10 décembre 2016

Légende indienne


Légende de la tribu des Indiens Wintus

Vieil-Homme-Coyote alla jusqu’à eux, s’assit et, sans rien dire, se mit à les regarder travailler. Au bout d’un long moment, il s’adressa à eux :

– Cessez un instant de travailler, et venez bavarder avec moi.

Les Aigles étaient bien ennuyés, car ils voulaient terminer leur ouvrage qui était presque achevé. Mais ils ne voulaient pas non plus froisser leur visiteur : c’est la coutume, lorsque quelqu’un vient vous voir, de s’asseoir un moment avec lui et de parler ensemble. Ils s’arrêtèrent donc de travailler et s’assirent en face de lui :

– Qui êtes-vous Grand-Père ? Et d’où venez-vous ?

– Je suis Vieil-Homme-Coyote et je vis non loin d’ici. Je vous ai entendus faire du bruit à remuer des cailloux et creuser la terre. Je me demandais donc ce que vous pouviez bien faire, et c’est pour le savoir que je suis venu.

– Nous pouvons vous le dire, puisque vous le verrez bientôt. Grand-Esprit veut que nous creusions un trou dans la terre et que nous construisions un escalier de pierre qui ira jusqu’aux nuages. Par ce trou, il fera sortir une nouvelle race, la race des Hommes. Et par cet escalier, ces Hommes pourront aller boire à la source de jouvence qui leur redonnera leur jeunesse lorsqu’ils l’auront perdue. Ainsi ne mourront-ils jamais.

– Et vous le croyez ! rétorqua Vieil- Homme-Coyote. Moi je ne crois jamais Grand-Esprit ; il ne dit que des sottises.

– Ne parlez pas mal de Grand- Esprit ! se récria l’aîné des Aigles, fâché. Oui, je crois ce que dit Grand-Esprit. Il est celui qui crée toute chose et par qui toute vie arrive. Écoutez plutôt quel projet est le sien.

– J’écoute, car je veux savoir ce qu’il a bien pu inventer encore ! Et puis, peut- être qu’ensuite je pourrai vous dire des choses qui vous seront utiles.

– Eh bien ! voilà : Grand-Esprit veut créer cette nouvelle race, la race des Hommes, qui grâce à l’eau de la source ne mourront jamais. Les hommes et les femmes vivront séparément. Ils vivront comme frères et sœurs et ne feront pas d’enfants puisqu’ils ne mourront jamais et qu’ils auront tous été créés dès le premier jour par Grand-Esprit. Dès qu’ils sentiront leurs forces décliner, ils iront par cet escalier que nous construisons boire à la fontaine l’eau qui redonne la jeunesse, et en redescendront à nouveau vaillants et pleins de force. Que penses-tu de cela ? N’est-ce pas une œuvre de sagesse et non des sottises comme tu le dis ?

– Ce sont des sottises ! Pensez-vous vraiment que de vivre seul rende heureux ? Que de ne pas connaître l’amour d’une femme et ne pas aider son enfant à grandir soit un destin enviable pour un homme ? Que de ne pas connaître l’amour d’un mari ni la joie d’enfanter soit un destin enviable pour une femme ? Et ceci pour l’éternité ? Non, effectivement, je ne pense pas que ce soit là une œuvre de sagesse, répondit Vieil-Homme-Coyote.

– Attendez ! nous n’avons pas fini de vous raconter, continua le cadet des Aigles. Dans sa grande mansuétude, Grand-Esprit a prévu de libérer les Hommes du travail. Ils n’auront pas à labourer, à semer, à chasser ou pêcher. Les fruits pousseront tout seuls et ils n’auront qu’à lever leur main pour qu’ils tombent dedans. Les poissons viendront s’échouer sur la rive attendant qu’on vienne les ramasser. Tout le monde aura tout ce dont il aura besoin, sans rien faire, et il n’y aura donc ni jalousie ni domination des uns sur les autres. Alors, n’est-ce pas là l’œuvre d’un sage ?

– Ah non ! Sottises encore ! Réfléchissez : qu’est-ce qu’une vie dans laquelle on n’a rien à faire ? Qu’est-ce qu’une vie dans laquelle on ne peut goûter au bonheur du travail accompli, du dépassement de soi, de sa peur par le courage, de ses faiblesses par la volonté ? Quelle raison trouve-t-on à vivre ainsi, sans rien faire, sans rien créer, dans un long et éternel ennui ? Et quel intérêt de retrouver sa jeunesse pour ne toujours rien en faire ? Non, décidément Grand-Esprit ne dit que des bêtises... Je vais vous dire, moi, comment devraient vivre ces Hommes, et vous verrez que mes paroles sont bien plus sages.

– Nous vous écoutons, dirent en chœur les Aigles.

– Les hommes et les femmes doivent vivre ensemble ; les hommes iront chasser et pêcher et seront heureux et fiers de rentrer à la maison avec un panier plein de gibier ou de poisson. Ils iront en groupe pour être plus forts et partageront leurs prises entre tous ; ça les rendra solidaires et renforcera leurs liens. Ils iront ensemble chercher des fruits et des noix. Les plus agiles grimperont aux arbres, tandis que les femmes attendront en bas qu’ils leur lancent ce qu’ils auront cueilli. Et elles applaudiront de les voir si habiles à grimper ; et ils crieront « bravo ! » de les voir si rapides à attraper. Et tous, ils riront et chanteront le soir en rentrant. Alors les femmes aimeront les hommes et les hommes aimeront les femmes. Et ils feront des enfants. Ils regarderont leurs bébés et seront tellement émerveillés de ce qu’ils ont pu faire ensemble qu’ils s’aimeront encore plus. Et ensemble encore ils les regarderont grandir. Le père apprendra à ses fils à grimper dans les arbres et à chasser les bisons. La mère apprendra à ses filles à attraper les noix et à coudre les peaux. Parce qu’ils seront heureux d’exister les uns pour les autres, le père aura de l’entrain à aller chasser pour nourrir sa famille, et la mère aura à cœur de cuisiner de bons plats à son retour. Et doucement, ils vieilliront. Leurs enfants à leur tour se marieront et feront des bébés. Leur sang neuf sera bénéfique pour toute la tribu, apportant de nouvelles idées et de nouveaux projets. Les vieilles personnes leur raconteront des histoires du temps où ils n’étaient pas encore nés. Bien sûr, ces vieilles personnes finiront par mourir un jour, mais tous les pleureront, car elles étaient aimées. Et de savoir qu’elles seront pleurées, parce qu’elles étaient aimées, les aidera à accepter de mourir. Leur souvenir ne quittera pas la tribu, et leurs enfants, devenus vieux à leur tour, parleront d’elles à leurs petits-enfants. Les années passeront ainsi, la vie sans cesse renouvelée, le travail sans cesse recommencé, et la vie sera belle car le travail amènera la joie, la joie amènera l’amour et l’amour amènera le bonheur.

Lorsque Vieil-Homme-Coyote se tut, les deux Aigles restèrent un instant sans parler.

– Alors, les interrogea-t-il, n’est-ce pas là des paroles justes ?

L’aîné des deux frères hocha la tête :

– Tu as raison, tes paroles me semblent vraies. Seule la mort donne un sens à la vie ; et à quoi sert-il de vivre si la vie n’a pas de sens ?

Du Tibet au Caucase, de l’Afrique à l’Irlande, la sagesse est partout, et les peuples, depuis la nuit des temps, l’ont incarnée dans des contes.

Pour réchauffer les cœurs lors des longues soirées d’hiver ou pour réunir, à l’ombre d’un palmier, toutes les générations d’un village, ils ont inventé, brodé, raconté des histoires. Pour expliquer le monde, donner aux enfants le sens du juste, du bien, du vrai, elles sont devenues fables et légendes ; tristes parfois, fantastiques souvent, pleines de bon sens toujours. Les hommes y ont mis ce qu’il y a de plus universel et que quelques siècles de modernité n’ont pu totalement balayer : amour filial, fidélité, respect de la parole donnée, courage et honneur. Ils y ont mis aussi les grands questionnements : le sens de la vie, le chemin du bonheur et la responsabilité d’être ce que l’on est.

En traversant les âges, les contes sont restés vivants. On les retrouve ici ou là, semblables sans être tout à fait les mêmes, transformés, acclimatés à un lieu, à une nature, à un mode de vie.

Choisis parmi les plus beaux, nous les avons à notre tour réécrits, adaptés, débarrassés de quelques oripeaux, pour qu’ils puissent rendre de la manière la plus simple et la plus pure cette sagesse intemporelle que les peuples y ont déposée.

Source

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.