30 décembre 2016

Des cafés et des femmes


Des cafés et des hommes

Le JT de 20h de France 2 montrant des femmes évincées des cafés en banlieue (http://www.francetvinfo.fr/…/societe-quand-les-femmes-sont-…) a fait couler beaucoup d’encre. L’émotion est à son comble lorsque Nadia Remadna, figure courtisée de la Brigade des mères, laisse éclater sa révolte : « Tu fais ca en Arabie Saoudite, tu dis ok. Mais là on est en France ! ». Pujadas exulte. On est casseur de tabous ou on ne l’est pas.

L’affaire défraie la chronique

Heureusement, tout le monde n’est pas dupe. Médiapart organise un débat qui déconstruit les présupposés du reportage et de la polémique qui a suivi (https://www.mediapart.fr/…/les-femmes-sont-elles-evincees-d…). L’effort est louable car il démontre en substance que dans le monde blanc, ce n’est pas mieux et que les lieux de pouvoir sont toujours investis par les hommes. Bref, que le sexisme en France est structurel et qu’il ne concerne pas les seuls Maghrébins ou les seules banlieues.

C’est juste mais on reste sur sa faim car ces analyses loupent l’essentiel et restent prisonnières d’un prisme blanc. Pour éviter l’essentialisation ou le racisme, elles procèdent par équivalence. Certes, il faut combattre la non mixité dans les quartiers mais il faut la combattre également dans les autres lieux de pouvoir, majoritairement blancs. Le postulat de départ est donc bien d’imposer la mixité partout, y compris là où elle n’est revendiquée par personne. Ces analyses restent par conséquent relativement imperméables à des phénomènes sociaux qui ne sont pas vécus de l’intérieur et qui négligent la subjectivité collective des habitants de quartiers, leur sensibilité, leur vécu, leur histoire, mais surtout leurs principales revendications.

Voilà qui me rappelle un souvenir. Un jour que j’intervenais à Bruxelles, des militants de gauche tout à fait antiracistes et sincères m’expliquaient que des femmes voilées de Belgique avaient entrepris de reconquérir les cafés de la capitale d’où elles étaient exclues par les hommes de leur communauté. Elles le faisaient sans provocation. Elles se contentaient de rentrer en groupe, de s’asseoir et de commander. Elles voulaient ainsi se « réapproprier » des espaces masculins qui leur étaient interdits et ainsi démontrer leur puissance d’agir. L’admiration de ces militants pour ces femmes était palpable. Une nouvelle occasion pour moi de me consacrer à mon hobby préféré : l’étude des Blancs.

Me gardant de commenter la démarche, en mon for intérieur, je me suis dit : « Qu’est-ce que c’est con ! Elles ont rien d’autre à foutre sans déconner ? »
Plus tard, je me suis interrogée. Quel est l’esprit qui les guide. Je dis bien « L’ESPRIT ». Quand elles font ça, qui veulent-elles convaincre ? Et de quoi au juste ?
Et puis, je me suis souvenue de toutes ces fois où, à Lyon, place du pont ou à Barbès, je passais devant des cafés miteux tenus par des hommes maghrébins et fréquentés par ceux qu’on appelaient des sonacs et qui étaient soit des travailleurs soit des harragas et qui passaient de belles chansons de chez nous : Farid, Abdelhalim, Dahmane, El Mazouni, El Afrit, Rouicha, Hasni, Khaled…C’étaient des lieux de refuge mais aussi de conservation de la culture. Des endroits où on est sûrs de faire le plein de nostalgie parce que ces endroits c’est aussi des lieux de la mémoire sensible, des lieux où l’exil est raconté par un répertoire musical d’une puissance qui perce l’âme. Nos pères y ont joué aux cartes, aux dominos, y ont bu du thé et y ont sûrement déblatéré sur les femmes, fait des blagues graveleuses –entre eux jamais en notre présence. Nos oreilles n’ont jamais été souillées par leur vulgarité qui ne passait pas la frontière du café (d’où l’intérêt de la non mixité si tu vois ce que je veux dire).
Je savais que ces cafés n’étaient pas pour moi parce que j’ai été élevée comme ça et que ça ne se fait pas quand on est une « bent famila » (fille de bonne famille) d’y pénétrer. Des femmes, il y en avait parfois, mais elles étaient de « mœurs légères ». Je devais garder la distance. Je m’arrêtais devant parce que fana de la musique arabe et je prolongeais ce moment. Je ne restais pas trop longtemps pour ne pas me faire remarquer. J’attendais juste que le morceau se termine. Mais jamais, je n’ai voulu troubler la quiétude des hommes qui y étaient. Jamais. Je ne l’ai jamais pensé comme une offense contre moi ou contre les femmes. Je m’en foutais, c’est tout. Je fais miennes les paroles de la dame du reportage : « Moi je ne ressens pas le besoin d’aller dans les bistrots ». Sûrement la parole la plus importante du reportage. Parce qu’elle vient d’une quidam, d’une femme, d’une indigène vivant dans le quartier. Je n’ai pas de statistiques sur lesquelles me reposer mais je sais que cette femme est représentative de la majorité écrasante des femmes de banlieues.
Elle sait comme nous toutes que ces hommes n’ont quasiment aucun pouvoir (non, je n’ignore pas leur machisme mais c’est pas mon sujet ici) contrairement à ce que dit Médiapart, qu’ils sont vulnérables face à leurs patrons quand ils en ont un et qu’elle préfère les voir dans des cafés entre eux que hittistes. Pourquoi, alors qu’ils ne sont les bienvenus nulle part, ni à l’école, ni à l’université ni sur le marché de l’emploi, qu’ils sont sans cesse harcelés par les flics sur leur lieu de vie, s’emploie-t-on à les stigmatiser dans l’un des rares espaces où ils retrouvent une identité sociale ? Et pourquoi cette convivialité masculine qui participe à son niveau de la paix sociale avec tout ce qu’elle charrie d’ambivalence et tout ce qu’elle exprime de misère sociale, est-elle de nouveau sur le banc des accusés ? Pourquoi le reportage s’inquiète-t-il de l’exclusion des FAMMES des cafés alors que l’Etat a organisé leur exclusion de l’école pour celles qui portent le voile ou organise leur précarité dans le domaine de l’emploi ?

Surtout, la mixité, pour quoi faire ?

Les lieux mixtes ne manquent pas. Il y en a trois qui ces derniers temps ont attiré mon attention :
La Brasserie Barbès, Le Grand Bouillon à Aubervilliers (http://www.humanite.fr/un-savant-bouillon-de-culture-auberv…) et le restaurant l’Alhambra à Stains.
Le premier est le symbole de la reconquête blanche et bourgeoise du quartier historique de l’immigration maghrébine. Il se trouve à deux pas du centre Barbara qui est comme une verrue au milieu du visage. Ce sont bien des espaces mixtes. Mais Blancs. On n’y croise ni les femmes, ni les hommes indigènes. Eux continuent de fréquenter les cafés et les bouisbouis du quartier…mais ceux qui ne sont pas chers.
Le deuxième est une sorte de café solidaire où alternent vernissages, marionnettes, théâtre, performances et concerts artistiques. L’identité du lieu est féministe et le projet affiché est la mixité : « une alternative au PMU et au café communautaire ». Dis donc ! Résultat, on y rencontre peu de femmes indigènes, mais beaucoup de bobos. Ils feraient mieux de méditer le propos de cette autre dame du reportage qui faisait partie d’un commando de femmes blanches pour la mixité : « Y’a pas beaucoup de femmes musulmanes qui nous suivent. Elles trouvent l’idée très bien mais elles ne nous suivent pas ».
Le troisième, sûrement l’œuvre d’intégration qui m’attriste le plus. Il est mixte. Il est fréquenté par des musulmans propres sur eux. La carte est à cette image : plus de trace de couscous ou de tagine mais une image de marque associée à l’Alhambra (du temps où on était bien). Mais ma plus grande peine, c’est la musique d’ambiance. Un style lounge, aseptisé. Une fois j’y suis allée pour voir. J’y étais la bienvenue en tant que femme car nos hommes y sont civilisés. Entre le menu blanc, la musique blanche, le service blanc (genre on est des Musulmans du temps de l’Alhambra où on était des Blancs par anticipation) – mais sans les vrais Blancs qui préfèrent l’authentique à la copie - je me suis dit que le prix à payer de cette mixité était trop lourd.
J’ai alors pensé aux hammams non mixtes (oui parce qu’il y a des blasphémateurs qui font des hammans mixtes à Paris), j’ai pensé aux mariages non mixtes où on était séparées des hommes au début et où l’air de rien, on se retrouvait tous sur la piste à la fin – mais pas trop près hein. :)
J’ai pensé à Noura, Zoulikha, Rimmiti, Oum Kelthoum, Fayruz, Saliha, Attabou…ces femmes que les hommes écoutaient dans leurs cafés, qui les faisaient rêver et je me suis dit que je ne remettrai plus les pieds dans des cafés ou des restos mixtes où les femmes et les hommes sont des zombies. Na’l bou la mixité !
Houria

Source : https://www.facebook.com/houria.bouteldja.9/posts/1485800501434929

Commentaire d'une lectrice :

"Houria Bouteldja a omis une toute petite chose, un rien. Nous sommes en France. Notre culture n'est pas à ce point séparatiste. Comme l'avait constaté Jung au début du 20ème siècle, dans la civilisation arabo-musulmane, il existe un fossé entre l'homme et la femme. Si leurs mœurs ont évolué <cela reste à espérer>, c'est grâce aux différentes colonisations et à l'immigration.
Dans notre pays, il ne peut être question de territoires exclusivement réservés aux hommes. Transposer de ces coutumes en France, équivaut à refuser notre mode de vie. il importe dès lors d'en tirer les conséquences.

Autre argument débilitant d'Houria B. au sujet d'un restaurant :
"Le troisième, sûrement l’œuvre d’intégration qui m’attriste le plus. Il est mixte. Il est fréquenté par des musulmans propres sur eux. La carte est à cette image : plus de trace de couscous ou de tagine mais une image de marque associée à l’Alhambra (du temps où on était bien). Mais ma plus grande peine, c’est la musique d’ambiance. Un style lounge, aseptisé. Une fois j’y suis allée pour voir. J’y étais la bienvenue en tant que femme car nos hommes y sont civilisés. Entre le menu blanc, la musique blanche, le service blanc (genre on est des Musulmans du temps de l’Alhambra où on était des Blancs par anticipation) – "
Alors les musulmans n'ont pas droit au choix ? Pour un Arabe pas d'autre alternative que de préparer des couscous-merguez ?
Je connais un excellent chef de cuisine franco-portugais. Professionnellement, il cuisine exclusivement la gastronomie française, celle qui lui a permis d'obtenir ses galons. Dans sa famille les repas sont portugais. Où est le problème ? Il ne se pose pas la question de la perte d'identité. Il est Français d'origine portugaise, comme d'autres sont Français, originaires de Bourgogne.

Quant au Centre Barbara, je le connais très bien. Des salles sont dévolues aux danses exotiques, à la capoeira..., et la mairie est toute disposée à accepter les propositions des conteurs/griots et autres spectacles. C'est un lieu ouvert. Seuls l'aveuglement rageur ou l'argumentaire fallacieux forcément victimaire, peuvent produire un texte d'une telle indigence.


LF

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