de tout cela et, à son âge, avec le caractère formé et l’expérience accumulée, avec l’esprit offensif qui écarte toute prudence inutile pour la forme et considère au contraire que la forme doit être manipulée au profit de son offensive permanente, il est évident qu’il ne changera pas et qu’il appuiera au contraire dans le sens qu’on lui voit faire. De ce point de vue, et du fait de l’importance fondamentale de sa fonction, son comportement doit effectivement faire éclater toutes les règles, c’est-à-dire tous les diktat du Système. C’est là cette “phase révolutionnaire” dont nous parlons, dont on ne sait rien encore des véritables effets dans le champ fondamental de la communication, mais qui doit nécessairement prendre, par le fait même du refus des diktat du Système, un tour antiSystème.

D'après l’article de Fred Barnes, à paraître dans le numéro du 23 janvier 2017 du Weekly Standard.

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