02 septembre 2016

Éloge de la Fuite

Henri Laborit
Alors, le contact humain, la chaleur humaine, qu’en faites-vous ?

– Ce que les hommes ont à communiquer entre eux, la science et l’art, ils ont bien des moyens d’en faire l’échange. J’ai reçu d’eux plus de choses par le livre que par la poignée de main. Le livre m’a fait connaître le meilleur d’eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l’Histoire, la trace qu’ils laissent derrière eux.

Mais combien d’hommes ne laissent pas de trace écrite et qu’il serait enrichissant de connaître ? Ceux qui souffrent et travaillent n’ont point le temps d’écrire.


– Oui, mais est-on sûr que la prise de contact avec ceux-là est empreinte du seul souci de la connaissance et de la participation au transport de leur croix ? Le paternalisme, le narcissisme, la recherche de la dominance, savent prendre tous les visages. Dans le contact avec l’autre on est toujours deux. Si l’autre vous cherche, ce n’est pas souvent pour vous trouver, mais pour se trouver lui-même, et ce que vous cherchez chez l’autre c’est encore vous. Vous ne pouvez pas sortir du sillon que votre niche environnementale a gravé dans la cire vierge de votre mémoire depuis sa naissance au monde de l’inconscient. Puis-je dire qu’il m’a été donné parfois d’observer de ces hommes qui, tant en paroles qu’en action, semblent entièrement dévoués au sacrifice, mais que leurs motivations inconscientes m’ont toujours paru suspectes. Et puis certains, dont je suis, en ont un jour assez de ne connaître l’autre que dans la lutte pour la promotion sociale et la recherche de la dominance. Dans notre monde, ce ne sont pas des hommes que vous rencontrez le plus souvent, mais des agents de production, des professionnels. Ils ne voient pas non plus en vous l’Homme, mais le concurrent, et dès que votre espace gratifiant entre en interaction avec le leur, ils vont tenter de prendre le dessus, de vous soumettre. Alors, si vous hésitez à vous transformer en hippie, ou à vous droguer, il faut fuir, refuser la lutte si c’est possible. Car ces adversaires ne vous aborderont jamais seuls. Ils s’appuieront sur un groupe ou une institution. L’époque de la chevalerie est loin où l’on se mesurait un à un, en champ clos. Ce sont les confréries qui s’attaquent aujourd’hui à l’homme seul, et si celui-ci a le malheur d’accepter la confrontation, elles sont sûres de la victoire, car elles exprimeront le conformisme, les préjugés, les lois socio-culturelles du moment. Si vous vous promenez seul dans la rue, vous ne rencontrerez jamais un autre homme seul, mais toujours une compagnie de transport en commun.

Quand il vous arrive cependant de rencontrer un homme qui accepte de se dépouiller de son uniforme et de ses galons, quelle joie ! L’Humanité devrait se promener à poil, comme un amiral se présente devant son médecin, car nous devrions tous être les médecins les uns des autres. Mais si peu se savent malades et désirent être soignés ! N’ont-ils pas suivi très fidèlement les règles du livre d’Hygiène et de Prophylaxie que la société bienveillante a déposé dans leur berceau à la naissance ?

Cette distinction que j’ai faite au début entre le réel et l’imaginaire, nous la retrouvons au niveau d’organisation des sociétés. Les rapports interindividuels qui s’établissent en leur sein, fondés sur le fonctionnement du système nerveux humain en situation sociale et qui aboutissent aux hiérarchies professionnelles et aux dominances, sont bien réels et vécus comme tels. Mais le fonctionnement nerveux est inconscient de ses sources structurelles innées et acquises. Il nous vient tout droit des étapes préhominiennes de l’évolution auxquelles l’imaginaire lui- même s’est soumis. La créativité n’y est considérée qu’en fonction de l’innovation technique et de la marchandise par lesquelles s’établissent les dominances. Aussi les hommes, pour fuir le malaise qui en résulte, se mettent-ils parfois à utiliser l’imaginaire pour proposer des structures sociales dans lesquelles ces rapports aliénants disparaîtraient. Malheureusement, comme ces derniers résultent, nous venons de le dire, de l’expression de leur inconscient pulsionnel drainé par l’acquis socio-culturel qu’ils ne prennent jamais en compte, l’amour pour l’œuvre imaginaire n’arrive jamais à coïncider avec le réel amputé de ses sources profondes. Et le mot d’amour demeure ce terme mensonger qui absout toutes les exploitations de l’homme par l’homme, puisqu’il se veut d’une autre essence que celle des motivations les plus primitives, contre lesquelles d’ailleurs il ne peut rien, pas plus que le mot « bouclier » ne peut protéger des balles.

Les problèmes que pose la vie à chacun de nous, je n’ai trouvé aucun catéchisme, aucun code civil ou moral, capables de m’en fournir les réponses. Le Christ me les a données, mais outre que c’est un Monsieur qui n’est pas très recommandable, je le suspecte parfois de changer de visage avec le client.

Pour ceux qui le connaissent, il est l’œuvre accomplie dont je parlais plus haut, l’imaginaire incarné. Mais du fait même de cette incarnation, peut-il être mieux que ce que nous sommes ? Cela n’est possible que s’il représente l’imaginaire incarné dans l’espèce comme dans chaque individu, élément de l’ensemble. Pour lui aussi, à mon sens, le mot d’amour a été galvaudé. Dans le contexte où il est utilisé on peut aussi bien choisir celui de haine. Il y a autant d’amour dans la haine qu’il y a de haine dans l’amour. C’est une question d’endocrinologie.

Il est plus facile de dire que l’on aime l’espèce humaine, l’homme avec un grand H, que d’aimer, et non pas simplement avoir l’air d’aimer, son voisin de palier. Mais il est plus facile aussi d’aimer sa femme et ses enfants quand ils font partie des objets gratifiants de votre territoire spatial et culturel, que d’aimer le concept abstrait de l’Humanité dans son ensemble. Il faudrait ne pas avoir de territoire du tout, c’est-à-dire ne pas avoir de système nerveux ou au contraire considérer que ce territoire est la planète tout entière, opinion que les autres se chargeraient rapidement de contredire, pour vivre en paix. « Mon territoire n’est pas de ce monde »… Bien sûr, il appartient au monde des structures, au monde de l’imaginaire. Malheureusement, l’imaginaire prend naissance dans un système nerveux et les structures n’existent que pour organiser les éléments d’un ensemble : l’œuvre et le modèle, toujours. Il faut accepter de vivre avec le modèle et de mourir pour l’œuvre. C’est l’éternel conflit entre le « principe de plaisir » et le « principe de réalités » vous diront les psychanalystes et je ne vous proposerai pas autre chose que la « sublimation ». Ce n’est pourtant pas tout à fait cela, à mon avis. Le réel que je vous propose n’est pas celui de la niche environnementale immédiate, celui que l’on touche, que l’on sent, que l’on voit. Celui-là, même si vous vous admettez la différence, la non-appropriation, l’autonomie partielle de l’autre (ce qui sera d’ailleurs considéré comme de l’indifférence) n’est pas encore suffisamment informé dans son ensemble, ou plutôt se trouve trop déformé par la culture pour accepter qu’inversement vous puissiez bénéficier des mêmes avantages. Aimer l’autre, cela devrait vouloir dire que l’on admet qu’il puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre propre gratification, accepter qu’il vive conformément à son système de gratification personnel et non conformément au nôtre. Mais l’apprentissage culturel au cours des millénaires a tellement lié le sentiment amoureux à celui de possession, d’appropriation, de dépendance par rapport à l’image que nous nous faisons de l’autre, que celui qui se comporterait ainsi par rapport à l’autre serait en effet qualifié d’indifférent.

Cependant, il existe d’autres espaces gratifiants que celui qui vous entoure immédiatement, et qui sont tout aussi réels que lui, mais médiats. C’est ce à eux que l’on peut atteindre le collectif, le social. L’espace planétaire en est un, et les structures sociales qui le remplissent sont une réalité. Mais cette réalité, vous ne pouvez l’atteindre avec la main, les yeux, les lèvres. Vous ne pouvez l’influencer que par l’intermédiaire des mass media. Vous ne pouvez exercer sur elle une autorité, un pouvoir, qu’à travers la symbolique du langage, et l’expression des concepts. Vous vous heurterez bien évidemment aux langages et aux concepts dominants. Mais votre lutte s’engagera à un autre niveau d’organisation que celui où se tiennent les rapports d’homme à homme. Vous ne vous laisserez plus enfermer dans un espace étroit au sein duquel tout l’inconscient dominateur des individualités entre en conflit pour l’obtention de la dominance. Et surtout vous pouvez fuir, pour vous regrouper à un autre niveau d’organisation, jusqu’aux limites de la planète. Il s’agit en définitive de faire de votre réalité une structure ouverte et non pas une structure fermée par les frontières de l’Œdipe familial ou social.

Déçus ? Bien sûr vous l’êtes. Entendre parler de l’Amour comme je viens de le faire a quelque chose de révoltant. Mais cela vous rassure en raison même de la différence. Car vous, vous savez que l’esprit transcende la matière. Vous savez que c’est l’amour particulier, comme l’amour universel, qui transportent l’homme au-dessus de lui-même. L’amour qui lui fait accepter parfois le sacrifice de sa vie. « Parrroles, Parroles, Parroles », chuchote Dalida avec cet accent si profondément humain qu’il touche au plus profond du cœur les foules du monde libre. Vous savez, vous, que ce ne sont pas que des mots, que ce qui a fait la gloire des générations qui nous ont précédés, sont des valeurs éternelles, grâce auxquelles nous avons abouti à la civilisation industrielle, aux tortures, aux guerres d’extermination, à la déstructuration de la biosphère, à la robotisation de l’homme et aux grands ensembles. Ce ne sont pas les jeunes générations évidemment qui peuvent être rendues responsables d’une telle réussite. Elles n’étaient pas encore là pour la façonner. Elles ne savent plus ce qu’est le travail, la famille, la patrie. Elles risquent même demain de détruire ces hiérarchies, si indispensables à la récompense du mérite, à la création de l’élite. Ces penseurs profonds qui depuis quelque temps peuplent de leurs écrits nos librairies, et que la critique tout entière se plaît à considérer comme de véritables humanistes, sachant exprimer avec des accents si « authentiques » toute la grandeur et la solitude de la condition humaine, nous ont dit : retournons aux valeurs qui ont fait le bonheur des générations passées et sans lesquelles aucune société ne peut espérer en arriver où nous sommes. Sans quoi nous risquons de perdre des élites comme celles auxquelles ils appartiennent, ce qui serait dommage. Qui décidera de l’attribution des crédits, de l’emploi de la plus-value, qui dirigera aussi « humainement » les grandes entreprises, les banques, qui tiendra dans ses mains les leviers de l’État, ceux du commerce et de l’industrie, qui sera capable enfin de perpétuer le monde moderne, tel queux-mêmes l’ont fait ? Et toute cette jeunesse qui profite de ce monde idéal, tout en le récusant, ferait mieux de se mettre au travail, d’assurer son avenir promotionnel et l’expansion économique, qui est le plus sûr moyen d’assurer le bonheur de l’homme. La violence n’a jamais conduit à rien, si ce n’est à la révolution, à la Terreur, aux guerres de Vendée et aux droits de l’Homme et du Citoyen. Sans doute, il y a des bombes à billes, au napalm, les défoliants, les cadences dans les usines, les appariteurs musclés, mais tout cela (pour ne citer qu’eux) n’existe que pour apprendre à apprécier le monde libre à ceux qui ne savent pas ce qu’est la liberté et la civilisation judéo-chrétienne. Conservons la vie, ce bien suprême, pénalisons l’avortement, la contraception, la pornographie (qui n’est pas l’érotisme, comme chacun sait) et favorisons, au nom de la patrie, les industries d’armement, la vente à l’étranger des tanks et des avions de combat, qui n’ont jamais fait de mal à personne puisque ce sont les militaires qui les utilisent. Si parfois ces bombes tuent des hommes, des femmes et des enfants, ceux-là ont déjà pu apprécier les avantages de la vie, en goûter les joies familiales et humaines. Alors que ces pauvres innocents de la curette ou de l’aspirateur ne sauront jamais les joies qu’ils ont perdues, le bonheur de se trouver parmi nous. Savez-vous si parmi eux il ne s’en serait pas trouvé un qui aurait même pu devenir président de la République ? Non, croyez-moi, laissez-les vivre, car même si l’existence n’est pas une formule idéale, vous savez bien que la douleur élève l’homme et que nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert. (Cette dernière phrase, pour être la preuve d’une culture authentique, devrait s’accompagner d’un renvoi en bas de page sur une référence bibliographique.)

Oui, ce que je viens d’écrire sur l’amour est attristant. Cela manque totalement de spiritualité. Heureusement qu’il nous reste saint François d’Assise, Paul VI et Michel Droit. Heureusement qu’il existe encore des gens qui savent, eux, pourquoi ils ont vécu, et pourquoi ils vivent. Demandez-leur. Ils vous diront que c’est pour l’Amour avec un grand A, pour les autres, grâce au sacrifice d’eux-mêmes. Et il faut les croire parce que ce sont des êtres conscients et responsables. Il suffit de voir leur tête pour comprendre combien ils ont souffert dans leur renoncement I

J’aurais pu vous dire que ma motivation profonde depuis mon plus jeune âge avait été de soulager l’humanité souffrante, de trouver des drogues qui guérissent, d’opérer et de panser des plaies saignantes. J’aurais pu vous dire que mon rôle ne s’était pas limité à soigner le corps, mais que j’avais toujours cherché derrière le corps physique à atteindre l’Homme tout entier, moral et spirituel, à grands coups de colloques singuliers payables à la sortie, et derrière chaque individu que j’avais tenté de comprendre, l’humaine condition. A cela, toute mon hérédité familiale m’avait conduit. J’aurais pu vous dire comment, par mon seul mérite, j’avais gravi les échelons d’une carrière honorable, au cours de laquelle bien sûr je m’étais heurté à l’égoïsme souvent, à la bêtise parfois, mais combien tout cela avait été insignifiant comparé à la chaleur humaine, aux contacts humains, aux joies de l’amitié et de l’amour auxquelles je m’étais livré à corps perdu en donnant le meilleur de moi-même. Après la lecture d’un tel livre, vous auriez acquis une haute opinion de l’auteur et de son idéal humain (un idéal peut-il être autre chose qu’humain ?), et dare-dare, devant un tel exemple vous auriez tenté de l’imiter. Animé par cette nouvelle ardeur, vous-même, le groupe social auquel vous appartenez, le pays, la culture et finalement l’espèce humaine tout entière, se seraient enrichis. Vous auriez permis, en restant à votre juste place (une place est toujours juste et méritée) que soient conservés des idéaux d’Amour, de Probité, d’Honneur, de Sacrifice, qui sont les seules valeurs capables de faire progresser l’Humanité souffrante (l’Humanité est toujours souffrante, vous avez remarqué ?).

Au lieu de cela, vous découvrez un homme qui, suivant les critères qui sont les vôtres, vous dit que nous sommes tous pourris, tous vendus, qu’il n’existe à son avis ni amour, ni altruisme, ni liberté, ni responsabilité, ni mérite qui puissent répondre à des critères fixés d’avance, à une échelle de valeurs humainement conçue, que tout cela est une chienlit pour permettre l’établissement des dominances. Que les choses se contentent d’être, sans valeur autre que celle que lui attribue un ensemble social particulier. Notez qu’il n’a aucun moyen de cœrcition, aucune inquisition à son service capable de vous obliger « librement » à le croire, et ce n’est pas son insignifiante expérience personnelle qui peut vraisemblablement vous convaincre.

Peut-être d’ailleurs l’étude de la biologie des comportements à laquelle il fait si souvent référence, car il croit qu’elle le singularise, lui a-t-elle fourni cet alibi logique dont il parle souvent aussi, pour couvrir sa très réelle médiocrité sentimentale ? Ne connaissant des autres que leurs comportements, il a cru qu’ils étaient motivés comme il l’était lui-même, mais restaient inconscients de leurs motivations réelles. Peut-être sont-ils tous bons, généreux, conciliants, tolérants, simples, humbles, acceptant la dominance quand elle s’offre à eux comme un fardeau qu’ils n’ont pas cherché à conquérir ? Peut-être sont-ils effectivement tous ce qu’il vous conseillent d’être vous-même, en faisant référence à cet humanisme si réconfortant, à ces sublimations et à ces transcendances qui guident nos élites méritantes ? Peut-être, après tout, que leur dominance ils ne la doivent qu’à leurs qualités exceptionnelles et qu’elle leur est donnée par surcroît ? On peut se demander même s’ils savent en profiter ?

Ainsi, j’ai compris que ce que l’on appelle « amour » naissait du réenforcement de l’action gratifiante autorisée par un autre être situé dans notre espace opérationnel et que le mal d’amour résultait du fait que cet être pouvait refuser d’être notre objet gratifiant ou devenir celui d’un autre, se soustrayant ainsi plus ou moins complètement à notre action. Que ce refus ou ce partage blessait l’image idéale que l’on se faisait de soi, blessait notre narcissisme et initiait soit la dépression, soit l’agressivité, soit le dénigrement de l’être aimé.

J’ai compris aussi ce que bien d’autres avaient découvert avant moi, que l’on naît, que l’on vit, et que l’on meurt seul au monde, enfermé dans sa structure biologique qui n’a qu’une seule raison d’être, celle de se conserver. Mais j’ai découvert aussi que, chose étrange, la mémoire et l’apprentissage faisaient pénétrer les autres dans cette structure, et qu’au niveau de l’organisation du moi, elle n’était plus qu’eux. J’ai compris enfin que la source profonde de l’angoisse existentielle, occultée par la vie quotidienne et les relations interindividuelles dans une société de production, c’était cette solitude de notre structure biologique enfermant en elle-même l’ensemble, anonyme le plus souvent, des expériences que nous avons retenues des autres. Angoisse de ne pas comprendre ce que nous sommes et ce qu’ils sont, prisonniers enchaînés au même monde de l’incohérence et de la mort. J’ai compris que ce que l’on nomme amour pouvait n’être que le cri prolongé du prisonnier que l’on mène au supplice, conscient de l’absurdité de son innocence ; ce cri désespéré, appelant l’autre à laide et auquel aucun écho ne répond jamais. Le cri du Christ en croix: « Eli, Eli, lamma sabacthani » « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Il n’y avait là, pour lui répondre, que le Dieu de l’élite et du sanhédrin. Le Dieu des plus forts. C’est sans doute pourquoi on peut envier ceux qui n’ont pas l’occasion de pousser un tel cri, les riches, les nantis, les tout-contents d’eux-mêmes, les fiers-à-bras-du-mérite, les héros de l’effort récompensé, les faites-donc- comme-moi, les j’estime-que, les il-est-évident-que, les sublimateurs, les certains, les justes. Ceux-là n’appellent jamais à l’aide, ils se contentent de chercher des « appuis » pour leur promotion sociale. Car ; depuis l’enfance, on leur a dit que seule cette dernière était capable d’assurer leur bonheur. Ils n’ont pas le temps d’aimer, trop occupés qu’ils sont à gravir les échelons de leur échelle hiérarchique. Mais ils conseillent fortement aux autres l’utilisation de cette « valeur » la plus « haute » dont ils s’affirment d’ailleurs pétris. Pour les autres, l’amour commence avec le vagissement du nouveau-né lorsque, quittant brutalement la poche des eaux maternelle, il sent tout à coup sur sa nuque tomber le vent froid du monde et qu’il commence à respirer, seul, tout seul, pour lui-même, jusqu’à la mort. Heureux celui que le bouche à bouche parfois vient assister.

– Narcisse, tu connais ?

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Laborit (H.) (1974), « Action et réaction. Mécanismes bio et neurophysiologiques », Agressologie, 15, 5, 303-­‐‑322. 2. Selye (H.) (1936), « A syndrome produced by diverse noxious agents », Nature (Lond.), 138, 32.
Laborit (H.)(1971),« L’homme et la ville », N.B.S., Flammarion, Paris.


Une idée de l’Homme

Ce que je viens d’en dire en parlant de l’amour et ce que je vais en dire au cours des prochains chapitres fournit une idée de l’Homme plus complète que celle que je pourrais enfermer en quelques pages. Je ne ferai ici que souligner quelques notions qui me paraissent particulièrement importantes. Animal, l’Homme l’est. Il en possède les besoins, les instincts primordiaux, ceux d’assouvir sa faim, sa soif et sa sexualité, ses pulsions endogènes en quelque sorte, suivant un certain rituel propre à son espèce. Il en possède aussi les possibilités de mémorisation à long terme, les possibilités d’apprentissage. Mais ces propriétés communes aux mammifères sont profondément transformées par le développement de propriétés anatomiques et fonctionnelles qui résultent sans doute du passage à la station debout, à la marche bipède, à la libération de la main, à la nouvelle statique du crâne sur la colonne vertébrale, au développement rendu possible alors du naso-pharynx permettant l’articulation des sons et le langage. Avec celui-ci, le symbolisme et la conceptualisation apparaissent. Avec les mots permettant de prendre de la distance d’avec l’objet, une possibilité nouvelle d’associativité, donc de création d’imaginaire nous est donnée. Avec l’imaginaire, la possibilité de créer de l’information et d’en façonner le monde inanimé fait l’Homme. Avec le langage encore, la possibilité de transmettre à travers les générations l’expérience acquise fut possible. L’enfant qui naît de nos jours bénéficie en quelques mois ou quelques années, de cette façon, de toute l’expérience acquise depuis les premiers âges humains, par l’espèce tout entière. L’expérience put ainsi s’accumuler, surtout lorsque l’écriture vint compléter la transmission orale, plus facile à déformer. Malheureusement, le langage fournit seulement une interprétation logique des faits de conscience. Les pulsions, l’apprentissage culturel, demeurent dans le domaine de l’inconscient. Ce sont eux qui guident le discours, et celui- ci couvre d’alibis logiques l’infinie complexité des fonctions primitives et des acquis automatisés. Dans le sommeil du rêve, il semble que ceux-ci retrouvent leur autonomie, et lorsque nous en conservons la mémoire après retour à la conscience de l’éveil, ils nous effraient souvent. Car la logique du rêve n’est pas celle du discours conscient. Elle déroute par sa richesse inventive et répond à des lois associatives que notre conscience a du mal à accepter. Cette soupape de l’inconscient, des pulsions et des désirs que la conscience rejette, refoule, car non conforme aux règles culturelles de la société du moment, a toujours attiré la crainte et la curiosité des hommes qui n’en comprenaient plus le mécanisme dès qu’ils retrouvaient la conscience de l’éveil et le contrôle de l’environnement.

Les langages, intermédiaires obligés des relations humaines, ont couvert de leur logique et de leur justification l’établissement des hiérarchies de dominances dont nous avons dit qu’elles étaient fondées sur la recherche inconsciente et individuelle du plaisir, de l’équilibre biologique. Les dominants ont ainsi toujours trouvé de « bonnes raisons pour justifier leur dominance, et les dominés de « bonnes N raisons pour les accepter religieusement ou pour les rejeter avec violence. La philosophie et l’ensemble des sciences humaines se sont établies sur la tromperie du langage. Tromperie, car il ne prenait jamais en compte ce qui mène le discours, l’inconscient. Et quand Freud, après d’autres sans doute, est venu le démasquer, comment pouvait-il convaincre, puisque par définition l’inconscient est inconscient ? Comment admettre son existence quand la conscience couvre magiquement tous les rapports humains de sa clarté éblouissante, de sa charpente simple et solide, de sa cohérence avec le monde palpable, tangible ? Comment penser que ce monde palpable et tangible, ou plutôt que l’expérience que nous en avons, quand elle a pénétré le réseau infiniment complexe de notre système nerveux, s’y organise suivant des règles pulsionnelles, suivant des interdits culturels, et y retrouve nos constructions imaginaires pour y construire un monde différent, caché mais présent ? Un monde qui, lui, va orienter notre discours afin que celui-ci le protège de l’intrusion des autres ?

Comment, sachant cela, ne pas éprouver un certain attrait pour ce qu’il est convenu d’appeler le « scientisme », cet essai longtemps infructueux de la découverte de lois, de principes invariants capables de nous aider à sortir de la soupe des jugements de valeur ? Et quand ce scientisme, après des siècles de tâtonnements, aboutit enfin à des faits constants, reproductibles, concernant l’origine biochimique et neurophysiologique de nos comportements normaux et « anormaux », comment refuser de voir en lui le premier lien fécond entre la physique et le langage ? Comment ne pas voir qu’il est indispensable à une certaine idée que nous pouvons nous faire de l’Homme ?

L’Homme est enfin, on peut le supposer, le seul animal qui sache qu’il doit mourir. Ses luttes journalières compétitives, sa recherche du bien-être à travers l’ascension hiérarchique, son travail machinal accablant, lui laissent peu de temps pour penser à la mort, à sa mort. C’est dommage, car l’angoisse qui en résulte est sans doute la motivation la plus puissante à la créativité. Celle-ci n’est-elle pas en effet une recherche de la compréhension, du pourquoi et du comment du monde, et chaque découverte ne nous permet-elle pas d’arracher un lambeau au linceul de la mort ? N’est-ce pas ainsi que l’on peut comprendre qu’en son absence celui qui « gagne » sa vie la perd ?

Cela nous ramène à l’angoisse. Comment donner une « idée de l’Homme » sans parler d’elle ? Je pense que l’on n’a pas suffisamment insisté jusqu’ici sur cette idée simple que le système nerveux avait comme fonction fondamentale de nous permettre d’agir. Le phénomène de conscience chez l’homme, que l’on a évidemment rattaché au fonctionnement du système nerveux central, a pris une telle importance, que ce qu’il est convenu d’appeler « la pensée » a fait oublier ses causes premières, et qu’à côté des sensations il y a l’action. Or, nous le répétons, celle-ci nous parait tellement essentielle que lorsqu’elle n’est pas possible, c’est l’ensemble de l’équilibre d’un organisme vivant qui va en souffrir, quelquefois jusqu’à entraîner la mort. Et ce fait s’observe aussi bien chez le rat que chez l’homme, plus souvent chez le rat que chez l’homme, car le rat n’a pas la chance de pouvoir fuir dans l’imaginaire consolateur ou la psychose. Pour nous, la cause primordiale de l’angoisse c’est donc l’impossibilité de réaliser l’action gratifiante, en précisant qu’échapper à une souffrance par la fuite ou par la lutte est une façon aussi de se gratifier, donc d’échapper à l’angoisse.

Quelles peuvent être les raisons qui nous empêchent d’agir ? La plus fréquente, c’est le conflit qui s’établit dans nos voies nerveuses entre les pulsions et l’apprentissage de la punition qui peut résulter de leur, satisfaction. Punition qui peut venir de l’environnement physique, mais plus souvent encore, pour l’homme, de l’environnement humain, de la socio-culture.

Les pulsions sont souvent des pulsions fondamentales, en particulier sexuelles. Elles peuvent être aussi le résultat d’un apprentissage : la recherche de la dominance qui permet aux pulsions fondamentales de s’exprimer plus facilement en milieu social, ou la recherche de l’assouvissement d’un besoin acquis, besoin qu’a fait naître la socio-culture. Il en est de même pour la mise en jeu du système inhibiteur de ces pulsions qui fait aussi bien appel aux lois civiques et à ceux qui sont chargés de les faire respecter, qu’aux lois morales qu’une culture a érigées. Toutes sont orientées de façon plus ou moins camouflée vers la défense de la propriété privée des choses et des êtres.

Une autre source d’angoisse est celle qui résulte du déficit informationnel, de l’ignorance où nous sommes des conséquences pour nous d’une action, ou de ce que nous réserve le lendemain. Cette ignorance aboutit elle aussi à l’impossibilité d’agir de façon efficace. L’expérience, l’apprentissage, nous ont rendus conscients du fait que les événements ne nous sont pas tous favorables. Quand l’un d’eux survient, au sujet duquel nous ne savons rien encore, dont nous n’avons aucune expérience antérieure, il est souvent une source d’angoisse car nous ne savons pas comment nous comporter efficacement envers lui.

Enfin, chez l’homme, l’imaginaire peut, à partir de notre expérience mémorisée, construire des scénarios tragiques qui ne se produiront peut-être jamais mais dont nous redoutons la venue possible. Il est évidemment difficile d’agir dans ce cas à l’avance pour se protéger d’un événement improbable, bien que redouté. Autre source d’angoisse par inhibition de l’action.

L’angoisse de la mort peut faire appel à tous ces mécanismes à la fois. L’ignorance de ce qui peut exister après la mort, l’ignorance du moment où celle-ci surviendra, ou au contraire la reconnaissance de sa venue prochaine et inévitable, sans possibilité de fuite ou de lutte, la croyance à la nécessité d’une soumission aux règles morales ou culturelles pour pouvoir profiter agréablement de l’autre vie, le rôle de l’imagination bien alimentée par la civilisation judéo-chrétienne qui tente de tracer le tableau de celle-ci, ou celui du passage, peut-être douloureux, de la vie terrestre au ciel, au néant, au purgatoire ou à l’enfer, tout cela fait partie, même pour l’athée le plus convaincu, dans l’obscurité de son inconscient, dans le dédale de ses refoulements, de son acquis culturel. Et tout cela ne peut trouver une solution dans l’action, l’action protectrice, prospective, gratifiante.

Même en écarquillant les yeux, l’Homme ne voit rien. Il tâtonne en trébuchant sur la route obscure de la vie, dont il ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va. Il est aussi angoissé qu’un enfant enfermé dans le noir. C’est la raison du succès à travers les âges des religions, des mythes, des horoscopes, des rebouteux, des prophètes, des voyants extralucides, de la magie et de la science aujourd’hui. Grâce à ce bric-à-brac ésotérique, l’Homme peut agir. Du moins il ne demande qu’à le croire pour soulager son angoisse. Mais, dès sa naissance, la mort lui passe les menottes aux poignets. C’est parce qu’il le sait, tout en faisant l’impossible pour ne pas y penser, qu’il est habituel de considérer que lorsque des primates ont enterré leurs morts en mettant autour d’eux leurs objets familiers pour calmer leur angoisse, dès ce moment, ces primates méritent d’être appelés des Hommes.

La possibilité que possède l’homme de créer de l’information à partir de son expérience mémorisée et d’en façonner le monde physique, créativité qui fut le facteur de la réussite de l’espèce sur la planète, fait qu’il se considère avant tout comme un producteur. Ses rapports sociaux ont été considérés comme des rapports de production. Mais comme cette production n’est pas entièrement enfermée dans le cadre de la production de biens marchands et que l’espèce semble avoir toujours créé des structures en apparence gratuites, même lorsqu’elles étaient reprises pour les faire pénétrer dans le circuit des marchandises, on a depuis longtemps divisé les activités humaines en activités artistiques et techniques. Aujourd’hui, on parle du travail professionnel et de la culture. La culture, c’est en principe ce qui ne se vend pas, un besoin inné qu’éprouverait l’Homme et qui le ferait accéder à sa véritable « essence », celle de l’art et de l’esprit C’est cette idée de l’Homme, aspect dichotomique, moitié producteur, moitié culturel, que l’on répand et que l’on tente d’imposer dans toutes les formes d’idéologies politiques. Pourquoi cette idée d’un homme double présente-telle tant d’attraits pour ces idéologies, de droite ou de gauche ?

La première raison est que, quel que soit le type d’idéologie, toutes admettent que l’homme représente d’abord un moyen de production puisque toutes établissent leurs échelles hiérarchiques sur le degré d’abstraction atteint dans l’information professionnelle. Mais, comme nous l’avons précédemment indiqué, cette activité productrice infiniment automatisée, parcellisée, constitue un travail sans attrait et une motivation bien faible pour les couches lés plus « thermodynamiques » et les plus nombreuses de la société. Celle-ci a cru qu’il était possible de fournir un exutoire au malaise social : la culture. Comme celle-ci ne semble avoir aucun rapport avec la profession, on l’a rapprochée des loisirs, inutiles si ce n’est pour entretenir la force de travail et lui faire oublier son malaise.

La culture est considérée d’ailleurs comme l’expression de l’homme dans ses activités artistiques et littéraires. Il s’agit, dans le langage courant, d’activités n’ayant qu’un rapport éloigné avec le principe de réalité, avec l’objectivité, d’activités ayant pris leurs distances d’avec l’objet et dans lesquelles l’affectivité et l’imaginaire peuvent s’exprimer soi-disant librement. Sinon, elles deviennent activités scientifiques ou techniques.

La culture exige des créateurs et des consommateurs. Tentons de voir les mécanismes qui contrôlent ces deux volants du diptyque.

Le créateur doit être motivé à créer. Pour cela, il doit généralement ne pas trouver de gratification suffisante dans la société à laquelle il appartient. Il doit avoir des difficultés à s’inscrire dans une échelle hiérarchique fondée sur la production de marchandises. Celle-ci exigeant, pour assurer sa promotion sociale, une certaine faculté d’adaptation à l’abstraction physique et mathématique, beaucoup, rebutés d’autre part par la forme « insignifiante » prise par le travail manuel à notre époque, s’orientent vers les sciences dites humaines ou vers les activités artistiques, « culturelles ». Mais celles-ci sont moins « payantes » pour une société dite de production, et les débouchés moins nombreux. Par contre, l’appréciation de la valeur de l’œuvre étant pratiquement impossible, tant l’échelle en est mobile, affective, non logique, l’artiste conserve un territoire vaste pour agir et surtout une possibilité de consolation narcissique. S’il n’est pas apprécié, aucun critère objectif solide ne permettant d’affirmer que les autres ont raison, il peut toujours se considérer comme incompris. Envisagée sous cet aspect, la création est bien une fuite de la vie quotidienne, une fuite des réalités sociales, des échelles hiérarchiques, une fuite dans l’imaginaire. Mais, avant d’atteindre le ciel nimbé d’étoiles de l’imaginaire, la motivation pulsionnelle, la recherche du plaisir qui n’a pu s’inscrire dans une dominance hiérarchique, doit encore traverser la couche nuageuse de la socio-culture en place. L’artiste, dès l’œuf fécondé, est forcément lié à elle dans le temps et l’espace social. Il la fuit mais il en reste plus ou moins imprégné. Aussi génial soit-il, l’artiste appartient à une époque, réalisant la synthèse de ceux qui l’ont précédé et la réaction aux habitudes culturelles que ceux-ci ont imposées.

C’est dans cette réaction d’ailleurs qu’il peut trouver son originalité. Mais c’est aussi en elle que réside l’ambiguïté de l’art pour ses contemporains. Le besoin d’être admiré, aimé, apprécié, qui envahit chacun de nous, pousse l’artiste au non-conformisme. Il refuse le déjà vu, le déjà entendu. La création est à ce prix et l’admiration qu’elle suscite également. Mais l’œuvre originale s’éloigne alors des critères de références généralement utilisés pour la juger et l’art se devant de ne pas être objectif, de prendre ses distances d’avec la sensation, d’avec le monde du réel, il devient fort difficile d’émettre à son égard un jugement immédiat. L’art est un plat qui se mange froid, comme la vengeance. Seule l’évolution imprévisible du goût pourra par la suite affirmer le génie.

Évidemment, l’artiste ou soi-disant tel peut encore bénéficier de l’approbation des snobs pour qui tout ce qui n’est pas conforme entre dans le domaine de l’art. Le comportement du snob est assez limpide d’ailleurs. Stérile, il ne peut affirmer sa singularité qu’en paraissant participer à ce qui est singulier. Il se revêt de la singularité des autres et fait semblant de la comprendre et de l’apprécier. Il fait ainsi partie d’une élite avertie, au milieu de la cohue vulgaire et homogénéisante. Si enfin, de l’accouplement du non-conformiste et du snob, un système marchand peut naître, la réussite sociale, heureusement temporaire, l’inscription de l’artiste ou prétendu tel dans l’échelle consommatrice et hiérarchique peuvent se rencontrer. Tout cela est d’autant plus facile d’ailleurs que l’expérience historique montre que le novateur est presque toujours incompris par la majorité de ses contemporains. De là à penser que tout artiste incompris est un génie créateur il n’y a qu’un pas.

Il est facilement franchi, dans la société dite libérale où tout ce qui peut se vendre en faisant appel aux moyens variés d’intoxication publicitaire trouve sa raison d’être. Mais l’artiste peut être suffisamment paranoïaque pour ne pas rechercher, ni même apprécier, cette réussite sociale, ce pansement narcissique. Cela ne veut pas dire qu’il soit pour autant un génie créateur. Aucun système de référence n’est là pour nous le dire. Cependant, c’est dans ce groupe des psychotiques – ou à ses frontières qu’on a le plus de chance de le trouver. En effet, sa motivation n’est plus de s’inscrire dans un système pour en profiter, soit matériellement, soit de façon narcissique. Il trouve sa gratification dans l’imaginaire et l’œuvre qui en résulte. On peut admettre que celle-ci est moins suspecte.

Cette analyse motivationnelle et comportementale de l’artiste que nous venons de faire est d’ailleurs approximative et l’on ne peut nier qu’à travers l’histoire certains génies créateurs ont trouvé une place dans la société de leur temps, et que le consensus historique, par la suite, confirma l’opinion favorable de leurs contemporains1. C’est en effet qu’il existe deux niveaux d’abstraction dans le comportement de l’artiste. Le premier pourrait être interprété comme une fuite du réel non gratifiant vers un imaginaire qui apaise. Le second, qui prend naissance à partir de l’œuvre créée, est un retour par son intermédiaire dans la réalité sociale, retour qui, pour les raisons que nous avons indiquées, peut être diversement apprécié, car il dépend du consommateur. Or, le consommateur n’est jamais seul. Si nous éliminons le snob, dont nous avons déjà parlé, il représente l’expression d’un certain type de société, à une certaine époque. Et nous retrouvons là la culture et son rôle social.

Pour bien des raisons, les sociétés de l’ennui ont besoin de l’art et de la culture, qu’elles séparent de façon péremptoire du travail et de la production. D’abord, l’homme que l’on dit cultivé est celui qui a le temps de le devenir, celui que sa vie professionnelle laisse suffisamment disponible, ou dont la vie professionnelle est elle- même inscrite dans la culture. Dans une société marchande, être cultivé, c’est déjà appartenir à la partie favorisée de la société qui peut se permettre de le devenir. Accorder à ceux qui n’ont pas cette chance une participation à la culture, c’est en quelque sorte leur permettre une ascension sociale. C’est un moyen de les gratifier narcissiquement, d’améliorer leur standing, d’enrichir l’image qu’ils peuvent donner d’eux- mêmes aux autres. Il est probable que ce processus découle directement du regret du bourgeois de ne pas appartenir à une aristocratie inutile, non productrice et cultivée. Qu’on se souvienne du Bourgeois Gentilhomme et de ses efforts pour acquérir les plumages culturels liés aux attributs de la classe à laquelle il tente d’accéder. Le Bourgeois Gentilhomme appartient à une race prolifique et qui s’est largement multipliée. Mais, dans la contestation de classe qui ne cesse de s’étendre, l’intérêt de la bourgeoisie étant de conserver avant tout ses prérogatives hiérarchiques de dominance et celles-ci n’étant plus exclusivement établies sur la naissance et le comportement, mais sur la propriété des marchandises, elle accepte bien volontiers de diffuser une culture, surtout si elle se vend. Elle compte par-là apaiser la rancœur due aux différences, tout en conservant les différences qui lui paraissent essentielles, le pouvoir, la dominance hiérarchique. D’où l’effort qu’elle fait et auquel se laissent prendre les masses laborieuses, pour valoriser la culture, sa culture, tout en la séparant obstinément de l’activité professionnelle productrice, où son système hiérarchique demeure intransigeant. Il est bon de noter que si la société industrielle a institué depuis longtemps examens et concours pour établir ses échelles hiérarchiques sur les connaissances professionnelles, elle n’a jamais fait de même pour la culture, car celle-ci n’est pour elle qu’un amuse-gueule, incapable d’assurer un pouvoir social. Elle n’a donc pas besoin de hiérarchies, ni du contrôle des connaissances « culturelles ». Elle espère ainsi calmer le malaise, panser les plaies narcissiques de ceux qui n’ont pas le pouvoir, d’autant qu’en maintenant une différence de nature, une différence fondamentale entre activité productrice et activité culturelle, on peut même au sein de cette dernière exprimer une contestation du système hiérarchique de dominance établie dans la première. Les domaines sont si séparés qu’il n’y a aucune crainte de voir l’expression de l’imaginaire prendre en charge l’objectivité de la réalité sociale. Dans le cas même où l’intersection parait possible, il faudrait encore trouver et mettre en place l’organisation sociale permettant de passer des concepts à la pratique. D’autre part, comme il y a là tout de même un rapprochement qui pourrait être dangereux, la culture diffusée sera le plus souvent celle dont le contenu sémantique ne parait pas avoir d’incidence sociale contestataire du système dominant. Mais, même s’il en a une, on peut espérer que cela constitue un exutoire favorable. Certains psychosociologues ne prétendent-ils pas, avec raison semble-t-il, que les films de violence, loin de constituer une incitation à la violence pour celui qui les regarde, permettent au contraire un remaniement biologique analogue à la violence active, sans en avoir les inconvénients. Les chansonniers n’ont jamais été un facteur indispensable à l’apparition des révolutions. Or, la culture autorisée, désinfectée, pasteurisée, ne parait pas plus dangereuse que les chansonniers à l’idéologie dominante. C’est presque une soupape de sécurité qui ne peut ébranler la solide charpente des dominations hiérarchiques, car ce n’est pas avec des mots que l’on fabrique de la monnaie. Il n’y a que dans les pays où le pouvoir hiérarchique n’est plus lié à la propriété des choses, mais au conformisme idéologique, que les mots reprennent de l’importance et que la culture, qui ne se vend pas, ne peut plus se permettre d’être déviante. En pays capitalistes au contraire, le système, cimenté par la puissance adhésive de la marchandise, accepte, pourvu qu’elle se vende, toute idée, même révolutionnaire. Sa vente ne peut que favoriser la cohésion du système et montrer le libéralisme idéologique de la société qui l’autorise.

Mais, en réalité, la raison primordiale à mon sens du prétendu libéralisme culturel des pays occidentaux, résulte du fait que la culture autorisée, ou même favorisée, est un fouillis où une chatte ne retrouverait pas ses petits. Ce bric-à-brac culturel est parfaitement exprimé par les pages roses du dictionnaire dont la connaissance permet d’émailler la conversation de citations latines ou autres et de hisser au haut des drisses les pavillons de reconnaissance de la société bourgeoise. Cette culture n’est pas à usage interne, mais externe, comme le petit rond métallique qui orne la boutonnière des membres du Rotary. Elle facilite, comme les galons, le comportement d’autrui à l’égard de l’échelon hiérarchique que vous avez atteint ou même elle permet, si la vie ne vous a pas été favorable, de conserver votre appartenance, en l’absence d’une activité productrice récompensée par la promotion sociale.

Le désordre de cette culture est tel, qu’elle ne peut présenter aucun danger pour un système socioéconomique. C’est une culture sans structure, en pièces détachées, et chacun peut choisir dans le magasin culturel les pièces qui lui paraissent les mieux adaptées a sa propre gratification, suivant l’apprentissage de la vie sociale qui lui est propre. Il risque difficilement dans ces conditions de rencontrer de réelles contradictions, génératrices d’angoisse et de créativité.

Cette culture enfin est un amoncellement de jugements de valeur. Comment pourrait-il en être autrement puisque les mécanismes qui permettent à l’homme de voir, d’entendre, de penser, la clef de ses comportements d’attirance ou de retrait, de ses choix comme on dit, a été cachée, dès son enfance, sous son oreiller et qu’il n’a jamais l’occasion de faire son berceau. Sa mère s’en charge.

Tant que les hommes ne sauront pas que rien dans l’humaine adhérence au monde, rien de ce qui s’accumule dans leur système nerveux n’est isolé, séparé du reste, que tout se tient, s’organise, s’informe en lui, en obéissant à des lois strictes dont la plupart restent encore à découvrir, ils accepteront la division en homme productif et en homme de culture. Cette division elle-même est un phénomène culturel, comme la croyance à l’esprit et à la matière, au bien et au mal, au beau et au laid, etc. Et cependant, les choses se contentent d’être. C’est l’homme qui les analyse, les sépare, les cloisonne, et jamais de façon désintéressée. Au début, devant l’apparent chaos du monde, il a classé, construit ses tiroirs, ses chapitres, ses étagères. Il a introduit son ordre dans la nature pour agir. Et puis, il a cru que cet ordre était celui de la nature elle-même ; sans s’apercevoir que c’était le sien, qu’il était établi avec ses propres critères, et que ces critères, c’étaient ceux qui résultaient de l’activité fonctionnelle du système lui permettant de prendre contact avec le monde : son système nerveux.

L’homme primitif avait la culture du silex taillé qui le reliait obscurément, mais complètement, à l’ensemble du cosmos. L’ouvrier d’aujourd’hui n’a même pas la culture du roulement à billes que son geste automatique façonne par l’intermédiaire d’une machine. Et pour retrouver l’ensemble du cosmos, pour se situer dans la nature, il doit s’approcher des fenêtres étroites que, dans sa prison sociale, l’idéologie dominante, ici ou là, veut bien entrouvrir pour lui faire prendre le frais. Cet air est lui-même empoisonné par les gaz d’échappement de la société industrielle. C’est lui pourtant que l’on appelle la Culture.

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1 M’est-il permis de dire que de nos jours des artistes comme Salvador Dali ou Georges Mathieu (par exemple) dont le génie me parait peu discutable, sont à la fois des « fuyards » et des « installés » ? Mais leur « installation » ne dépend pas tellement d’eux que du public.

L’enfance

Quand il naît, l’enfant ne sait pas qu’il existe. Il ne le saura que bien plus tard, après avoir constitué son « schéma corporel ». En attendant, il se contente d’être dans ce que certains psychiatres appellent son « moi-tout » au sein duquel il ne se distingue pas du monde qui l’environne. Pour s’en distinguer, il a besoin d’agir, et c’est sans doute la raison pour laquelle le petit de l’Homme qui agit si tardivement sur son environnement, constitue si lentement son schéma corporel. On peut imaginer en effet que pour y parvenir il faut que le tact lui permette de se délimiter dans l’espace. En sentant au bout de ses doigts le contact d’une partie de son corps, laquelle sentira le contact de ses doigts, il percevra un circuit fermé sur lui-même alors que la sensation reste ouverte quand son corps entre en contact avec l’environnement. Il faut que par l’action sur les objets il réunisse dans son système nerveux des influx sensoriels qui le pénètrent par des canaux différents : tact, vue, ouïe, odorat, etc., mais qui ont leur source dans le même objet, ce que l’action sur cet objet lui permettra de découvrir. On peut sans doute dire qu’il s’agit là de réflexes conditionnés du premier degré puisqu’ils associent au sein du système nerveux enfantin des signaux d’origine sensorielle différente.

Cependant, ce système nerveux bien qu’encore immature possède déjà une structure pulsionnelle répondant aux besoins fondamentaux et une structure permettant l’apprentissage des automatismes imposés par le milieu, en d’autres termes capable de mémoire à long terme. Bien sûr, ses zones associatives corticales ne peuvent encore beaucoup lui servir, car n’ayant encore pas ou peu mémorisé, il n’a rien à associer.

Ses structures pulsionnelles le préviennent de l’état de bien-être ou de souffrance de son organisme et il réagira par exemple à l’absence d’alimentation par des cris. Ceux-ci seront vite apaisés par la sollicitude de la mère ou de la personne qui va assouvir ses besoins alimentaires. Ne sachant pas encore qu’il existe dans un milieu différent de lui, il va mémoriser, avec le retour du bien-être, les autres stimulations sensorielles qui sont associées à l’assouvissement de sa faim : l’odeur de la mère, la voix de la mère, la chaleur, le visage de la mère. Il s’agit sans doute là d’un processus analogue à celui de « l’empreinte » décrit par K. Lorenz chez ses oies. En résumé, des réflexes conditionnés établissent des rapports entre une récompense, l’assouvissement d’un besoin fondamental et les stimuli sensoriels d’origine externe qui les accompagnent.

Lorsque vers le huitième ou dixième mois, son action progressive sur le milieu lui fera prendre conscience de son existence distincte du milieu qui l’entoure, il va découvrir sa mère, source de toutes ses récompenses jusque- là. Mais quand il va aussi découvrir que cet objet gratifiant n’appartient pas qu’à lui seul, mais aussi au père, aux frères et sueurs, il comprendra d’un seul coup qu’il peut perdre en partie sa gratification et découvrira l’œdipe, la jalousie et l’amour malheureux.

Très vite, il découvrira aussi que les automatismes simples que l’on essaie d’introduire dans son système nerveux concernant l’alimentation ou les excrétions urinaire et fécale sont des sujets de récompense pour les parents, s’il s’y soumet. Il sera encouragé et flatté par eux dans ce dernier cas, puni dans le cas contraire. Il utilisera donc le non-conformisme comme moyen de punition à l’égard de ses parents, et déjà un réseau complexe d’interactions prendra naissance entre lui et le milieu qui l’entoure.

Son cerveau, avons-nous dit, est immature à la naissance. Cela veut dire en particulier que toutes connexions entre les neurones présents, connexions « synaptiques », ne sont point encore formées. Il existe une plasticité du système nerveux qui permettra à celui-ci de s’adapter à la richesse informative variable de l’environnement. On a pu montrer que de jeunes chats enfermés dès la naissance dans un espace clos dont les parois présentent des raies noires verticales, ne pourront plus, au bout de quelques semaines, « voir » des raies horizontales et inversement. Des animaux placés dès la naissance dans un environnement dit enrichi, c’est-à-dire occupé par des objets variés, seront capables à l’âge adulte de performances beaucoup plus complexes que les sujets maintenus dans un environnement banalisé. Des expériences nombreuses et variées montrent toute l’importance du milieu d’origine dans la formation du système nerveux. Aucun biologiste ne peut actuellement délimiter précisément la part de l’inné et de l’acquis dans un comportement humain. Mais si l’on admet que le système nerveux, comme toutes les caractéristiques biologiques, s’inscrit sans doute dans une courbe de Gauss, cela veut dire que la plupart de ses structures d’origine sont fort semblables et que l’influence du milieu, dès l’étape intra-utérine sans doute, est vraisemblablement prépondérante.

Mais il faut alors bien préciser ce que l’on entend par formation du système nerveux, c’est-à-dire par système éducatif en résumé. Les milieux sociaux sont évidemment fort différents et entre un enfant né dans les bidonvilles de Nanterre et celui né dans une famille bourgeoise du 16’ arrondissement, il y a peu de points communs. L’influence du milieu, dans l’un et l’autre cas, n’aura presque toujours comme résultat que de créer des automatismes de comportements, de jugements, de pensée comme l’on dit, mais dans l’un et l’autre cas ce ne seront toujours que des automatismes. Ceux acquis dans le milieu bourgeois seront favorables généralement à une ascension hiérarchique passant le plus souvent par une « École ». Ils fourniront à celui auquel ils sont inculqués, un langage, une attitude, des habitudes, des jugements conformes à la structure hiérarchique de dominance, mais il n’est pas sûr qu’elle favorisera la créativité, l’originalité de pensée. C’est sans doute ce conformisme vaguement ressenti comme uniformisant qui pousse vers un autre conformisme, le snobisme, jugé à tort comme moins conforme, plus individualisant.

Il est bien sûr que l’enfant est l’entière expression de son milieu le plus souvent, même lorsqu’il se révolte contre lui puisque alors il n’en représente que la faon inverse, contestataire. Il se comporte dans tous les cas par rapport aux critères des automatismes qui lui ont été imposés. Comment d’ailleurs un groupe social quel qu’il soit, sil veut survivre, peut-il se comporter, si ce n’est en maintenant sa structure ou en tentant de s’approprier celle qui lui semble plus favorisée ? Comment un tel groupe social peut-il « élever » ses enfants, si ce n’est dans le conformisme ou le conformisme-anti ?

Or, à partir de l’expérience humaine d’une époque, n’y a-t-il pas mieux à faire que de reproduire des schémas antérieurs ? Comment l’adulte pourrait-il s’en dégager, si toute l’éducation n’a fait qu’alimenter son système nerveux en certitudes admirables, ce qui ne laisse aucune indépendance fonctionnelle aux zones associatives de son cerveau ? L’éducation de la créativité exige d’abord de dire qu’il n’existe pas de certitudes, ou du moins que celles-ci sont toujours temporaires, efficaces pour un instant donné de l’évolution, mais qu’elles sont toujours à redécouvrir dans le seul but de les abandonner, aussitôt que leur valeur opérationnelle a pu être démontrée. L’éducation que j’ai appelée « relativiste » me paraît être la seule digne du petit de l’Homme. Bien sûr, elle n’est pas « payante,» sur le plan de la promotion sociale, mais Rimbaud, Van Gogh ou Einstein pour ne citer qu’eux, dont on se plait à reconnaître aujourd’hui le génie, ont-ils jamais cherché leur promotion sociale ? Le développement de l’individualité qui en résulterait ne pourrait être que favorable à la collectivité, car celle-ci serait faite d’individus sans uniforme. II me semble aussi qu’elle seule peut aboutir à la tolérance, car l’intolérance et le sectarisme sont toujours le fait de l’ignorance et de la soumission sans conditions aux automatismes les plus primitifs, élevés au rang d’éthiques, de valeurs éternelles jamais remises en cause.

Il est vrai que la notion de relativité des jugements conduit à l’angoisse. Il est plus simple d’avoir à sa disposition un règlement de manœuvre, un mode d’emploi, pour agir. Nos sociétés qui prônent si souvent, en paroles du moins, la responsabilité, s’efforcent de n’en laisser aucune à l’individu, de peur qu’il n’agisse de façon non conforme à la structure hiérarchique de dominance. Et l’enfant pour fuir cette angoisse, pour se sécuriser, cherche lui-même l’autorité des règles imposées par les parents. A l’âge adulte il fera de même avec celle imposée par la socio-culture dans laquelle il s’inscrit. Il se raccrochera aux jugements de valeur d’un groupe social, comme un naufragé s’accroche désespérément à sa bouée de sauvetage.

Une éducation relativiste ne chercherait pas à éluder la socio-culture, mais la remettrait à sa juste place : celle d’un moyen imparfait, temporaire, de vivre en société. Elle laisserait à l’imagination la possibilité d’en trouver d’autres et dans la combinatoire conceptuelle qui pourrait en résulter, l’évolution des structures sociales pourrait peut-être alors s’accélérer, comme par la combinatoire génétique l’évolution d’une espèce est rendue possible. Mais cette évolution sociale est justement la terreur du conservatisme, car elle est le ferment capable de remettre en cause les avantages acquis. Mieux vaut alors fournir à l’enfant une « bonne » éducation, capable avant tout de lui permettre de trouver un « débouché » professionnel honorable. On lui apprend à « servir », autrement dit on lui apprend la servitude à l’égard des structures hiérarchiques de dominance. On lui fait croire qu’il agit pour le bien commun, alors que la communauté est hiérarchiquement institutionnalisée, qu’elle le récompense de tout effort accompli dans le sens de cette servitude à l’institution. Cette servitude devient alors gratification. L’individu reste persuadé de son dévouement, de son altruisme, cependant qu’il n’a jamais agi que pour sa propre satisfaction, mais satisfaction déformée par l’apprentissage de la socio-culture.

Avec le recul des années, avec ce que j’ai appris de la vie, avec l’expérience des êtres et des choses, mais surtout grâce à mon métier qui m’a ouvert à l’essentiel de ce que nous savons aujourd’hui de la biologie des comportements, je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra dans sa vie d’adulte une chance exceptionnelle pour s’évader de cette prison, s’il y parvient jamais… Et si ses jugements par la suite lui font rejeter parfois avec violence ces automatismes, c’est bien souvent parce qu’un autre discours logique répond mieux à ses pulsions et fournit un cadre plus favorable à sa gratification. Ses jugements resteront, bien qu’antagonistes de ceux qui lui ont été inculqués primitivement, la conséquence directe de ceux-ci. Ce seront encore des jugements de valeur.

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