24 juillet 2016

Jeux olympiques : un outil de la nouvelle guerre froide


Le 6ème principe fondamental de l’Olympisme ( non-discrimination de quelque nature que ce soit, y compris la nationalité et l’ opinion politique ) semble avoir été oublié depuis longtemps. Dans la Grèce antique la compétition entre les meilleurs athlètes a été en mesure de mettre fin à une guerre et a servi comme un pont de compréhension entre les deux récents ennemis. Mais au cours du XXe siècle, les Jeux Olympiques sont devenus une arme politique. En 1980, les États Unis et ses alliés ont boycotté les jeux à Moscou comme protestation contre les troupes soviétiques qui étaient entrées en Afghanistan à la demande du gouvernement légitime de ce pays (en revanche, les Jeux olympiques de l’Allemagne nazie de 1936 ont eu lieu comme d’ habitude, pour applaudir le monde «civilisé»).

Le 8 mai 2016, le programme ‘60 Minutes’ de CBS a diffusé une émission au sujet du dopage en Russie. Les interviews ont présenté des enregistrements de conversation entre un ancien rédacteur avec l’Agence antidopage de Russie (RUSADA), Vitaly Stepanov, et l’ex-directeur du laboratoire anti-dopage de la Russie à Moscou, Grigory Rodchenkov. Ce programme était le quatrième épisode d’une longue série à propos de la prétendue existence d’un système pour soutenir le dopage dans le sport russe.

Quelques jours plus tard, le New York Times a publié une interview avec Rodchenkov, dans lequel l’ancien fonctionnaire affirme qu’un programme de dopage soutenu par l’Etat était actif aux Jeux olympiques de Sotchi, et que les directives de ce programme étaient venues presque directement du président russe.

Un fait important qui a échappé à la plupart des observateurs internationaux était qu’une campagne médiatique, qui avait commencé peu après le profond gel des relations russo-occidentales de 2014, a été construite autour des «témoignages» de trois citoyens russes qui étaient tous interconnectés et complices dans une chaîne de scandales de dopage, et qui plus tard ont quitté la Russie et tenté de refaire leur vie en Occident.

A 29 ans, la coureuse de demi-fond, Yulia Stepanova, peut être considérée comme l’instigatrice de ce scandale. La meilleure performance personnelle de cette jeune athlète dans les compétitions mondiales a été une médaille de bronze au Championnat d’Europe d’athlétisme en salle en 2011. Aux Championnats du Monde de cette même année, elle a terminé huitième. La carrière de Stepanova a déraillé en 2013, lorsque la Commission Anti-Dopage de la Fédération Athlétique de la Russie l’a disqualifiée pour deux ans sur la base des « fluctuations sanguines dans son Passeport biologique de l’Athlète. » Ces fluctuations sont considérées comme des preuves de dopage. Tous les résultats de Stepanova depuis 2011 ont été invalidés. En outre, elle a dû rendre l’argent du prix qu’elle avait remporté dans les compétitions professionnelles en 2011-2012. Stepanova, qui avait été suspendue pour dopage, a été le principal informateur du journaliste ARD Hajo Seppelt , qui avait commencé le tournage d’ un documentaire sur l’ inconduite dans les sports russes. Après la sortie du premier documentaire de l’ARD en Décembre 2014, Stepanova a quitté la Russie avec son mari et son fils. En 2015, elle a demandé l’asile politique au Canada. Même après la fin de sa suspension en 2015, Stepanova a dit à la Commission de l’ AMA (p.142 du Rapport AMA de Novembre 2015 ) qu’elle avait été testée positif pour dopage lors du Championnat d’athlétisme russe à Saransk en Juillet 2010 et qu’elle a payé 30 000 roubles (environ 1000 USD à l’époque) au directeur du laboratoire russe anti-dopage à Moscou, Gregory Rodchenkov, pour qu’il dissimule les résultats des tests.

Le mari de Yulia Stepanova est Vitaly Stepanov un ancien membre du personnel au RUSADA. Ayant vécu et étudié aux États-Unis depuis qu’il avait 15 ans, il avait décidé plus tard de retourner en Russie. En 2008, Vitaly Stepanov a commencé à travailler pour RUSADA comme agent de contrôle de dopage. Vitaly a rencontré Yulia Rusanova en 2009 aux championnats nationaux russes de Cheboksary. Stepanov affirme maintenant qu’il a envoyé une lettre à l’AMA détaillant ses révélations en 2010, mais n’a jamais reçu de réponse. En 2011 Stepanov quitte RUSADA. Un fait qui mérite l’attention est que Vitaly a avoué qu’il était pleinement conscient que sa femme prenait des substances interdites, aussi bien quand il travaillait pour RUSADA qu’après qu’il eût quitté cette organisation. Notez que les tests sanguins de Stepanova ont commencé à être positifs en 2011 – c’est à dire à partir du moment où son mari, officier anti-dopage, a quitté RUSADA. En pleine connaissance de cause, les Stepanov, maintenant mariés, ont accepté des prix des courses professionnelles jusqu’à ce que Yulia soit disqualifiée. Ensuite, ils n’ont plus eu de source de revenu et l’argent des prix gagnés devaient soudain être remboursés; la situation devint telle que Vitaly Stepanov a demandé le recours de journalistes étrangers, en leur offrant de dire la «vérité au sujet des sports russes. » Au début de Juin, il a admis que l’AMA avait non seulement aidé le déménagement de sa famille en Amérique, mais leur avaient aussi fourni 30 000 $ d’aide financière.

Et enfin, le troisième personnage dans la campagne de dévoilement du dopage dans le sport russe – l’ancien chef du laboratoire anti-dopage russe à Moscou, Gregory Rodchenkov. Selon Vitaly Stepanov, c’était l’homme qui vendait des drogues améliorant la performance tout en aidant à cacher leurs traces, et c’est également lui qui a eu l’idée de « faire absorber le produit dopant avec du Chivas à travers la paroi buccale » (p. 50), une technique qui transforme les hommes en champions olympiques. Cet homme de 57 ans, né à Moscou est reconnu pour être le meilleur dans ce qu’il fait. Il est diplômé de l’Université d’Etat de Moscou avec un doctorat en chimie et a commencé à travailler au laboratoire de lutte contre le dopage de Moscou dès 1985. Il a ensuite travaillé au Canada et pour les entreprises pétrochimiques russes, et en 2005, il est devenu directeur du laboratoire national antidopage de la Russie à Moscou. En 2013 Marina Rodchenkova – la sœur de Gregory Rodchenkov – a été reconnu coupable et a eu une condamnation pour la vente de stéroïdes anabolisants pour les athlètes. Son frère a également fait l’objet d’une enquête criminelle sur des accusations d’avoir fourni des substances interdites. Menacé de poursuites, Gregory Rodchenkov a commencé à se comporter de manière bizarre et a été à plusieurs reprises hospitalisé et « soumis à un examen psychiatrique. » Une conclusion a ensuite été soumise au tribunal, affirmant que Rodchenkov souffrait de «troubles de la personnalité schizotypique, » aggravé par le stress. En conséquence, toutes les accusations portées contre Rodchenkov ont été abandonnées. Mais la chose la plus surprenante est que quelqu’un, avec un « trouble de la personnalité schizoïde» et une sœur reconnue coupable de trafic de drogues améliorant la performance, a continué en tant que directeur du seul laboratoire antidopage de la Russie accrédité par l’AMA. En fait, il a occupé ce poste pendant les Jeux olympiques de 2014. Rodchenkov n’a pas été démis de ses fonctions jusqu’à l’automne de 2015, après l’apparition du scandale qui avait été initié par la chaîne ARD et les Stepanov. En Septembre 2015, la Commission de l’AMA a accusé Rodchenkov d’avoir détruit intentionnellement plus d’un millier d’échantillons afin de dissimuler le dopage des athlètes russes. Il a personnellement nié toutes les accusations, mais a démissionné et est parti pour les Etats-Unis où il a été chaleureusement accueilli par le cinéaste Bryan Fogel , qui tournait encore un autre documentaire sur commande sur le dopage en Russie.

Au moment où j’écris cet article, le Comité international olympique (CIO) est en train d’étudier un rapport provenant d’une « personne indépendante », le professeur canadien Richard H. McLaren, qui a accusé l’ensemble de la Fédération de Russie, et pas seulement les athlètes individuels, de complicité dans l’usage de produits dopants. McLaren fut rapidement sommé de parler avec l’AMA, peu après que le NYT ait publié l’interview avec Rodchenkov. L’objectif était clair: concocter un «rapport scientifique» à la mi-Juillet qui fournirait au CIO des preuves pour interdire l’équipe russe aux Jeux Olympiques de Rio. Lors d’une conférence de presse le 18 Juillet, McLaren a lui-même reconnu que, ne disposant seulement que de 57 jours, il n’avait été en mesure « d’identifier aucun athlète qui aurait pu bénéficier d’une telle manipulation pour cacher des tests de dopage positifs. » La logique de l’AMA ici est claire: ils avaient besoin d’écarter toute accusation de partialité, de non professionnalisme, d’embellissement des faits, ou de parisianisme politique. Peu importe la duplicité et le mensonge que l’on trouve dans le rapport – il a été rédigé par une «personne indépendante», point. Cependant, il n’a pas cherché à cacher que l’ensemble du rapport était basé sur le témoignage d’une seule personne – Rodchenkov lui-même, qui est présenté à plusieurs reprises comme une source «crédible et véridique ». C’est évident, cet homme accusé par l’AMA elle-même d’avoir détruit 1417 tests de dopage et faisant face à l’extradition vers la Russie pour des crimes liés au dopage, aura vu une occasion de devenir un «précieux témoin» et «prisonnier d’opinion» persécuté par le « régime totalitaire » de la Russie.

L’avantage dont jouit cette «commission indépendante» – dont le rapport sur lequel se base le CIO décidera du sort des espoirs olympiques de la Russie – est le fait que ses accusations ne seront pas examinés au tribunal, ni les preuves contestées par les avocats l’accusé. Il n’y a pas non plus l’habituelle présomption d’innocence devant la loi dans les arguments fournis.

Il ressort de la déclaration du professeur McLaren qu’aucune accusation ne sera portée contre un athlète russe en particulier. De plus, ils peuvent tous participer s’ils refusent de représenter la Russie aux Jeux olympiques. Il y a des raisons évidentes dans cette sélectivité. Un professeur de droit et membre de longue date de la Cour d’Arbitrage du Sport, le professeur McClaren sait très bien que toute accusation portée contre des individus spécifiques et faite publiquement, se traduisant par des «actes juridiques» (comme l’interdiction de participation olympique) peut et sera contestée devant les tribunaux, conformément au droit international et sur la base de la présomption d’innocence. Tous les éléments de preuve utilisés par l’accusation sont susceptibles de contestation, et si un fait inclus dans ces charges peut être interprété à l’avantage de l’accusé, le tribunal est tenu d’exclure ce fait du dossier dont dispose l’accusation.

En tant qu’avocat, McLaren comprend tout cela très bien. Des centaines de procès intentés par des athlètes russes donnant des résultats ambigus non seulement détruiraient sa réputation et le ruineraient professionnellement, mais pourraient constituer la base d’une enquête criminelle avec suffisamment d’éléments pour l’accuser d’avoir intentionnellement faussé quelques faits qui , à ses yeux peuvent se résumer comme suit:

Pendant les Jeux olympiques de Sotchi, un officier du FSB nommé Evgeny Blokhin remplace les tests de dopage des athlètes russes par des échantillons d’urine « propres ». Il est dit que cet agent possédait les permissions d’accès sécuritaires d’un entrepreneur en plomberie, ce qui lui permettait d’entrer dans le laboratoire. En outre, il y a des rapports que Evgeny Kurdyatsev, – le chef du service des échantillons – procédait à la substitution des tests de dopage pendant la nuit, à travers un « trou de souris » dans le mur (!). Celui qui les attendait dans le bâtiment adjacent n’était autre que l’homme qui était en train de fournir les « preuves crédibles » – Gregory Rodchenkov – avec quelques autres individus anonymes, qui passaient à Blokhin des tests de dopage des athlètes propres destinés à remplacer les échantillons originaux. Si les caractéristiques de l’urine propre ne correspondaient pas au profil d’origine, elles étaient « adaptées » avec du sel de cuisine ou de l’eau distillée. Mais bien sûr, l’ADN était incompatible. Et tout cela se passait dans le seul laboratoire antidopage officiel de la Russie accrédité par l’AMA !

Comment quelque chose de ce genre serait-il perçu dans un tribunal ? Nous avons des témoins, mais l’équipe de la défense ne peut pas les soumettre à un contre-interrogatoire. Nous ne pouvons pas prouver que Blokhin est un agent du FSB, mais nous le croyons. Nous ne possédons aucun des documents originaux – pas une seule photo ou l’affidavit de l’examen officiel – mais nous avons des preuves suffisantes d’un seul criminel qui a déjà avoué son crime. Nous ne soumettons les e-mails fournis par Rodchenkov à aucun expert pour examen, mais nous affirmons que les e-mails sont authentiques, que tous les faits qu’ils contiennent sont exacts, et que les noms des expéditeurs sont bons. Nous ne pouvons pas accuser les athlètes, donc nous allons accuser et punir l’État!

Pour être honnête, nous ne croyons toujours pas que le mouvement olympique a sombré si bas pour priver des milliards de personnes du plaisir de regarder les compétitions et oublier ​​la politique et les politiciens. Cela signifierait dire au revoir à la réputation de l’AMA et du CIO et le système du sport mondial dans son ensemble. Peut-être qu’une solution au problème colossal du dopage était attendue depuis longtemps, mais la réponse se trouve-t-elle dans le cadre d’un seul pays, même un grand pays comme la Russie ? Devrions-nous prendre un moment ici et maintenant pour insister sur l’ histoire en plusieurs volumes des scandales de dopage dans chaque pays dans le monde ? Et compte tenu des faits qui viendraient en lumière, n’est-ce pas l’AMA elle-même, la pierre angulaire du système existant et de grande envergure, qui soutient et couvre le dopage sportif partout dans le monde ?

En conclusion, nous citons ci-dessous la traduction complète de la déclaration du Comité olympique russe en réponse au rapport de l’AMA :

« Les accusations portées contre les sports russes trouvées dans le rapport de Richard McLaren sont si graves qu’une enquête complète est nécessaire, avec la participation de toutes les parties. Le Comité olympique russe a une politique de tolérance zéro et soutient la lutte contre le dopage. Il est prêt à apporter son assistance complète et à travailler ensemble, au besoin, avec toute organisation internationale.

Nous sommes totalement en désaccord avec l’opinion de M. McLaren selon laquelle l’interdiction éventuelle de centaines d’athlètes russes propres des compétitions dans les Jeux Olympiques est une «conséquence désagréable» acceptable des accusations contenues dans son rapport.

Les accusations sont principalement basées sur des déclarations faites par Grigory Rodchenkov. Elles sont basées uniquement sur le témoignage de quelqu’un qui est à l’épicentre de ce réseau criminel, ce qui représente un coup non seulement pour les carrières et les destins d’un grand nombre d’athlètes propres, mais aussi à l’intégrité de l’ensemble du mouvement olympique international.

La Russie a lutté contre le dopage et continuera à se battre au niveau de l’Etat, durcissant régulièrement les sanctions pour toute activité illégale de ce type et renforçant le principe de la punition inévitable.

Le Comité olympique russe soutient pleinement les peines les plus sévères possibles contre toute personne qui utilise des médicaments interdits, ou encourage leur utilisation.

Dans le même temps, le ROC – agissant en pleine conformité avec la Charte olympique – protègera toujours les droits des athlètes propres. Ceux qui tout au long de leur carrière – grâce à l’entrainement permanent, le talent et la volonté – cherchent à réaliser leurs rêves olympiques ne devraient pas avoir leur avenir déterminé par des accusations non fondées et les actes criminels de certains individus. Pour nous, c’est une question de principe « .

Traduction Avic – Réseau International
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