30 novembre 2016

Le déclin mélancolique de l’ère Obama


Une poignée de main mi-figue mi-raisin entre le président américain Barack Obama et le président russe Vladimir Poutine, avant et après avoir parlé «pendant environ quatre minutes», debout, en marge du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à Lima, au Pérou, a capturé à la perfection le déclin mélancolique de l’ère Obama.

Un flashback tourbillonnant sur la relation fracassante entre Obama et les «menaces existentielles» posées par la Russie et la Chine résumerait tout, depuis un Maïdan parrainé par Washington à Kiev, jusqu’à un «Assad doit partir» exigé par Obama en Syrie, avec des mentions spéciales pour la guerre des prix du pétrole, le raid sur le rouble, la diabolisation extrême de Poutine et tout ce qui a l’air russe, les provocations dans la mer de Chine méridionale – tout cela jusqu’au bouquet final : le décès du très vanté Traité Transpacifique (TPP), qui a été reconfirmé par l’APEC juste après l’élection de Donald Trump.

C’était presque trop douloureux de voir Obama défendre son héritage – pas exactement spectaculaire – à sa conférence de presse internationale finale – avec, ironiquement, la côte Pacifique sud-américaine en toile de fond – alors que le président chinois Xi Jinping baignait quasiment dans son aura géopolitique permanente, qu’il partage déjà avec Poutine. Quant à Trump, quoique invisible à Lima, il était partout.

L’enterrement rituel, dans les eaux péruviennes du Pacifique, du volet «OTAN commercial» du pivot vers l’Asie – annoncé pour la première fois en octobre 2011 par Hillary Clinton – offrait ainsi à Xi la plateforme idéale pour faire valoir les mérites du Partenariat économique régional (RCEP), largement soutenu par la Chine.

Le RCEP est une idée ambitieuse, visant à devenir le plus grand accord de libre-échange au monde; 46% de la population mondiale, avec un PIB combiné de $17 mille milliards et 40% du commerce mondial. Le RCEP comprend les dix nations de l’ASEAN, plus la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

L’idée du RCEP est née il y a quatre ans, lors d’un sommet de l’ASEAN au Cambodge – et a connu jusqu’à présent neuf cycles de négociations. Curieusement, l’idée initiale est venue du Japon – comme mécanisme permettant de combiner la pléthore d’accords bilatéraux que l’ASEAN a conclus avec ses partenaires. Mais maintenant, la Chine mène la barque.

Le RCEP est aussi le point d’appui de la Zone de libre-échange de la région Asie-Pacifique (FTAAP), un concept qui a été introduit lors d’une réunion de l’APEC à Beijing par – devinez qui – la Chine, avec pour objectif de séduire les nations pour lesquelles cette dernière est le partenaire commercial principal, en les éloignant de la tentation du TPP.

Le RCEP – et même la FTAAP – ne concernent pas une nouvelle série de règles commerciales tous azimuts ultra-complexes, concoctées par les multinationales américaines [dans leur intérêt évidemment, NdT], mais l’extension des accords existants avec l’ASEAN et les nations clés en Asie du Nord, en Asie du Sud et en Océanie.

Il n’y a pas eu besoin de météorologues expérimentés, pour voir dans quelle direction les vents du Pacifique soufflent maintenant. Le Pérou et le Chili sont à bord pour rejoindre le RCEP. Et le Japon – qui négociait le TPP jusqu’à son dernier souffle – a maintenant dirigé le cap vers le RCEP.

Le Sultan entre en scène


Pendant ce temps, Poutine et Xi se sont rencontrés une fois de plus – Poutine révélant qu’il ira en Chine au printemps prochain pour approfondir l’implication russe dans les Nouvelles Routes de la Soie : One Belt, One Road (OBOR). L’objectif ultime est de fusionner l’OBOR, dirigé par les Chinois, avec l’Union économique eurasienne (EEU) dirigée par la Russie.

C’est l’esprit qui sous-tend les vingt-cinq accords intergouvernementaux en matière d’économie, d’investissement et d’industrie nucléaire signés par le Premier ministre russe Dmitri Medvedev et le Premier ministre chinois Li Keqiang à Saint-Pétersbourg au début de novembre, ainsi que la mise en place d’un fonds conjoint Russie-Chine.

Parallèlement, soudainement et presque par miracle, le président turc Tayyip Erdogan, en revenant d’une visite au Pakistan et en Ouzbékistan, a confirmé ce qui était évident depuis quelques mois : «Pourquoi la Turquie ne serait-elle pas parmi les Cinq de Shanghai ? J’ai dit cela à M. Poutine, au président kazakh Nazarbayev, à ceux qui sont dans les Cinq de Shanghai maintenant… Je pense que si la Turquie devait rejoindre les Cinq de Shanghai, cela lui permettrait d’agir avec beaucoup plus de facilité».

Cette bombe se réfère évidemment à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui a commencé en 2001 avec les Cinq de Shanghai – la Chine, la Russie et trois nations d’Asie centrale, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan – l’Ouzbékistan a rejoint plus tard – comme un bloc de sécurité pour combattre le salafisme-djihadiste et le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan.

Au fil des ans, l’OCS a beaucoup évolué vers un mécanisme d’intégration et de coopération en Asie. L’Inde, le Pakistan, l’Iran, l’Afghanistan et la Mongolie sont des observateurs, l’Inde et le Pakistan seront admis comme membres à part entière sans doute en 2017, suivis de l’Iran. La Turquie (depuis 2013) et le Bélarus sont des «partenaires de dialogue» de l’OCS [présents aux réunions mais sans droit de vote, NdT].

Le rusé Erdogan a fait son ouverture à l’OCS tout en soulignant que la Turquie n’avait pas besoin de rejoindre l’UE «à tout prix». C’est devenu plus qu’évident, après qu’Erdogan a survécu au coup d’État de juillet et a déclenché une répression massive qui a été accueillie avec horreur par Bruxelles, où les onze ans – jusqu’ici – de négociations pour l’adhésion turque sont presque bloquées. Et la France, la seconde puissance de l’UE après l’Allemagne, va inévitablement bloquer le processus plus tard, quel que soit le président élu l’année prochaine.

L’adhésion de la Turquie à l’OCS, à long terme, aux côtés de l’Iran, de l’Inde et du Pakistan, représenterait encore une autre étape majeure de l’intégration de l’Eurasie, car l’OCS est progressivement interconnectée avec les Routes de la soie, l’Union économique eurasienne, la Banque d’investissement dans les infrastructures (AIIB), et même la nouvelle Banque de développement du BRICS (NDB), qui commencera à financer des projets pour les membres du groupe, puis étendra ses activités à d’autres pays du Sud. Moscou et Pékin accueilleraient Ankara à bras ouverts.

Quels que soient les contours de la politique étrangère de Trump en Chine et en Asie, l’intégration eurasienne se poursuivra sans relâche. La Chine fait progresser son propre pivot interne et externe, impliquant l’ajustement des politiques financières, budgétaires et fiscales pour stimuler la consommation dans les secteurs de la vente au détail, de la santé, des voyages et des sports, parallèlement au développement des Routes de la soie partout en Eurasie, tout ce qu’il faut pour renforcer une superpuissance économique.

Le TPP – version asiatique d’une OTAN commerciale – est juste un scalp sur une route longue et sinueuse. Et en mer de Chine méridionale, le dialogue se substitue lentement à la confrontation fomentée par l’administration Obama.

A l’APEC, Xi a également rencontré le président philippin Rodrigo Duterte, appelant la Chine et les Philippines à se lancer dans la coopération maritime. Le résultat pratique est que les pêcheurs philippins continueront d’avoir accès à Scarborough Shoal, la zone de pêche fertile à l’intérieur de la zone économique exclusive (ZEE) des Philippines, qui est sous contrôle chinois depuis 2012. Beijing a également promis une aide aux pêcheurs philippins dans les industries alternatives, comme l’aquaculture.

Appelons-le le Partenariat Trans-Mer de Chine méridionale.

Pepe Escobar

Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone

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