10 décembre 2016

France : Les défis du prochain président

 
Face à la crise de notre monarchie républicaine, Patrick Buisson perçoit deux défis : réinstituer le peuple par la démocratie directe et refonder la politique de solidarité nationale.

Un grand-duc et deux monarques: en quelques jours, notre monarchie républicaine voit disparaître d'une mort politique pour le moins abrupte Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Mais au-delà de cette ironie un peu facile, de quel phénomène s'agit-il réellement ? La fin d'une lignée, bien sûr que non… mais peut-être d'une génération, voire d'une époque ou d'un cycle.

Pour répondre à ces interrogations, nous avons reçu Patrick Buisson, historien et politologue, auteur de La Cause du peuple (Perrin, 2016) et bien entendu artisan de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007.

Deux incarnations manquées du pouvoir 

"Ce qui s'est passé depuis quinze jours porte plus de sens qu'on veut bien le dire. C'est plus qu'un constat d'échec. Le retrait de François Hollande intervient dans le sillage de la défaite de Nicolas Sarkozy. Le couplage de ces deux événements a une signification: l'un comme l'autre ont exercé dans des registres différents la fonction suprême. Finalement, tous les deux auront été dans une conception de sécularisation, de désacralisation du pouvoir. Ils ont rejeté, chacun à leur manière, tout l'appareil symbolique, protocolaire, rituel qui s'attachait à la Présidence de la République, ce que nous appelons la monarchie républicaine, puisqu'en la France, vieille terre de chrétienté, le pouvoir s'exerce non par délégation mais par incarnation. Or ces deux incarnations ont été des incarnations ratées, qui ont laissé apparaître des hommes qui étaient plus dans la jouissance du pouvoir, c'est-à-dire de ses attributs, que dans le service de l'Etat, c'est-à-dire du Bien commun et de l'intérêt général."

Hollande, vecteur de la société de marché

"François Hollande aura été le vecteur de la société de marché, notamment avec le projet de mariage pour tous. Finalement, il aura couvert la partie dévolue à la gauche dans la marchandisation des rapports humains, c'est-à-dire la transposition sur le plan sociétal de la philosophie libérale. François Hollande a été le porte-parole de ce qu'est devenu le Parti Socialiste, c'est-à-dire un parti de classe, qui sert les intérêts de classe de la nouvelle bourgeoisie urbaine."
 
Le peuple face à la démocratie substitutive

"Les analystes politiques en France et en Europe se trompent dans l'analyse qu'ils font des mouvements populistes. Ils mettent en avant la revendication identitaire, qui certes est très forte — les peuples qui ne veulent pas mourir sont attachés à une culture, à un patrimoine et sentent bien qu'il y a deux menaces: la finance globalisée et l'islam radicalisé. Face à ces deux menaces, le fait de se réapproprier son patrimoine identitaire est le premier acte de résistance. Mais ces analystes passent à côté d'une autre dimension, la revendication du peuple demos: dans le populisme il y a une demande de démocratie, de démocratie directe. Les catégories populaires se rendent bien compte que nous vivons dans une post-démocratie, qui est un détournement des procédures démocratiques qui conforte le pouvoir des oligarchies. En France, hors l'élection présidentielle, nous avons évolué vers un suffrage censitaire, dans lequel ne votent que les inclus, les catégories favorisées, parce que le mode de scrutin exclut de toute chance d'alternance les forces qui ne sont pas au cœur du système. Cela génère une abstention considérable. Quant aux partis populistes, ils n'héritent que d'une représentation dérisoire. Souvenez-vous, en 2012: Marine Le Pen, 18% au premier tour de l'élection présidentielle et deux députés. Eva Joly, la candidate écologiste, 2 % et dix-huit députés. Ce n'est pas une démocratie représentative mais une démocratie substitutive, aboutissement de la démocratie parlementaire depuis qu'elle a été créée. La démocratie parlementaire se substitue à l'expression du peuple souverain. Son souci n'est pas d'accomplir la volonté générale mais de trouver les moyens de la restreindre. Les majorités parlementaires représentent le despotisme d'une minorité légale. »

L'ennemi islamiste

« L'accommodement raisonnable supposerait des gens raisonnables, en face, qui veulent négocier et qui seraient représentatifs (…) C'est une spécialité de la droite: elle a une conception utilitariste de la religion. (…) La religion est un outil de contrôle social pour la droite. Elle ignore totalement que c'est une force de vie. On est incapable de comprendre pour l'islam la connexion entre la foi et les mœurs. Les deux marchent ensemble. (…) On créé un semblant de dialogue pour essayer de faire vivre un islam des Lumières qui n'existe que dans notre esprit pour contrer l'influence de l'islam salafiste. Mais ce sont des notables qui vivent plus par l'islam que pour l'islam. Pour la droite le bon islam, c'est un islam corrompu: celui qu'on achète comme outil de contrôle social. »

La gauche face à la religion & à la Nation 

« La gauche, structurellement, a toujours voulu croire d'abord que la religion, puis la Nation étaient des archaïsmes, des survivances de l'Histoire, alors qu'elles sont structurelles, consubstantielles. Pour la gauche, la religion est une étape dans l'histoire de la conscience de l'humanité, elle ne voit pas au contraire le besoin anthropologique de transcendance et d'absolu. L'histoire de la Russie montre bien cela: à la fois la Nation et la religion sont le moteur, le cœur battant de l'Histoire. On l'a vu en 1942. Qu'on ne nous raconte pas d'histoire: ce n'est pas la croisade de la démocratie qui a vaincu le nazisme, ce sont les Nations. La Nation russe, éventuellement la nation américaine ou la nation britannique. Cela illustre parfaitement le vers de Hölderlin: ‘Là où croit le péril, croit aussi ce qui sauve'. Les nationalistes qu'on accable de tous les maux, en disant qu'ils sont les responsables de toutes les guerres, sont aussi des facteurs de paix. Les Nations sont le ressort des peuples lorsqu'il s'agit de se débarrasser de tyrannies ou d'oppressions insupportables. »

Le « Grand remplacement »

« Les faits sont là: quelles que soient les raisons pour lesquelles ce grand remplacement a lieu, soit c'est au titre de l'impuissance de l'Etat — impuissance à contrôler les flux migratoires — soit c'est au titre d'un plan concerté, qui a été celui du patronat en France. L'électorat populaire a très bien compris quelle était l'économie comptable de l'immigration: une privatisation des profits — une main d'œuvre bon marché, désyndicalisée et facilement malléable — mais une collectivisation des coûts — budgétairement, la formation, la sécurité, la protection sociale est supportée par la collectivité. C'est une opération qui s'est faite à l'écart de toute délibération et de toute décision démocratique. Une immigration de masse d'abord dite de travail, puis une immigration familiale à partir du fameux arrêt Gisti qui facilite le regroupement familial. C'est une immigration de peuplement, plus que de travail. »  

Reinstituer le peuple 

« [Nicolas Sarkozy] a toujours été réfractaire à l'idée pour moi centrale de réinstituer le peuple comme sujet politique, historique, acteur et maître de son propre destin: ça veut dire la voie référendaire. Il n'y en a pas d'autre. Refonder une vraie démocratie — pas celle des démolâtres qui se servent du mot par antiphrase mais celle des démophiles, c'est-à-dire la démocratie qui rend au peuple la faculté de décider de son destin. Notamment sur les questions de fond comme l'immigration. Je lui ai proposé un référendum sur cinq thèmes fondamentaux (…). Il fallait demander aux Français de se prononcer sur le regroupement familial, les critères d'attribution des prestations sociales, le droit d'asile, le droit du sol et les accords de Schengen. Toute la politique de l'immigration est contenue sur ces cinq points. Il n'a pas voulu le faire. »  

Fillon & l'électorat populaire

« François Fillon faire sa campagne. L'apriori favorable qu'on peut avoir, c'est qu'il est porté par une forme de révolution conservatrice. Un électorat d'inclus, plutôt favorisé, mais représentant la France provinciale, la France d'une certaine forme de tradition, imprégnée encore de pratique religieuse. Maintenant, il y a un malentendu fondateur: le problème est de savoir quelles hypothèques seront levées si François Fillon devait être élu Président de la République. L'équivoque fondatrice est que si l'on croit que François Fillon a été élu sur son programme économique, on se trompe. Celui-ci a été élu par un électorat qui est plus préoccupé par les questions sociétales que les arbitrages économiques. Ce n'est pas du tout une attente sur un programme ultralibéral que ferait de lui un énième parangon d'une mondialisation de moins en moins heureuse et de plus en plus sauvage, l'énième représentant du patronat, de l'hyperclasse mondialisée — d'Henri de Castries, de Marc-André de Lacharrière qui sont autour de lui — de l'alliance de la droite nomade et de la gauche kérosène. Si François Fillon pense qu'il a été élu là-dessus, il se trompe et cette erreur causera très certainement sa perte. »

« On ne peut pas disposer d'une légitimité durable et solide dans ce pays sans essayer de faire l'alliance des forces conservatrices et de l'électorat populaire. Alliance qui s'est réalisée trois fois dans l'histoire de France récente: en 1947, avec l'élection municipale où le RPF vient d'être créé par de Gaulle, en 1958, avec le retour de de Gaulle au pouvoir, et au premier tour de l'élection présidentielle de 2007. Voilà, il n'y a pas d'autres exemples. Sarkozy avait toutes les cartes entre les mains, et il ne l'a pas fait (…) Si Fillon n'arrive pas à tirer à lui une partie de l'électorat populaire, il ne pourra pas gouverner. » 

Limites du Front National 

« Depuis 20 ans, on observe l'adhésion croissante des Français au corpus idéologique du Front National. Par exemple, la question ‘il y a trop d'étrangers aujourd'hui en France', recueille aujourd'hui 75 à 80 % d'adhésion. Il y a donc un mouvement de fond qui affecte les trois-quarts de la société française. Pourtant, Jean-Marie Le Pen, c'est au mieux 17 %. Marine Le Pen, c'est aussi 18% aux dernières élections présidentielles et entre 25 et 27 % aux élections intermédiaires. Comment expliquer une telle déperdition de voix? S'ils ne votent pas pour le FN, c'est pour des raisons profondes, sociologiques, psychologiques, culturelles, anthropologiques — ‘ça fait peur le nom de Le Pen', etc. C'est un problème qui ne va pas se résoudre par le miracle d'une évolution du contexte: on voit bien le problème du terrorisme. La progression du FN est très limitée. Entre les Européennes 2014, avant les premiers attentats, et les régionales, la progression est de 2 points. Combien de milliers de morts faudra-il pour que les mentalités changent? Je pense que le FN seul est à l'écart de toute espérance du pouvoir. C'est forcément de l'intérieur du parti de gouvernement de la droite que se produira l'évolution décisive. L'exemple de ce qui s'est passé aux Etats-Unis est probant: Trump a subverti le parti républicain. »

« Le Front National a une utilité politique et sociale: il créé une pression formidable sur la classe politique. Sans un Front National aussi élevé, je n'aurais pas pu faire admettre par Nicolas Sarkozy un certain nombre de thèmes, notamment celui de l'identité. La peur est le commencement de la sagesse. Le Front National a une utilité évidente mais une utilité qui le limite, parce qu'il est l'assurance-vie du système. A tort ou raison mais c'est comme ça: il représente une forme de repoussoir. Plus l'ennemi est caricatural, plus le système trouve les moyens et les ressources de perdurer. »  

Les défis du prochain président 

« Les deux défis principaux ne sont pas au cœur du débat. Premier sujet: reinstituer le peuple comme sujet politique. On ne peut pas faire confiance à la classe politique, les réformes de fond ne peuvent être le produit de l'assentiment populaire (…) Deuxième sujet: refonder la politique sociale, de solidarité nationale. Depuis la politique de la ville, la gauche, a substitué à la question sociale la question ethno-raciale: le critère de distribution de l'argent public, ce n'est plus la condition ou le revenu mais l'appartenance ethnique. La promesse de l'égalité était historiquement portée par la gauche. Elle l'a abandonnée par la gauche. Aujourd'hui l'Etat providence est remis en cause non par les riches qui ne veulent pas payer mais par les pauvres qui considèrent que cet outil a été instrumentalisé par la gauche au service de la préférence immigrée. L'objectif n'est pas la préférence nationale mais de rompre avec la préférence immigrée, c'est-à-dire de faire en sorte qu'il y ait une politique sociale de redistribution qui soit équitable. La droite a un impératif: faire de la France périphérique un allié électoral. On a laissé en friche au Front National la dynamique que créé ce sentiment d'iniquité profond.

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