17 octobre 2016

SNCF : la réduc pour tous que personne ne connaît


Peu de gens l'utilisent et pourtant il peut faire économiser, une fois par an, jusqu'à 50% sur un billet de train à presque tout un chacun. «Libération» lève le voile sur le «billet de congé annuel», dispositif oublié, mais toujours valable, datant de 1936.

SNCF : la réduc pour tous que personne ne connaît

Mais comment a-t-on pu passer à côté ? Depuis des années, il était là, vieillissant, mais toujours prêt à rendre service pour alléger la facture des vacances. Et ce depuis 1936 ! Et pourtant, alors que chacun s’affaire déjà à programmer les vacances de Noël, à la recherche du voyage le plus économique, peu de personnes pensent au «billet de congé annuel». Le quoi ? Egalement appelé «billet populaire de congé annuel» par la SCNF qui le commercialise, ce tarif réduit permet d’acheter un billet dans tous les trains SNCF (TGV, Intercités, TER) à moins 25% pour un voyage aller-retour ou circulaire (les arrêts en cours de route étant autorisés) d’au moins 200 kilomètres en France. La réduction peut même atteindre 50%, lorsque au moins la moitié du billet est réglé avec des chèques-vacances. 

Une large palette de bénéficiaires

Quelques contraintes toutefois : ce billet, «l’un des huit tarifs sociaux nationaux que la SNCF applique sur son réseau sur demande de l’Etat», explique un responsable de la SNCF, ne peut être utilisé qu’une seule fois par an et seulement au cours des congés annuels. En revanche, il est ouvert à une très large palette de bénéficiaires : salariés, agents de la fonction publique, travailleurs à domicile, artisans et exploitants agricoles, mais aussi demandeurs d’emploi bénéficiant d’une allocation de chômage, stagiaires de la formation professionnelle ou encore retraités. Surtout, il permet de bénéficier d’une réduction pour le demandeur, mais aussi pour les membres de sa famille : conjoint, enfants de moins de 21 ans, et dans certaines conditions, parents. «Ces personnes n’ont pas obligation de voyager en même temps. Cependant, le prix du billet doit être payé en une seule fois pour l’ensemble des voyageurs», précise le site Service public, un des rares à donner des informations sur le dispositif.

Car s'il existe depuis plus de 80 ans, il reste relativement discret. Sur Internet, il n’est jamais, ou très peu, cité par les associations d’aide aux plus précaires qui promeuvent les vacances pour tous. Ni par le réseau des caisses d’allocations familiales. Quant au site commercial de la SNCF, il ne lui accorde qu’une toute petite place dans sa rubrique «aide». Pourquoi ce silence ? «On ne communique pas en ligne sur ce sujet, car pour ces billets, il faut se rendre en gare ou en boutique», botte en touche la SNCF. Même discrétion sur le site de l’Agence National des chèques vacances (ANCV) qui, bien que partenaire, ne dit pas un mot sur le dispositif dans son guide en ligne, et se contente de le citer brièvement dans sa «foire aux questions». «Globalement, il y a peu de communication dessus, car les gens vont plus vers des billets de train ou d’avions low-cost bien moins chers. Et puis, le dispositif billet congé annuel est assez contraignant», plaide-t-on du côté de l’ANCV. 

«Mesure iconique du Front Populaire»

Résultat : le dispositif est peu, voir pas du tout connu des bénéficiaires potentiels. Et ce malgré une histoire glorieuse. «Ce dispositif est une mesure iconique du Front Populaire. Il a été voulu par Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports, à l’été 1936. Le gouvernement veut alors faire en sorte que la toute récente loi sur les congés payés [deux semaines, à l’époque, ndlr] ne soit pas une mesure sans application. On ne peut pas décréter du temps libre et ne pas aider les gens à en profiter !», raconte Marion Fontaine, maître de conférences à l'université d'Avignon. D’où la création, le 2 août 1936, de billets à tarif réduit à destination des catégories populaires, annoncés dans la presse dès le mois de juillet.

600 000 billets sont ainsi distribués la première année, puis 1,8 million en 1937. La réduction est alors de 40%. «Comme le train était le moyen idéal, et peu concurrencé, d’amener ces nouveaux clients en nombre important vers les destinations de loisir, l’Etat a demandé aux compagnies privées de chemin de fer, qui deviendront la SNCF en 1938, de proposer un tarif attractif», poursuit la SNCF.

Depuis, le taux de réduction a baissé, les conditions d’attribution se sont élargies, une remise supplémentaire a été accordée aux clients qui payent en «chèque-vacances». Mais le billet, «a peu, voire pas évolué depuis sa création», note l’ANCV. «Personne n’a jamais pensé ou osé l’abolir. Politiquement, ce serait destructeur», pointe l’historienne Marion Fontaine. Au contraire, en 1957, la question d’un second «billet populaire de congé annuel» est même évoquée à l’Assemblée nationale, pour aider les gens à partir en vacances d’hiver. En 1992, le ministère du Tourisme envisage la faisabilité d’un plafonnement des ressources des bénéficiaires pour «permettre l’attribution d’un second billet de transport à prix réduit aux catégories sociales les plus modestes, leur donnant ainsi la possibilité de prendre des vacances d’hiver». Mais la mesure n’aboutit pas. 

Parcours du combattant

Depuis, la cote de popularité du dispositif a dégringolé. La faute, en partie, à la lourdeur du dispositif. Pour en bénéficier, le bénéficiaire doit d’abord retirer un formulaire disponible dans les points de vente SNCF, le remplir puis le faire compléter à sa direction des ressources humaines, joindre d’éventuels certificats, avant de retourner le tout en agence, au moins 24 heures avant le départ. Autant dire que rien n’est fait pour inciter les gens à se lancer… Il est toutefois possible de télécharger un formulaire sur le site Voyages-sncf.com. Mais encore faut-il le trouver… Là aussi, le périple relève du parcours du combattant, avec six clics nécessaires, au total, pour arriver sur la bonne page. Certes, le document (version salariés et version autres statuts) date de 2013, mais il serait toujours valable, selon un agent SNCF.

De quoi en décourager plus d’un… Comme Laurence, salariée du privé à Paris, qui s’est laissé tenter une fois par le dispositif, il y a sept ans, avant de se jurer de ne plus jamais s’y risquer: «Il y a un côté un peu humiliant de se rendre dans le bureau de la DRH pour faire signer son document. Et puis, il faut faire la queue à la gare pendant des plombes, c’est pénible… Ça vaut peut-être le coup pour un voyage prévu à l’avance, mais pas forcément pour n’importe quel trajet.» D’autres, dans un calcul coûts avantages, se rabattent plutôt sur les autres offres tarifaires de la SNCF, comme les Prem’s, ou de sa filiale à bas coût, Ouigo. 

Contrepartie financière

Reste les plus courageux. Chaque année, près d’un million de trajets sont effectués dans le cadre de ce disposif, estime la SNCF. Ce qui revient à 500 000 personnes bénéficiant d’un aller-retour, ayants droit compris. «Ce billet est plus utilisé en été, lors de la période des vacances scolaires. Par ailleurs, on compte plus de salariés que de retraités, puisque ces derniers ont d’autres tarifs avantageux», précise la compagnie de transport, peu bavarde sur le dispositif et ses bénéficiaires.

Si ces recours ne sont pas très nombreux - près de quatre fois moins qu’en 1937 - ils représentent toutefois un coût… qui ne repose pas sur la belle générosité de la SNCF. «Comme pour tous les tarifs sociaux, ce mécanisme conduit à un manque à gagner pour l’entreprise qui a l’obligation de l’appliquer et l’Etat verse une contrepartie financière», explique la SNCF. Le cahier des charges de la SNCF prévoit en effet que les huit tarifs sociaux mis en œuvre à la demande de l’Etat donnent lieu à une «contribution globale de celui-ci». Chaque année, l’Etat met donc la main à la poche pour compenser les billets utilisés sur les grandes lignes. Ce sont, en revanche, les régions qui payent la note pour les TER. Dans le projet loi de finance 2017, l’enveloppe est fixée à 25,7 millions d’euros, les «billets populaires de congé annuel» arrivant en seconde place du «trafic» de ces tarifs sociaux. Là où elle s’élevait à 40 millions d’euros en 2012. Preuve de la perte de vitesse de ces dispositifs quelque peu remisés ? Ou du désengagement de l’Etat ? Interrogé par Libération, le secrétariat d’Etat en charge des Transports n’a, pour l’heure, pas répondu à nos questions.

Amandine Cailhol 

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