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23 octobre 2016

Valéri Brioussov


AU POÈTE

Un blanc royaume de givre
S’étend sur mon cœur gelé ;
Douceur étrange de vivre
Seul en son rêve exilé :
Un blanc royaume de givre
S’étend sur mon cœur gelé.

Chaque ombre y glisse, si pure
Qu’on la croit d’enchantement.
Tout mot y devient murmure,
S’il caresse ou bien s’il ment.
Chaque ombre y glisse, si pure
Qu’on la croit d’enchantement.

Je me voue à l’adorable,
Inaccessible beauté.
Pour l’univers misérable
Mon cœur n’a point palpité :
J’aime un rêve, l’adorable,
Inaccessible Beauté.


À LA TERRE

Terre, aide-moi, terre, ô ma mère !
Du silence fais-moi l’époux :
Ta noire glèbe se desserre
Sous ma bêche frappant ses coups.

De tout ce qui vit, mère tendre,
Épouse de tout ce qui vit,
Laisse-moi, dans ce bloc de cendre,
Trouver l’anneau qui nous unit.

Permets-moi l’heureuse alliance.
Consacre à mes vœux ton vouloir.
Tu maries au vent le silence,
La rosée aux prés, l’aube au soir.

Les yeux secs, consumés de fièvres,
Laisse-moi retrouver l’anneau ;
Je la baise à ses sombres lèvres,
Ta face où je tombe à genoux.

Loin de toi, je m’exilai, mère,
Vers l’asphalte et vers le granit.
Aux champs d’épis fauchés naguère,
Qu’il est doux de faire son lit !

Je suis ton fils, cendre moi-même ;
Je germe en chantant comme toi.
D’où vient donc que je tremble et j’aime,
Et que je songe, aux nuits d’effroi ?

De l’azur, le printemps émerge.
Le vent libre emporte tous bruits.
Où vous cachez-vous, douce vierge,
Jours sans désirs et sans ennuis ?

Aide-moi. Je suis las, ô mère,
De heurter ton sein à nouveau.
Ou bien peut-être ma prière,
Dois-tu l’exaucer au tombeau.

Valéri Brioussov

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