10 novembre 2016

L'ancien patron de l'IGPN parle...



Dominique Boyajean est ancien inspecteur général de la police nationale et directeur de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)

La vocation première des forces de police est de servir et de protéger nos concitoyens. Leur mission vise à chaque instant à faire reculer la criminalité et la violence. Aujourd’hui pourtant les policiers de notre pays sont descendus dans la rue pour exprimer spontanément et collectivement un sentiment de colère, ainsi qu’un réel désarroi. En dépit du grand désordre qu’un tel mouvement génère, il nous faut analyser comment ces derniers ont pu en arriver à cette extrémité.


Avant tout, nous devons avoir à l’esprit que l’intensité exceptionnelle de leur mécontentement procède de deux causes fondamentales qui dépassent cette fois le manque de moyens matériels récurrent auquel le politique croit devoir répondre à chaque fois qu’il lui faut calmer la colère dans les rangs. Il s’agit d’une part d’un profond sentiment de déconsidération ressenti par la plupart des policiers et d’autre part d’une perte totale du sens de leur action professionnelle au quotidien.

Une telle situation n’est évidemment pas née en un trait de temps. Depuis les premiers attentats de l’année 2015, les policiers et les gendarmes ont été engagés sur tous les fronts, mais les éphémères témoignages de sympathie qui leur furent exprimés au moment le plus fort de l’émotion provoquée par la tragédie de janvier sont déjà bien loin.

Dans le contexte délétère que nous connaissons et alors même que des efforts considérables leur ont été demandés depuis plusieurs mois, les policiers ressentent aujourd’hui un véritable manque de reconnaissance ainsi qu’un sentiment d’abandon qui ne sont pas comparables avec le déficit de gratitude qu’ils éprouvent habituellement.

Mais plus encore, c’est désormais l’autorité des forces de l’ordre qui est gravement battue en brèche, non plus seulement parce qu’il s’agirait d’une valeur socialement déconsidérée, mais surtout parce que depuis 2012, l’autorité même de l’Etat s’est délitée au fil des atermoiements et de l’irrésolution affichée du gouvernement, par delà même le seul exercice des fonctions régaliennes.

Une telle déficience génère des conséquences insupportables pour les forces de l’ordre qui non seulement ont le sentiment très ancré de ne plus être considérées, mais voient au quotidien leur intégrité physique de plus en plus gravement menacée, y compris à l’occasion d’interventions bénignes. Ainsi, chaque mois, plus de 500 policiers supplémentaires sont blessés dans une réelle indifférence. A cet égard, on ne peut que déplorer le terme de « sauvageons » qui a pu être employé à propos des incendiaires de Viry-Châtillon et qui procède d’une infinie maladresse. Dans l’esprit des policiers, ce terme est révélateur - probablement inconsciemment de la part de son auteur - du peu de considération que les autorités politiques actuelles peuvent avoir au fond d’elles-mêmes envers eux. Il a d’ailleurs été un peu facile - après coup - de laisser le DGPN se rendre seul sur les lieux pour tenter d’apaiser une situation ainsi catalysée.

La seconde cause fondamentale qui nourrit fortement l’exacerbation des policiers est celle de la perte du sens de leur mission. Au regard de l’exigence d’une implication personnelle de plus en plus intensive dans l’exercice quotidien de leur métier, les agents ne distinguent plus l’aboutissement de leur engagement.

Il s’agit là notamment de la problématique de la réponse judiciaire. C’est peu dire que cette réponse n’est pas à la hauteur des enjeux sécuritaires de notre société, ni même en rapport avec l’investissement professionnel des forces de police ou de gendarmerie. Il n’est évidement pas question de considérer ici que les magistrats sont systématiquement laxistes, mais il faut admettre que la réponse pénale se heurte à bien des écueils, telle l’insuffisante capacité d’accueil en milieu carcéral, situation que le gouvernement semble avoir récemment découverte après plus de quatre ans de passivité.

L’efficacité de la réponse judiciaire est également impactée par une conception permissive qui laisse entendre que la prison doit constituer une sanction exceptionnelle. C’est ainsi que depuis 2012, la politique pénale a été singulièrement écornée par les réformes inspirées par l’ex-garde des sceaux, tels le vote de la loi instituant la contrainte pénale en substitution de peines de prison, l’abolition des peines planchers ou encore la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.

Ces décisions très idéologiques - conformes à celles d’un gouvernement de gauche - n’ont évidemment pas donné de signes propices à une action répressive efficace, bien au contraire. La pratique quotidienne du prononcé différé de la sanction pénale ou a fortiori celle qui consiste à multiplier les très symboliques rappels à la loi - y compris pour des faits parfois empreints de gravité -, sont autant d’accommodements qui viennent accentuer plus encore la dérive de l’Etat régalien dans le contexte actuel.

Aujourd’hui une allocation de moyens matériels supplémentaires va être accordée aux policiers pour tenter de répondre partiellement aux demandes que les organisations syndicales croient devoir relayer, leur ralliement au mouvement spontané n’ayant pas été souhaité. Acceptons-en l’augure. Il n’en demeure pas moins que cette démarche collective des agents de police reste l’expression d’un profond malaise qui doit être entendu, n’en déplaise à certains responsables politiques de gauche qui ont cru bon devoir jeter l’opprobre sur les policiers en insinuant que leur mouvement était le fruit d’une récupération par l’extrême droite.

La réponse que les policiers attendent passe certainement par un soutien plus actif de leur hiérarchie au quotidien. Elle appelle également pour l’avenir le vote de budgets de fonctionnement renforcés, ainsi que d’authentiques évolutions juridiques au plan de l’adaptation des règles de la légitime défense. Mais, bien plus encore, elle ne sera véritablement salutaire qu’à l’émergence d’un nouveau paradigme politique susceptible de restaurer l’autorité de l’Etat et entièrement désincarné de l’idéologie permissive.

Il en va de la sauvegarde de notre démocratie.

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